Coût et opportunités d’une suraccumulation des réserves de change : cas du Brésil (Note)

Résumé :

  • Le Brésil possède un niveau de réserves de change très élevé, bien supérieur auxrecommandations du FMI ;
  • Pourtant, ces réserves de change génèrent des coûts en termes budgétaires, de l’ordre de 2,5 % du PIB par an, du fait notamment du différentiel de taux d’intérêt entre les Banques Centrales ;
  • Alors que le cycle monétaire local accommodant s’est achevé, et que la dynamique de la dette publique est défavorable, se pose la question d’une vente d’une partie des réserves afin de réduire la dette publique.
  • En effet, les gains attendus d’une vente des réserves excédentaires demeurent conséquents, tandis que le risque de change reste incertain et dépendra de la gradualité de la mise en œuvre.

Cet article traite des risques et bénéfices liés au niveau très élevé des réserves de changes de certains pays émergents. C’est notamment le cas au Brésil, où les taux d’intérêt élevés engendrent des coûts en termes budgétaires. Les gains attendus d’une vente de réserves de change pourraient s’avérer conséquents, surtout dans le contexte actuel.

Les réserves de change sont les actifs principalement détenus en devises étrangères et en or par les Banques Centrales. Les réserves de change peuvent aussi se présenter sous la forme de bons et obligations du Trésor émis par les différents Etats. Celles-ci permettent aux différentes Banques Centrales d'intervenir sur le marché des changes afin de réguler les taux de leur monnaie. Des réserves offrent donc une marge de manœuvre pour la protection de sa monnaie, ainsi que pour les investisseurs étrangers

Toutefois, le maintien d’un niveau de réserves de change génère des coûts et des bénéfices à divers égards. Les pays en développement aux taux d’intérêt élevés, comme le Brésil, possèdent en effet un coût de maintien du niveau de ces réserves de change souvent positif. Le Brésil, dont les réserves se stabilisent à plus de 350 milliards USD depuis 2011, a fini un fort cycle d’assouplissement monétaire en baissant les taux directeurs de 14,25 % à 6,50 % entre 2016 et début 2018. Par ailleurs, sa dette publique reste sur une dynamique préoccupante -84 % du PIB début 2018, devant atteindre 100 % vers 2023, selon le FMI, et un déficit public prévu de -8,3,% du PIB en 2018-. Dans ce contexte, la question d’un maintien à un tel niveau des réserves de change se pose.

1) La dynamique du niveau de réserves de change chez les émergents et au Brésil

1.A) Depuis la crise de 2008

Le Brésil a suivi le mouvement mondial concernant la dynamique des réserves de change, en augmentant ces réserves fortement avant la crise de 2008, avant de les stabiliser autour de 350 Milliards de dollars en 2011. Ce mouvement est par ailleurs intrinsèque à l’ensemble des pays émergents, comme le montre le graphique 1 ci-dessous. La Chine a connu une réduction de son niveau des réserves en 2014, et participe ainsi à une dynamique lente mais significative d’une réduction mondiale des réserves de changes (Cf. article BSI Economics).

Graphique 1- Niveau des réserves de changes des pays émergents, en Milliards USD

Sources : FMI, BC, BSI Economics

1.B) Evolution du coût du maintien de ces réserves de change

Le maintien d’un niveau de réserves de change génère des coûts et des bénéfices à divers égards. Tout d’abord, le coût des réserves de change se mesure généralement par le différentiel de taux d’intérêt entre les taux d’intérêt pratiqués dans le reste du monde et internes, soit la zone de compétence de la banque centrale. Il peut aussi se mesurer en coûts d’opportunités, par exemple si ces réserves étaient utilisées différemment. A l’inverse, les bénéfices se mesurent surtout en termes de confiance, à savoir une prime de risque moins élevée car les agents savent que la Banque centrale peut intervenir sur le marché des changes en cas de crise. Ces réserves apportent ainsi une assurance supplémentaire quant au maintien d’un régime de change flexible, qui demeure au Brésil faiblement administré.

Les pays en développement avec des taux d’intérêt élevés possèdent alors un coût de maintien du niveau de ces réserves de change souvent positif, d’autant plus quand les taux sont bas aux Etats-Unis ou en Zone euro comme c’est le cas actuellement. Se pose alors la question du niveau optimal des réserves de change : entre protection et capacité d’intervention sur le marché des changes et coût du maintien de celles-ci. Il est important aussi de donner aux réserves de change un gage de crédibilité pour certaines économies. Ces économies sont en effet davantage exposées à des fortes sorties de capitaux, ou à une interruption brutale de l’entrée de capitaux.

Le graphique 2 ci-dessous montre que la charge associée à ces réserves de change se situe actuellement autour de 2,5 % du PIB par an, ce qui demeure un niveau très élevé.

Graphique 2- Coût du maintien des réserves de change en % du PIB

Sources : FMI, BC, BSI Economics

2) Les paramètres traditionnels des réserves de change

2.A) Les niveaux optimaux

Il existe plusieurs variables afin d’ancrer les caractéristiques de certains pays (mois d’importations, dette externe, dette de court-terme, solde courant) à un niveau de réserve de change optimal, c’est-à-dire que l’effet protecteur de celui-ci serait maximal. Il s’agit en effet de s’assurer d’une crise de la balance des paiements, et de la capacité d’un pays à payer ses importations, sa dette externe détenue en devise étrangère, de sa dette de court-terme ainsi que de son déficit courant, selon les critères dits de Greenspan-Guidotti. Le tableau ci-dessous offre une typologie des critères et montre le rapport entre le niveau réel des réserves de changes avec le niveau optimal calcule. Le FMI définit en outre un niveau optimal noté ARA (Assessing Reserve Adequacy).

