Un premier pas vers la neutralisation du Dodd-Frank Act aux Etats-Unis (Policy Brief)

DISCLAIMER : Les opinions exprimées par l'auteur sont personnelles et ne reflètent en aucun cas celles de l'institution qui l'emploie. 

Le 22 mai 2018, la Chambre des représentants des Etats-Unis a adopté la proposition de loi bipartisane, intitulée « Economic growth, regulatory relief and consumer protection Act »[1] , approuvée par le Sénat le 14 mars 2018 et qui révise certaines dispositions du Dodd-Frank Act. Le Président D. Trump a promulgué cette loi le 24 mai 2018 en soulignant : « The legislation I’m signing today rolls back the crippling Dodd-Frank regulations that are crushing community banks and credit unions nationwide.  They were in such trouble.  One-size-fits-all — those rules just don’t work »[2] .

Quelques éléments de contexte

Cette loi constitue la première pierre désormais votée de la réforme du Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (ci-après « Dodd-Frank Act »), symbole de la traduction par les Etats-Unis des engagements en matière de réglementation financière pris au niveau du G20, suite à la crise de 2007-2008.

Défaire le Dodd-Frank Act est en effet le fer de lance de l’Administration Trump. D. Trump a explicitement fait référence au Dodd-Frank Act, qu’il a qualifié de « désastre », lors de la signature du décret présidentiel du 30 janvier 2017, destiné à réduire la réglementation fédérale (« Reducing Regulation and Controlling Regulatory Costs »). Le 3 février 2017[3] , il a signé un décret présidentiel disposant que la régulation du système financier devait être guidée par sept principes fondateurs, dont le développement de la croissance de l’économie américaine, la compétitivité des entreprises américaines et la défense des intérêts des Etats-Unis au sein des négociations internationales en matière financière. Le décret du 3 février 2017 a également enjoint au Secrétaire du Trésor, S. Mnuchin, de remettre une série de rapports analysant la nécessité de réformer la réglementation financière existante au regard des principes directeurs énoncés, dans différents secteurs (bancaire, marchés de capitaux, gestion d’actifs, innovation financière). Par la suite, d’autres décrets présidentiels ont enjoint dans la même lignée au Département du Trésor américain de remettre des rapports additionnels.  L’un d’entre eux concerne par exemple les missions du Financial Stability Oversight Council (institution emblématique du Dodd-Frank Act dont les missions se rapprochent de celles du Haut conseil de stabilité financière en France et dont l’efficacité a été critiquée à plusieurs reprises). La quasi-intégralité de ces rapports a été remise au Président D. Trump entre juin et novembre 2017, proposant des pistes de réforme de plusieurs sections du Dodd-Frank Act, dont la règle Volcker[4] (insérée dans la section 619 du Dodd-Frank Act et entrée en vigueur le 1er avril 2014, l’une de ses dispositions principales consiste à interdire aux établissements bancaires américains ou actifs aux Etats-Unis, de s’engager dans des activités de négociation sur instruments financiers pour compte propre à des fins spéculatives).

Dispositions principales

L’Economic growth, regulatory relief and consumer protection Act  est un texte destiné à promouvoir la croissance économique, accorder aux institutions financières un « soulagement » réglementaire adéquat et renforcer la protection des consommateurs. La loi comporte six sections visant à améliorer l’accès des consommateurs au crédit immobilier ; alléger la réglementation applicable aux « community banks » ; apporter des éléments de protection aux crédits contractés par les vétérans de guerre, certaines classes de consommateurs et de propriétaires fonciers ; adapter la réglementation bancaire aux holdings bancaires ; et soutenir le financement de marché (notamment via des exemptions à la réglementation applicable aux fonds d’investissement en vue de promouvoir les fonds de capital-risque[5] ).

Plusieurs dispositions de la loi s’inspirent du Financial Choice Act 2.0, une proposition de loi adoptée par les députés républicains de la Chambre des représentants en juin 2017 et depuis bloquée au Sénat, ainsi que des recommandations émises par le Trésor américain dans son rapport portant sur la réglementation bancaire publié en juin 2017[6] .

Parmi ces dispositions, il convient de relever les éléments de réforme suivants :

  • La loi allège la réglementation applicable aux institutions financières de petite et moyenne taille. Elle exempte ainsidu respect des dispositions de la règle Volcker tout établissement bancaire détenant moins de 10 milliards de dollars d’actifs consolidés ou dont l’actif et le passif de négociation (« trading assets and liabilities ») se situe en deçà du seuil de 5 %. Elle enjoint également les agences américaines de consulter les superviseurs bancaires des Etats fédérés sur la mise en œuvre d’un ratio de levier distinct (« Community Bank Leverage Ratio »), situé entre 8 % et 10 %, pour les community banks, à savoir les établissements bancaires détenant moins de 10 milliards de dollars d’actifs consolidés.
  • La loi relève, de 50 à 250 milliards de dollars, le seuil d’actifs consolidés au-delà duquel une holding bancaire (« bank holding company ») est considérée d’importance systémique et soumise aux standards prudentiels renforcés (« enhanced prudential standards »). Ceux-ci incluent notamment les exigences en matière de capital réglementaire, de fonds propres conditionnels (« contingent capital »), de levier financier, de liquidité, de transparence et de tests de résistance annuels et semi-annuels de supervision. A noter que la loi prévoit en outre la possibilité pour la Federal Reseve (Fed)de maintenir les standards prudentiels renforcés (y compris les tests de résistance) pour les holdings bancaires dont le total des actifs consolidés est situé entre 100 et 250 milliards de dollars. La loi précise que cette possibilité intervient pour la Fed en fonction des risques posés sur la stabilité financière, ainsi que pour les banques d’importance systémique globale (G-SIB, « Global Systemically Important Banks »). Celles-ci sont considérées comme telles par la Fed au regard de son indicateur de systémicité (en ligne avec les recommandations bâloises).
  • Enfin, la loi prévoit également l’assouplissement du ratio de levier supplémentaire (en exigeant d’exclure du dénominateur du ratio les fonds déposés auprès des banques centrales des holdings bancaires et de leurs filiales qui s’engagent majoritairement dans des activités de conservation, protection et garde d’actifs) et du ratio de liquidité à un mois (« liquidity coverage ratio ») en permettant un traitement plus favorable des obligations municipales (« municipal bonds »), qui ont pour objet de financer les besoins des Etats fédérés, des comtés, villes et agences publiques locales américaines, tant qu’elles bénéficient d’un profil liquide et facilement négociable et d’une notation élevée (« investment grade »).

