Education et économie : « quelles solutions pour l’école de demain ? »

Résumé :

- Les pratiques d’enseignement, exceptionnellement très « verticales » en France, auraient un rôle significatif dans les modalités d’organisation d’une société, au-delà de celui de la culture.

- L’excès de hiérarchie dans les modalités d’organisation et le manque de confiance substantiel caractérisant la société française entravent le développement de la coopération entre individus, utile à la société mais également favorable à l’économie.

- Développer davantage l’apprentissage en groupe (pratique très utilisée dans les pays scandinaves), mettre davantage l’accent sur le bien être des élèves et mobiliser les parents dans le processus scolaire sont les recommandations essentielles soumises par les intervenants.

La conférence organisée par la revue « Regards Croisés sur l’Economie » avait pour thème « l’école de demain ». Intervenaient Yann Algan, chercheur en économie à Sciences Po, Marc Gurgand, chercheur au CNRS et à l’Ecole d’Economie de Paris et Mme Pau-Langevin, ministre déléguée à la réussite éducative.

Le but ? Insister sur les facteurs socio-psychologiques trop souvent oubliés dans l’éducation et qui façonnent pourtant notre société, les rapports que nous Français entretenons les uns avec les autres, au sein de la société et donc également au sein des entreprises. Ces facteurs, qui paraissent être de simples détails lorsque l’on entend les discours actuels sur les réformes éducatives (centrés sur l’aspect budgétaire et quantitatif plus que sur l’aspect qualitatif [1] ), ont pourtant des répercussions importantes sur la société et, par prolongement, sur l’économie. A titre d’illustration, on observe dans les pays scandinaves que les syndicats ont un poids et un rôle beaucoup plus important comparé à la France. L’accentuation sur le travail de groupe, sur la collaboration et l’écoute de l’autre dès la maternelle dans ces pays, contre un système éducatif français davantage centré sur l’individu et utilisant intensément la prise de notes (le professeur parle, les élèves écrivent) a certainement des répercussions sur la manière dont communiquent et s’organisent les individus par la suite (et donc au final des liens avec le précédent constat [2] ). L’état des lieux qui va suivre peut paraître assez pessimiste, cela est volontaire, la conférence s’étant principalement concentrée sur les faiblesses de notre système afin d’en souligner les possibilités d’amélioration (un raisonnement peut-être assez français finalement ?). Quels sont les maux dont souffre notre système éducatif ? Que faire pour améliorer ce dernier ? Cette contribution relate et prolonge les discussions de la conférence en s’appuyant sur les contributions de Yann Algan et Pierre Cahuc en particulier.

Défiance et faibles capacités de collaboration : les fruits (partiels) d’un système éducatif excessivement « vertical » ?

Yann Algan débute le débat en insistant sur les facteurs psychologiques de l’éducation. Ce qui caractérise particulièrement le système éducatif français selon lui, c’est le manque de réciprocité et l’absence d’estime de soi chez les élèves. Dans un article écrit avec P. Cahuc et A. Shleifer (2011), Yann Algan a étudié les pratiques éducatives dans plusieurs pays. Il a séparé ces dernières en pratiques dites « verticales », où, pour dire simple, « le professeur parle et l’élève note », des pratiques « horizontales », centrées sur le travail en groupe. La France apparaît clairement comme un pays à part en ce domaine : sur le graphique ci-dessous on voit que seuls le Japon et la Turquie ont un système plus « vertical » que le notre.

Figure 1: score moyen par pays des pratiques d'enseignement : "les étudiants prennent des notes" et "les étudiants travaillent en groupe" (1=jamais, 2=parfois, 3= souvent, 4=toujours)

Source: Algan et al (2011)

