Quels impacts économiques et financiers de l’augmentation de l’occurrence des catastrophes naturelles ? (Note)

Résumé :

  • De nombreuses études scientifiques montrent que le nombre et l’intensité des catastrophes naturelles vont s’accroitre dans les années à venir ;
  • Les pertes économiques associées à ces catastrophes naturelles ont explosé ces dernières années, à 337 milliards USD en 2017, contre 169 milliards USD en 2016 et 95 milliards USD en 2015 ;
  • Les pays les plus vulnérables au changement climatique sont souvent les pays les plus défavorisés, augmentant le coût de leur dette souveraine. Le service de la dette de ces pays devrait au minimum doubler d’ici les dix prochaines années ;
  • Pour limiter l’impact du changement climatique, il est nécessaire d’adapter les modes de vie (meilleure gestion des sols, limitation des énergies fossiles…) et investir dans des projets adaptés au risque climatique.

La rapidité du réchauffement climatique et ses conséquences sur la vie quotidienne de la population mondiale sont plus que jamais au centre des préoccupations des acteurs économiques qui doivent s’adapter à ces changements.

La plupart des scientifiques anticipent une hausse de la fréquence et de l’intensité des catastrophes naturelles d’ici la fin du siècle en raison du changement climatique. Une catastrophe naturelle est « caractérisée par l'intensité anormale d'un agent naturel (inondation, coulée de boue, tremblement de terre, avalanche, sécheresse...) lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises »[1] . Les conséquences des épisodes climatiques extrêmes représentant un risque majeur au niveau mondial[2] , il est nécessaire d’évaluer leur impact économique et financier.

1. Multiplication de la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles

Les scientifiques ont mis en évidence une hausse significative du nombre et de l’intensité des catastrophes naturelles ces quinze dernières années. L’Observatoire des Catastrophes Naturelles a recensé plus de 1 100 catastrophes naturelles en 2017 dans le monde, contre 600 en 2002. Une partie de cette augmentation s’explique par une meilleure identification des catastrophes. Néanmoins, d’après la plupart des scientifiques, la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles s’est accentué et accéléré ces dernières années.

D’après les scientifiques, le changement climatique est un « accélérateur » expliquant la multiplication des incendies, même si ce n’est pas le seul facteur explicatif (urbanisation, changement de modèle d’utilisation des terres, espèces invasives etc.). Ainsi, on observe une multiplication des feux de forêt en Europe en raison de conditions climatiques de plus en plus extrêmes, ainsi que des vagues de chaleur, des périodes de sécheresse et des vents forts de plus en plus fréquents. Cet été a notamment été marqué par une vague de sécheresse en Europe au mois de juillet qui a engendré des incendies dans des régions habituellement préservées dans le cercle Arctique (Suède, Laponie). En juillet 2018 la Grèce a connu les incendies les plus meurtriers de son histoire récente entrainant 93 morts et plusieurs centaines de blessés. De même, l’année 2017 a été une année record du nombre de feux de forêt en Europe depuis que les statistiques existent, particulièrement dans le sud (Portugal).

De nombreuses études montrent une corrélation entre changement climatique et catastrophes naturelles. D’après une récente étude publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), (2018) si la hausse de la température de la Terre est supérieure à deux degrés à celle de l’ère préindustrielle, la Terre franchirait un point de rupture qui risquerait de la transformer en « étude » d’ici quelques décennies seulement. La température de la Terre est déjà supérieure d’un degré en raison de l’émission de gaz à effet de serre, augmentant le nombre et l’intensité des canicules, sécheresses ou tempêtes. Le rapport averti que « le réchauffement de deux degrés pourrait activer d'importants éléments de rupture, augmentant ainsi encore davantage la température ce qui pourrait activer d'autres éléments de rupture par un effet domino qui pourrait entraîner la Terre vers des températures encore plus élevées »[3] . Le réchauffement et l’assèchement de la Terre engendreraient une multiplication des feux de forêts, un débordement des rivières, une disparition des récifs de corail et la fonte des glaciers. Par conséquent, le niveau des océans s’élèverait faisant disparaitre des régions côtières et rendant de nombreux endroits sur la planète inhabitables.

Ainsi, la multiplication des catastrophes naturelles entraine une prise de conscience chez les acteurs économiques de leur coût humain et financier.