Conclusion

D. Trump a nommé à la tête de la Fed et de l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), les agences qui seront en charges de la mise en œuvre de plusieurs dispositions de cette loi, des personnalités dont les orientations réglementaires se rapprochent de celles insufflées par l’exécutif au cours des derniers mois : Jerome Powell à la tête du Federal Reserve Board et Joseph Otting à la tête de l’OCC. Il demeure néanmoins que ces agences demeurent indépendantes de l’exécutif, tel que l’a par ailleurs rappelé Jerome Powell dans un discours prononcé le 25 mai 2018 : « While the focus is often on monetary policy independence, research suggests that a degree of independence in regulatory and financial stability matters improves the stability of the banking system and leads to better outcomes. For this reason, governments in many countries, including the United States, have granted some institutional and budgetary independence to their financial regulators ».


En outre, rappelons que le champ du Dodd-Frank Act s’étend bien au-delà des seuls établissements bancaires. Il englobe également les produits dérivés[7] , les infrastructures de marché (dont les chambres de compensation), les conseillers de fonds de pension, les assurances ou encore des institutions telles que le FSOC et le Consumer Financial Protection Bureau.

Enfin, la refonte complète du Dodd-Frank Act, annoncée à plusieurs reprises par D. Trump, n’est envisagée à ce stade ni par le Département du Trésor américain dans ses rapports publiés en 2017, ni par les régulateurs fédéraux.  

Il n’en reste pas moins que l’Economic growth, regulatory relief and consumer protection Act constitue la première réforme notoire de cette loi emblématique post-crise que constitue le Dodd-Frank Act. Elle allège en effet substantiellement les exigences réglementaires et de supervision applicables aux établissements bancaires américains, dans la lignée des principes fondateurs énoncés par Donald Trump dans son décret présidentiel de février 2017.


[1] Disponible en ligne: https://www.govtrack.us/congress/bills/115/s2155/text

[2] White House, « Remarks by President Trump at signing of S. 2155, Economic Growth, Regulatory Relief and Consumer Protection Act », 24 mai 2018. Disponible en ligne.

[3] White House, « Presidential Executive Order on Core Principles for Regulating the United States Financial System », 3 février 2017. Disponible en ligne.

[4] Se référer en ce sens à l’article de BSI Economics « Qu’appelle-t-on la Volcker Rule ? »

[5] Le Dodd-Frank Act a exempté d’enregistrement les sociétés de gestion gérant des fonds de capital-risque (au sein de la section 203 (I)). L’Economic Growth, regulatory relief and consumer protection Act étend cette exemption à tout “qualifying venture capital fund”, détenu au maximum par 250 porteurs et détenant moins de 10 millions de dollars d’apports et d’engagements de capital.  

[6] U.S Department of Treasury, « A Financial System That Creates Economic Opportunities – Banks and Credit Unions », 12 juin 2017. Disponible en ligne.

[7] Se référer en ce sens à l’article de BSI Economics « Que peut-on attendre de la régulation des produits dérivés ? »

Charlotte travaille au Département des marchés monétaires et de capitaux du Fonds monétaire international, sur la finance durable et le risque climatique. Elle a débuté sa carrière à l'Autorité des marchés financiers, puis à la Direction générale du Trésor. Elle est membre du Comité scientifique de l’Observatoire sur la Finance Durable, où elle travaille sur le financement des énergies fossiles et les méthodologies d’alignement des portefeuilles financiers, et de comités de recherche supervisés par l’Ademe. Elle finalise actuellement une thèse de doctorat en sciences économiques sur le risque climatique, après des études à Sciences Po Paris, Paris I et Paris II en économie financière et en droit des affaires. Elle enseigne l'économie de l'environnement et du développement à Sciences Po Paris et à la Sorbonne. Ses centres d'intérêt portent sur la finance durable, le financement des infrastructures, la régulation bancaire et financière et la stabilité financière.

Dans la même catégorie :

Standard Post with Image

La fausse bonne idée des rachats d’obligations souveraines en Chine (Policy Brief)

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (2/2) (Note)

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (1/2) (Note)

Standard Post with Image

Les Enjeux du Commerce International du Plastique : Défis et Perspectives