Quelles sont les répercussions ? Comme le fait remarquer Yann Algan : « si l’on n’apprend pas à coopérer au plus jeune âge, ce n’est pas la peine de s’attendre à des comportements de coopération en entreprise ». La défiance qui caractérise tant la société française trouve également peut-être certaines de ses racines dans ce système éducatif (Algan et Cahuc 2007). Comme le mentionne Yann Algan, la France se caractérise par un manque de confiance de ses citoyens vis-à-vis de ses institutions, du marché, et même tout simplement des uns envers les autres. Ici plus qu’ailleurs, il est coutume courante de se méfier en premier lieu des bonnes intentions, de « suspecter son prochain », c’est une réalité assez spécifique à notre pays, flagrante lorsque l’on prend en comparaison les pays scandinaves par exemple. 21% des français déclarent avoir confiance les uns dans les autres, plus de trois fois plus en Suède (enquête du World Values Survey). Est-ce que les pratiques d’éducation jouent un rôle dans ce constat ? Le graphique ci-dessous montre la corrélation entre la confiance et la part de temps de l’enseignement « vertical » par rapport à l’enseignement « horizontal » dans chacun des les principaux pays de l’OCDE :

Figure 2: Confiance et écart entre enseignement "vertical" et enseignement "horizontal"

Source: Algan et al 2011

Algan et Cahuc (2007) soutiennent que cette défiance n’est pas seulement le fruit d’une culture spécifique, mais que l’organisation du système éducatif joue un rôle à part entière [3] .

Il en va certainement de même pour la culture de la hiérarchie (et par prolongement, la culture de la référence au « supérieur ») et le recours aux règles et à l’autorité pour les moindres petits arrangements dans les entreprises ou organismes publics, mode d’organisation souvent préféré à la coopération collective ou simplement à la confiance [4] . Un exemple concret se retrouve dans la bureaucratie administrative caractérisant nos organismes publics, qui selon l’OCDE fait perdre plus de 3 points de croissance à la France chaque année [5] .

D’autres exemples concrets de l’impact de la culture sur les pratiques d’organisation se retrouvent dans la réalité de tous les jours. Qui en France n’a jamais fait l’expérience de règles paraissant « absurdes », mises en places uniquement pour cadrer un comportement qui semblerait « naturel » pour beaucoup ? Qui en France n’a jamais eu écho de managers confondant responsabilité et autorité ? « Dialogue » et « monologue en présence d’un subordonné » ? « Prise de décision collaborative » et « demande d’acte de présence pour une prise de décision officieusement unilatérale » ? Pour ne pas voir les choses sous un seul angle, n’y-a-t-il pas bien souvent chez certains une certaine perception du travail qui consisterait à « appliquer les ordres qui viennent d’en haut » et non pas à « construire à plusieurs » ? Sans raccourci rapide, le système éducatif excessivement « vertical » n’a-t-il pas sa part de responsabilité dans la banalisation de ces constats ? La fréquence relativement importante de ces comportements (à force presque considérés comme « normaux » par certains et conduisant peut-être par là à un cercle vicieux) pose la question de savoir si le fait d’avoir un système éducatif davantage centré sur l’individu et la croyance envers ce que dit le professeur, au détriment de l’apprentissage de la collaboration en groupe, a une influence, au-delà de celle (évidente) de la culture, sur les pratiques d’organisation.

Notons également que la défiance, frein à l’innovation dans les entreprises (notamment via les structures verticales qui en découlent, laissant peu de place à l’initiative individuelle), coûterait entre 1 et 2% de croissance chaque année à la France selon Yann Algan.

Rôle du bien être, mobilisation des parents dans le processus scolaire : deux facteurs trop oubliés en France ?

La manière dont transite l’influence de l’enseignant est également un autre débat soulevé par Yann Algan. Pour lui, clairement, se focaliser sur le bien être et sur le développement des capacités non cognitives aurait des impacts très importants. En terme de réussite scolaire certes, mais également en terme de réussite humaine. S’il est coutume d’entendre dire en France que le premier est gage du second, on oublie souvent l’importance du lien en sens inverse. Pour Yann Algan, cette prise de conscience doit émerger dans les débats sur les réformes scolaires.

La prise en compte du bien être et un système davantage centré sur le développement personnel est peut-être d’ailleurs une des caractéristiques du système finlandais (réputé comme un des meilleurs au monde). Dans ce pays où l’école ne commence qu’à partir de 7 ans, l’accent est mis très tôt sur la responsabilisation des élèves et la pression scolaire est clairement reconnue comme moindre (voir l’article du Wall Street Journal).

