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Le Venezuela : un modèle économique à bout de souffle (Note)

 

Résumé :

·         L’économie vénézuélienne connaît depuis 2014 une croissance négative. En 2016, le PIB a plongé de 18 % alors que l’inflation et le chômage atteignaient respectivement 255 % et 21,2 % ;

·         Le pays, dont 95 % des exportations sont généréespar le pétrole, a été durement touché par la baisse des cours de l’or noir ;

·          Le modèle économique du Venezuela est fortement centralisé et caractérisé par la prépondérance du secteur public, le contrôle des changes et des prix ainsi qu’une tropforte dépendance au pétrole ;

·         La reprise économique se heurte à de nombreux défis parmi lesquels figurent la lutte contre la corruption, la diversification de la production, la bonne gestion de la rente pétrolière et un rétablissement de la stabilité politique.

 

 

 

Depuis 2014, le Venezuela est confronté à une grave crise économique et politique. La chute des prix du pétrole a mis en avant les faiblesses structurelles de l’état pétrolier. Au pied du mur, le pays devrait repenser en profondeur son modèle économique afin d’enrayer l’effondrement de son économie.

 

1.     Le pays est frappé de plein fouet par une violente récession

 

Même lorsque les cours pétroliers atteignaient des sommets, la croissance vénézuélienne était l’une des plus faibles d’Amérique latine. Entre 2010 et 2014, le taux de croissance annuel moyen s’est élevé à environ 1,3 % contre 6 % pour le Pérou et 4,3 % pour la Colombie. Depuis 2014, l’économie vénézuélienne connaît une croissance négative. Ainsi, en 2016, le PIB a plongé de 18 % et la tendance devrait se poursuivre au cours des prochaines années (Figure 1). Cette récession a provoqué une explosion du taux de chômage qui s’est établi à 21,2 % en 2016. De plus, le Venezuela souffre d’hyperinflation. En effet,  l’année dernière, le pays a connu le plus fort taux d’inflation au monde (255 %). L’augmentation des prix devrait s’accélérer pour atteindre une croissance à 4 chiffres dès 2018. Celle-ci provoque l’érosion du pouvoir d’achat des ménages, dont la consommation a reculé de 7,8 % en 2015.

Selon l’enquête intitulée « Conditions de vie », réalisée par 3 universités du pays, la pauvreté atteint des niveaux historiques et touche désormais 81,8 % des foyers[1]. La population doit faire face à des pénuries quotidiennes de biens de première nécessité. A la crise économique vient donc s’ajouter une crise sanitaire. Les hôpitaux manquent de médicaments et une grande partie de la population n’a plus les moyens de s’alimenter correctement. En moyenne, les vénézuéliens ont perdu 8,5 kilos au cours de l’année 2016. C’est dans ce contexte que le Venezuela voit l’insécurité exploser. D’après l’ONG « Observatoire vénézuélien de la violence », le taux d’homicide serait passé de 67 à 91,8 pour 100 000 habitants entre 2011 et 2016, faisant du Venezuela le deuxième pays le plus meurtrier au monde.

 

2.     L’échec d’un modèle économique centralisé et basésur la rente pétrolière 

·         Une économie mono-productrice dépendante du pétrole

Le secteur pétrolier représente environ 50 % de recettes fiscales et 12 % du PIB. Sa part dans les exportations nationales est passée de 69 % en 1998 à 96 % en 2016. Ce modèle, qualifié de « socialisme pétrolier » par Hugo Chavez[2], a été permis par l’envolée des cours du pétrole de 1998 à 2013 (+848 %).Les recettes issues des exportations pétrolières ont contribué au financement des programmes sociaux appelés misiones dont dépend une grande partie de la population, notamment au niveau alimentaire. Néanmoins, entre 2013 et 2016,les prix du pétrole vénézuélien se sont effondrés passant de 99 à 35,15 USD/baril. Les cours ont ensuite augmenté mais ils restent relativement faibles (43,2 USD/baril). La baisse des prix et le manque d’investissement dans les infrastructures pétrolières ont entraîné une baisse des exportations en volume et en valeur (respectivement -9,1 % et -21,2 % l’année dernière). L’inversion du cycle pétrolier remet donc en cause la soutenabilité des dépenses publiques et génère une érosion des réserves de changes (10 mds USD en juillet 2017 contre 43,1 Mds USD en décembre 2008).

·         Prépondérance du secteur public

De 2008 à 2015, le nombre de fonctionnaires a doublé pour atteindre 2,7 millions et la part des dépenses publiques dans le PIB est passée de 21 % à 36 %. De plus, les activités économiques administrées par l’Etat représentaient, en 2015, 34 % du PIB vénézuélien. Ceci s’explique par la vague de nationalisations opérées à partir de 2007 dans des secteurs clés de l’économie tels que le pétrole, les télécommunications et l’alimentation. Le gouvernement de H. Chavez a exproprié plus de 1 200 entreprises entre 2002 et 2012.