2. Les impacts économiques et financiers du changement climatique

Les chercheurs de l’Université de Stanford ont calculé le coût du réchauffement climatique[4] . D’après cette étude, si les pays adhèrent à l’Accord sur le Climat de Paris et que les températures augmentent de 2,5 à 3 degrés, alors le PIB par habitant (en valeur) diminuerait de 15 à 25 % d’ici 2100. Si rien n’est fait, la température augmenterait de quatre degrés d’ici 2100 entrainant une baisse durable de 30 % du PIB par habitant. En effet, le réchauffement climatique aggrave les catastrophes naturelles qui ralentissent l’activité économique en raison des destructions qu’elles engendrent (dégradation des infrastructures, pertes agricoles…).  De plus, les « migrants climatiques » devraient se multiplier, le dernier rapport de la Banque Mondiale (2018) estime à plus de 143 millions le nombre de réfugiés climatiques d’ici 2050.

La multiplication des catastrophes naturelles entraine déjà des pertes économiques significatives. D’après le réassureur Swiss RE les dommages économiques totaux s’élevaient à 337 milliards USD en 2017, contre 169 milliards USD en 2016 et 95 milliards USD en 2015[5] . Le bilan humain de ces catastrophes naturelles est estimé à 8 000 victimes en 2017. Une étude de la Fédération Française des Assurances en 2015 montrait que les coûts cumulés des dégâts liés aux catastrophes naturelles seraient en hausse de 90 % sur les 25 prochaines années par rapport à la période 1988-2013, dont 30 % seraient directement liés au changement climatique.

Certaines banques centrales et autorités de supervision travaillent ensemble au « verdissement du système financier » depuis fin 2017. Les conclusions sont attendues en avril 2019. L’objectif est de déterminer les risques financiers liés au climat. Des « stress tests » de résistance au changement climatique pourrait être développés pour les banques et assurances. En particulier, les assurances pourraient accélérer la transition énergétique à travers la prime d’assurance. Par exemple, la prime des véhicules les plus polluants pourrait augmenter, arrêter d’assurer les plus gros producteurs de risques climatiques (producteurs de charbon…). Par ailleurs, les assurances développent de plus en plus leurs compétences vers le risk management avec des outils tels que les alertes SMS pour limiter l’impact des catastrophes naturelles. Le risque climatique devrait donc de plus en plus pris en compte par les assureurs dans les années à venir.

Le risque climatique est également de plus en plus pris en compte par les agences de notation. Une étude de Moody’s (2016) alertait des conséquences du changement climatique sur les économies plus vulnérables. Cette étude montre une forte corrélation entre les pays les plus vulnérables au changement climatique et leur risque de défaut souverain. Par exemple, le Mozambique, dont la notation souveraine est Caa3 négatif, est fréquemment touché par de fortes pluies. Ces inondations détruisent les infrastructures (routes, ponts…), génèrent des mouvements de population et aggravent l’insécurité alimentaire du pays. Au Liban, dont la note souveraine est B3 stable (Moody’s), les dommages économiques liés au changement climatique pourraient atteindre plus de 80 milliards USD (150 % du PIB 2017) d’ici 2040 d’après les autorités nationales.

D’autres études[6] montrent que les pays en voie de développement sont les plus impactés économiquement par le changement climatique. En particulier,l’étude de l’Imperial College Business School et de la SOAS University of London pour le compte des Nations Unies qui a évalué l’impact des risques climatiques sur les coûts de l’emprunt souverain. Cette étude montre que les pays les plus vulnérables aux risques climatiques ont tendance à avoir des coûts d’emprunt souverain plus élevés en raison des destructions provoquées par les catastrophes naturelles. À chaque fois que les pays en voie de développement paient dix dollars d’intérêts, un dollar supplémentaire sera dépensé à cause de sa vulnérabilité face aux risques climatiques. Ce coût doublera au minimum au cours des dix prochaines années.

3. Recommandations pour limiter le changement climatique

D’après une étude menée par l’ONU (2015), la hausse de la température mondiale doit être limitée à deux degrés au-dessus de la température lors de la période préindustrielle pour renverser l’impact du changement climatique. Ainsi, les 170 pays ayant signé l’accord sur le Climat de Paris en 2016 se sont engagés à limiter le réchauffement climatique en dessous de deux degrés. Néanmoins, en février 2016 la température mondiale excédait déjà de 1,5 degré celle de la période préindustrielle. Les scientifiques sont donc de plus en plus nombreux à penser que le réchauffement climatique risque d’excéder les deux degrés.