Marc Gurgand a ensuite beaucoup insisté sur le rôle des expérimentations sociales dans le domaine éducatif. Dans un article récent « Getting parents involved: A field experiment in deprived schools », Avvisati et al procèdent à une expérimentation : la moitié des parents d’élèves de classes de collèges sont invités à suivre une formation plusieurs fois par an visant à donner des pistes d’améliorations pour leur implication dans la scolarité de leurs enfants (l’autre moitié des parents d’élèves ne suivant pas de formation). Par des méthodes économétriques de traitement, ils trouvent que les redoublements et le « décrochage » des élèves dont les parents ont suivi la formation est inférieur d’un tiers aux élèves dont les parents n’ont pas reçu de formation. Sa conclusion est sans appel : le système éducatif ne doit pas négliger le rôle des parents dans la réussite éducative. En langage d’économiste : l’input « parent » joue un rôle très significatif pour l’output « réussite scolaire ».

Mme la Ministre est ensuite intervenue. Son intervention s’inscrivant clairement davantage dans une démarche politique que dans une démarche de réflexion, nous resterons bref sur ses remarques ici. Il faut, selon elle :

- décorréler le niveau socio-culturel des parents avec la réussite éducative des élèves ;

- donner toutes les chances au professeur « d’apprendre à enseigner » ;

- alléger les journées des élèves.

La conférence s’est terminée par une séance de questions. On retiendra notamment l’intervention d’un des invités « il faut tout un village pour élever un enfant ». Parents, professeurs, direction, enfants : il faut que le dialogue soit présent entre ces intervenants. Or, comme le précise Y. Algan, la « défiance constante » de la société française pose problème à ce niveau, la défiance n’étant pas vecteur de dialogue.

Il faudrait également, d’après les intervenants économistes, une prise de conscience collective que « le bien être des élèves est également du ressort de l’école ». Les intervenants concluront en soulignant, devant Mme la ministre, la difficulté de concilier action politique et réflexion de fond.


 

Notes:

[1] Même si, ces temps-ci, des questions sur le contenu des enseignements reviennent sur le devant de la scène

[2] Le poids de la culture est aussi très important bien entendu. Le sens du propos ici n’est pas de dire que l’éducation façonne les pratiques sociales, mais simplement qu’elle participe à cette construction. La culture de la hiérarchie qui caractérise notre société trouve par exemple des racines beaucoup plus profondes que notre simple éducation « verticale » (qui est d’ailleurs elle-même sans doute aussi le reflet de cette culture), nous en avons conscience ici

[3] Est-ce que le système éducatif n’est pas lui-même le reflet d’une culture est une autre question non abordée ici

[4] Voir Algan 2012 « La fabrique de la défiance » à ce sujet

[5] A ce propos, Algan et al (2009) disent que « Le déficit de confiance des Français entrave leurs capacités de coopération, ce qui conduit l’État à réglementer les relations de travail dans leurs moindres détails »

Références:
- Y.Algan et Pierre Cahuc (2007) « La société de défiance: comment le modèle social français s'auto-détruit », Cepremap, éditions de la rue d'Ulm.
- Y.Algan, P.Cahuc, A.Zylberberg : « La fabrique de la défiance… et comment s’en sortir », Editions Albin Michel 2012.
- Y.Algan, P.Cahuc, A.Shleifer (2011) : « Teaching Practices and Social Capital » NBER Working Paper n°17527.
- F. Avvisati, M. Gurgand, N. Guyon, E. Maurin, (2010) « Getting parents involved: A field experiment in deprived schools », CEPR.
- F. Avvisati, M. Gurgand, N. Guyon, E. Maurin, « Communication des collèges et implication des parents d'élèves ».
- Regards croisés sur l'économie, n° 12, février 2013, « L'école, une utopie à reconstruire » (numéro dans lequel intervient Artur Jurus).
- Wall Street Journal, Fev 2008 « What makes Finnish kids so smart ? ».

 

Julien Pinter est chercheur en Economie monétaire à l'Université de Minho. Il était auparavant chercheur invité à l’Université de Harvard et à la Charles University de Pragues. Il est docteur diplômé de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur des questions liées aux politiques monétaires, aux régimes de change et à la communication des banques centrales. Il a des expériences de travail à la Banque Centrale Européenne et à la Banque de France en particulier. Il a été visiting researcher à l'Université d'Amsterdam, a travaillé à l'Université de Bruxelles Saint-Louis et étudié à l'Université de Stockholm.

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