·         Désindustrialisation

En 2015, le montant des exportations non pétrolières s’est élevé à 2,2 Mds USD contre 5,5 Mds USD en 1998. Sur cette même période, leur part dans les exportations totales a chuté de 31,2 % à 5,8 %. De plus, depuis 2013, le PIB manufacturier diminue (-20 % en 2016). Actuellement, les entreprises utilisent seulement 32 % de leurs capacités productives. La désindustrialisation du Venezuela s’explique par un climat des affaires hostile au secteur privé (contrôle des prix, pénurie de devises, rigidité du marché du travail, insécurité juridique, instabilité politique).

·         Contrôle des prix

La loi des « prix et coûts justes », utilisée comme instrument de lutte contre l’inflation, établit les normes de fixation des prix et limite les marges des entreprises qui ne peuvent pas dépasser leurs coûts de plus de 30 %[3]. Les prix artificiellement bas ont stimulé la demande et découragé les producteurs ainsi que les investisseurs. L’excès de demande a favorisé l’émergence de marchés noirs dont les prix sont plus élevés.

·         Politique monétaire expansive et contrôle des changes

Face aux difficultés de financement du déficit public et des dépenses, l’Etat mène une politique monétaire expansive. Le gouvernement a donc massivement recours à la création monétaire (planche à billets) qui alimente in finel’inflation. Par ailleurs, le pays exerce depuis 2003 un contrôle des changes strict. Il existe actuellement 2 taux de change officiels :

– le taux de change protégé, appelé DIPRO (1 USD = 10 bolivars VEF), destiné aux importations du secteur public et aux importations d’aliments et de médicaments. Il couvre près de 90 % des transactions officielles ;

– le taux de change complémentaire flottant de marché (DICOM), qui varie librement entre 1 800 et 2 200 bolivars pour 1 dollar. A ce taux, les particuliers peuvent obtenir jusqu’à 500 USD par trimestre. Pour les entreprises, le plafond mensuel s’établit à 30 % de leur revenu brut mensuel dans une limite de 400 000 USD.

Parallèlement, la demande qui n’est pas satisfaite s’oriente vers le marché noir sur lequel le taux de change (DolarToday) est équivalent à 1 USD = 18.982,93 VEF (06/08/2017). Selon l’opposition, la multiplicité des taux de change favorise la corruption. Certaines entreprises revendraient sur le marché noir, les dollars obtenus au taux DIPRO, au lieu d’importer des produits de première nécessité (médicaments et aliments).

·         La dépendance financière vis-à-vis de la Chine et de la Russie

L’entreprise étatique russe Rosneft représente une importante source de devises pour le pays. Jusqu’au mois d’août 2017, en vertu d’accords de coopération entre les deux nations, Rosneft payait à l’avance le pétrole importé du Venezuela. La créance de Rosneft s’élèverait actuellement à 6 Mds USD. Par ailleurs, de 2007 à 2016, la Chine a octroyé 62,2 Mds USD de prêts au pays. Il s’agit en partie de credits for oil, c’est-à-dire que le Venezuela s’engage à approvisionner la Chine en pétrole en contrepartie de l’obtention de crédits. Ceci limite les recettes actuelles et futures issues des exportations de pétrole. De plus, le gouvernement est dépendant des marchés financiers. En cas de défaut de paiement et de perte d’accès aux capitaux internationaux, l’Etat devrait liquider des actifs de l’entreprise pétrolière étatique PDVSA sur laquelle repose son économie.

 

3.     Les réformes clés pour l’avenir du Venezuela ?

·         Restaurer la stabilité institutionnelle

Le Venezuela traverse actuellement une crise politique sévère. L’assemblée nationale, contrôlée par l’opposition n’est pas reconnue par le gouvernement. Le 30 juillet dernier, a été élue une assemblée constituante (AC) en charge de la rédaction d’une nouvelle constitution. L’opposition considère l’AC anticonstitutionnelle, notamment parce que le peuple n’a pas été consulté par referendum concernant la tenue de cette élection. Les manifestations ont fait une centaine de morts et des milliers de blessés. Aucune reprise économique ne sera possible sans avoir résolu préalablement la crise politique.

·         Repenser la gestion de la rente pétrolière et lutter contre la corruption

Lors du boom pétrolier, le Venezuela n’a pas économisé pour faire face à une éventuelle chute des cours. Ainsi, les autorités n’ont pas alimenté le Fonds de Stabilisation Macroéconomique (FEM) dont l’objectif était de protéger les recettes fiscales des variations des cours de l’or noir. A l’inverse, l’argent du pétrole a bénéficié au Fonds National de Développement (Fonden) pour financer divers projets. Cependant, son fonctionnement est opaque, car il relève de la compétence exclusive du pouvoir exécutif sans qu’aucun contrôle ne soit exercé par l’assemblée. Par ailleurs, l’entreprise pétrolière étatique PDVSA accumule une dette extérieure croissante envers ses fournisseurs (20 USD Mds) et ne dispose plus de ressources suffisantes pour investir dans ses installations, ce qui engendre des problèmes dans le processus de raffinement. En effet, les ressources de PDVSA sont utilisées par l’Etat pour financer les dépenses publiques. Par conséquent, la production pétrolière atteint des niveaux historiquement bas (1,9 millions barils/jour). Ainsi, pour satisfaire la demande interne, le pays a importé du pétrole à hauteur de13 Mds USD, de 2010 à 2014.  Il est donc nécessaire de réhabiliter le FEM, d’encadrer le Fonden et de limiter le prélèvement des ressources de l’entreprise PDVSA afin qu’elle puisse moderniser ses infrastructures.