Les scientifiques préconisent d’adapter les modes de vie afin de protéger la Terre. Pour ce faire, il faudrait remplacer les énergies fossiles par des sources à faibles voire sans émissions CO2, améliorer la gestion des sols pour limiter les feux, mettre en place de meilleures pratiques agricoles ou encore limiter la déforestation. La France s’est dotée d’un plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) depuis 2011 afin d’anticiper les impacts du changement climatique et limiter leurs dégâts. Le deuxième plan est en préparation.

Il est également conseillé d’investir dans des projets afin de limiter les désastres naturels. Une étude a montré qu’un dollar investi dans l’atténuation des risques permettait au pays d’en économiser six[7] . Les projets étudiés incluent le renforcement des infrastructures pour lutter contre les tremblements de terre, la démolition des bâtiments risquant d’être inondés etc. Ainsi, de plus en plus de programmes financent des projets dans le domaine du climat et de l’environnement, tel que le programme de financement LIFE (2014-2020) de la Commission Européenne.

Conclusion 

Face à l’explosion des coûts résultant de la multiplication des désastres naturels, le risque climatique est de plus en plus pris en compte par les acteurs économiques (assurances, banques, agences de notations…) à travers une adaptation de leur modèle économique, l’élaboration d’outils d’analyse du risque climatique ou des investissements. L’évolution du coût dépendra de la rapidité à laquelle les gens vont s’adapter et se préparer à vivre dans un monde plus chaud, comme l’a souligné l’économiste de la Banque Mondiale, Stephane Hallegate[8] .

Bibliographie

Rapport du GIEC 2007 

Rapport GIEC 2014 

Le Monde, Face à la multiplication des catastrophes naturelles, avis de tempête sur les assureurs, 19 juin 2018

National Oceanic and Atmospheric Administration, 2017 was one of the three warmest years on record international report confirms, 1 août 2018

State of the Climate in 2017, Special supplement to the Bulletin of the American Meteorological Society, Vol. 99, No 8, August 2018

Les Echos, Vers une multiplication des catastrophes naturelles, 1 février 2017

Les Echos, Les dégâts causés par les catastrophes naturelles devraient coûter 92 milliards d’euros aux assureurs d’ici à 2040, 3 décembre 2015

National Geographic, Hidden costs of climate change running hundreds of billions a year, 27 septembre 2017

The Balance, Climate change facts and effect on the economy, 14 août 2018

Swiss Re, The effect of climate change: an increase in coastal flood damage in Northern Europe

UN Environment, SOAS University of London, Imperial College School, Climate Change and the Cost of Capital in Developing Countries, 2 juillet 2018

 Trajectories of the Earth System in the Anthropocene, Steffen et al., 6 juillet 2018

National Institute of Building Sciences issues new report on the value of mitigation, 11 janvier 2018

 Les Echos, Changement climatique : la réglementation financière reste en chantier, 21 août 2018


[1] Source : Insee, définition Catastrophe Naturelle

[2] Global Risk Report 2017

[3] Citation dans l ’étude : « A 2°C warming could activate important tipping elements raising the temperature further to activate other tipping elements in a domino-like cascade that could take the Earth System to even higher temperatures »

[4] Source: Large potential reduction in economic damages under UN mitigation targets, Nature 557 (2018)

[5] Source : Catastrophes naturelles et techniques en 2017 : une année de pertes record, Swiss Re (2018)

[6] Weather, climate and total factor productivity, University of Sussex, Working Paper Series No.102-2016;
The impact of climate change on the global economy, Schroders (2016)

[7] Source : National Institute of Building Sciences issues new report on the value of mitigation, 11 janvier 2018

[8] Source :Financial Review, Scorched earth counting the costs of extreme weather, 30 juillet 2018

Diplômée de l'Université Paris Dauphine, Audrey Berthet est économiste à l'Institut d'Emission d'Outre-Mer (IEOM) en Nouvelle-Calédonie. Elle a auparavant travaillé en tant qu'analyste risque pays au sein d'Amundi après avoir évolué en tant qu'analyste à l'OCDE au Programme Régional d'Asie du Sud-Est et acquis une expérience de terrain au sein d'une Institution de Microfinance aux Philippines (RAFI). Ses principaux centres d'intérêts portent sur les économies émergentes, le risque pays et le financement du développement. 

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