2. B) Comparaison avec le niveau ARA recommandé par le FMI

Le niveau des réserves de change est ainsi deux fois supérieur aux recommandations du FMI. Pour autant, au niveau international, le Brésil est 6e en termes de ratio entre son niveau des réserves et le niveau optimal, derrière le Pérou, la Russie, les Philippines, l’Irak et la Thaïlande. Cette comparaison tend à relativiser le fait que le Brésil possède des réserves trop élevées.

Graphique 3- Ratio du niveau des réserves de change avec la variable ARA du FMI, 2015

Sources : FMI, BC, BSI Economics

3) Le niveau optimal face à la dépréciation structurelle du Réal brésilien

3.A) Cycle monétaire accommodant, dépréciation du Réal et réaction de la BCB

Entre fin 2016 et début 2018, afin d’appuyer la relance de l’économie Brésilienne, et alors que l’inflation est maîtrisée, la Banque Centrale du Brésil (BCB) mène une politique monétaire accommodante, en abaissant son taux directeur SELIC de 14,25% à 6,50%. Il s’agit d’une politique à contre-courant de la normalisation de la politique monétaire américaine. Le Réal, comme évoqué lors dans le précédent papier de BSI Economics sur le Brésil, s’est alors depuis continuellement déprécié de 25% face au dollar en un an, dans le sillage des monnaies émergentes. Ce cycle accommodant permet de limiter le risque de contraction de liquidités qu’entraînerait une baisse des réserves de changes du bilan de la BCB.

3.B) Les réserves de change pour réduire ou annuler une partie de la dette publique?

Alors que la principale préoccupation de l’économie brésilienne reste la dynamique de ses dépenses publiques, constitutionnalisées de par le système des retraites sur le point de devenir caduque, la question d’une vente d’une partie des réserves de change aurait deux effets :

  1. A court-terme, cela permettrait d’annuler une partie de la dette publique, et donc la charge future de cette dette, ce qui affecterait positivement le taux de change de l’économie et favoriserait ainsi les investissements ;
  2. A moyen-terme, la charge imputable au maintien des réserves se réduirait, ce qui limiterait la hausse de la dette publique.

L’institut IFI, institut économique indépendant rattaché au Sénat brésilien, a ainsi calculé les gains potentiels en fonction de la réduction des réserves. De manière similaire cette étude montre ci-après les gains attendus d’une vente des réserves de changes. En fonction du calcul considéré comme niveau optimal (cf. tableau ci-dessus), il est calculé un niveau dit excédentaire de ces réserves. Ici, le graphique 4 représente le niveau de réserves excédentaires en fonction du calcul choisi pour la caractérisation du niveau optimal des réserves de change. En considérant ainsi les métriques internationales, et la tendance fin 2016 de 360 Milliards USD de réserves, ces excédents représentent entre 140 et 212 milliards USD. Ces excédents représentent ainsi pour le Brésil entre 5 et 8 points de PIB de dette à annuler, à court-terme. Il s’agit somme toute d’un montant conséquent, qui pourrait donner un réel appel d’air à l’inquiétude des agents économiques sur la dette publique brésilienne. Sur le graphique ci-dessous, les excédents calculés en milliards de dollars en fonction de la métrique considérée (en abscisse), renvoie à un gain potentiel d’annulation de dette calculée en part du PIB.

Graphique 4- Estimation des gains potentiels (en % du PIB) en fonction des réserves excédentaires (en milliards USD)

Sources : FMI, BC, BSI Economics

Il convient aussi denoter qu’une baisse des réserves de change pourrait entraîner des risques en parallèle, notamment en fonction de l’utilisation de ces réserves excédentaires. Selon l’IFI, le principal risque est l’utilisation des réserves comme dépenses primaires, et non en annulation de dette publique. Le risque de change demeure quant à lui assez incertain. Notamment, la BCB utilise le régime de change flexible et n’intervient qu’en cas de panique. Compte tenu du profil de sa dette publique, en large majorité domestique, et de son matelas de réserves, le risque de panique demeure mesuré en cas de vente d’actif graduel. La gradualité de la mise en œuvre permettrait en effet de contrer le risque de change à travers l’observation de la réaction des agents économiques.

Conclusion

Le Brésil semble pour l’instant protégé des crises de balance des paiements vécus aujourd’hui par d’autres pays émergents comme la Turquie et l’Argentine. Son niveau de réserves de change permettrait en effet de limiter la dépréciation du Réal face à la normalisation de la politique monétaire américaine. Pour autant, alors que la croissance économique demeure faible (1,5 % attendu en 2018 selon la BCB), la situation budgétaire demeure préoccupante et est un enjeu de l’élection présidentielle. Il conviendrait alors, au-delà des mesures budgétaires et structurelles pour limiter la hausse endémique de la dette publique, de considérer la vente des actifs de réserves de change comme une solution graduelle afin d’annuler une partie de la dette. Cette solution est d’autant plus d’actualité qu’elle convient au régime de change flexible adopté par la BCB.

Sources :

Jonathan est cadre de direction à la Banque de France actuellement chargé de l'analyse de risque de marché et de crédit à la Banque de France. Diplômé en Economie Internationale à Paris-Dauphine et à la PUC de Rio de Janeiro, ses centres d'intérêt portent sur les politiques monétaires et les équilibres macro-financiers au sein des économies émergentes ainsi que dans la zone euro.

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