·         Diversifier l’économie et créer un climat des affaires favorable aux acteurs du secteur privé

Le pays doit diversifier son appareil productif. Il faut donc inciter les entreprises à investir davantage alors que l’investissement en termes réels a reculé de 18 % en 2015. La suppression du contrôle des prix et des changes, la protection des entreprises face au risque d’expropriation et l’assouplissement du système des licences d’importation permettraient aux entreprises de retrouver des marges de manœuvre.

·         Réorienter les politiques monétaire et budgétaire

Pour lutter contre l’inflation, le gouvernement devrait mener une politique monétaire plus restrictive et ne plus financer le déficit fiscal via la création monétaire. Par ailleurs, le risque de défaut de paiement est élevé. Les prochaines échéances sont risquées pour le pays (2,8 Mds USD au 2nd semestre 2017 et 7 USD Mds en 2018). Il est donc nécessaire de diminuerles dépenses publiques tout en limitant l’impact négatif sur les foyers les plus pauvres qui survivent en grande partie grâce aux aides publiques.

 

Conclusion

La chute des cours pétroliers à mis en évidence les failles du modèle économique vénézuélien qui a prévalu au cours des 18 dernières années. La dépendance aux exportations de pétrole et la prépondérance du secteur public ont conduit à la crise économique que traverse actuellement le Venezuela. Une sortie de crise est difficilement envisageable à court terme. Le pays devra faire face à de nombreux défis tels que le retour de la stabilité politique, la lutte contre l’hyperinflation, la fin du contrôle des prix et la diversification de son appareil productif. Cependant, ces mesures pourraient elles-mêmes avoir des effets récessifs à court terme et le contexte politique ne semble pour le moment pas favorable à leur mise en œuvre.

 

 

Bibliographie

 

“Estudio Económico de América Latina y el Caribe”, 2017, Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC)

“Indicateurs”, Banque Mondiale

“Member countries : Venezuela”, Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)

Accès au marché vénézuélien en 2017”, 2017, Service Economique Régional de Caracas

“Precios del Petróleo”, Ministère du Pouvoir Populaire du Pétrole, Gouvernement du Venezuela

“Indicadores”, Confédération Vénézuelienne des Industriels

“Fiche pays : Venezuela”, Business France

“Venezuela: la producción de petróleo está por el piso y las grandes deudas no dan tregua”, 2017, CNN

“¿Cómo Venezuela pasó de dicha petrolera a emergencia económica?”, 2016, El Comercio

“Hugo Chávez expropió casi 1,200 empresas en diez años”, 2013, El Economista

“PDVSA reporta caída de 88% en su ganacia neta”, 2017, El Economista

“La opsicion de Venezuela rechaza las amenazas de Trump”, 2017, El Mundo

“Venezuelan oil basket price averages USD 99.49 per barrel in 2013”, 2014, El Universal

“OPEP: producción de Venezuela cayó a 1,9 millones de barriles diarios”, 2017, El Universal

“Venezuela sigue cumpliendo con su deuda pero el riesgo de impago aumenta”, 2017, The New York Times

“Control de precios: escasez y desinversión”, El Mundo

“Este martes entró en vigencia Reforma a la Ley de Precios Justos”, 2015, El Universal

“Conozca cuanto podrá adjudicar el Dicom a personas naturales y jurídicas”, 2017, Radio Mundial

“Au Venezuela, l’addition salée de l’hyperinflation”, 2015, Le Monde

“Au Venezuela, la grande fuite en avant de Maduro”, 2017, Slate

“Venezuela falló en ahorrar los excedentes de la renta petrolera”, 2014, El Universal

“El Fondo de Estabilización Macroeconómica”, El Mundo

“¿Dónde están los dólares del FEM, fondo Petrolero de Venezuela?”, 2017, Monedas de Venezuela

“¿Qué pasó con los millones de petrodólares transferidos al Fonden?; por Víctor Salmerón”, 2016, Prodavinci

2016: OVV estima 28.479 muertes violentas en Venezuela”, 2016, El Observatorio Venezolano de Violencia (OVV) 

2011 el año más violento de la historia nacional”, 2013, El Observatorio Venezolano de Violencia (OVV) 

“Logística”, 2017, Directorio de proveedores Argentina

 


[1]Il s’agit d’un renversement de tendance sachant que le taux de pauvreté était passé de 56 % à 26 % entre 1997 et 2009.

[2]Président du pays de 1998 à 2013.

[3]En cas d’infraction, les sanctions peuvent aller jusqu’à 10 ans de prison pour motif de spéculation

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