Prix de l’immobilier et risques naturels, industriels et terroristes (Note)

Apport de cet article : Les prix immobiliers reflètent-ils l'ensemble des risques auxquels un logement est exposé ? Leur évolution à la suite d'une catastrophe naturelle, industrielle ou terroriste montre que les prix des logements réagissent fortement à la perception d'un nouveau risque, dans une ampleur et une durée variable selon leur nature. Cette mauvaise intégration de l'information dans les prix immobiliers semble tenir à l'existence de mécanismes assurantiels et à l'ignorance des acheteurssur la gravité de ces risques.

Résumé :

·Les prix des logements réagissent fortement à la perception d'un nouveau risque, et, par exemple, baissent après une catastrophe naturelle ou industrielle, quand bien même le logement n'a pas été directement impacté ;

·Dans les cas d'une catastrophe naturelle, l'impact peut aller jusqu'à -20 % des prix des logements ;

·Les risques industriels semblent avoir un effet plus hétérogène : -1-2% en France après la catastrophe d'AZF, -3,4% en Allemagne après celle de Fukushima, mais 0% en Suède pour les logements exposés à des risques similaires ;

·Le risque terroriste semble, dans certains cas, avoir également un effet pouvant aller jusqu'à 6 % des prix des logements.

Les prix des logements sur le marché immobilier reflètent les avantages et les désavantages liés à la localisation de ces logements. Ainsi, la qualité des écoles (voir par exemple Gabrielle Fack et Julien Grenet (2010); cet article était déjà discuté sur BSI Economics) ou le niveau sonore (Pope, 2008) dans un quartier vont impacter les prix des logements.

Les prix de ces logements vont-ils également refléter les risques associés à certaines localisations, par exemple les risques naturels et industriels ? En théorie, ils le devraient : un agent rationnel,  informé et averse au risque doit être « compensé » pour s’exposer à un risque. En conséquence, une maison située en zone inondable devrait être vendue moins cher qu’une maison exactement similaire située dans une zone plus sure.

Toutefois, la réalité est parfois plus complexe que le paragraphe précédent ne le suggère. En premier lieu, des mécanismes assurantiels. En second lieu, les acteurs, en particulier les acheteurs, peuvent ignorer ces risques ou être incapables de les évaluer correctement. L’article de Pope (2008) est en ce sens révélateur. Pope étudie l’impact d’une mesure obligeant un aéroport (Raleigh–Durham  en Caroline du nord) à révéler de façon plus transparente le niveau de bruit dans ces environs sur les prix immobiliers. Il montre alors que l’effet négatif du bruit sur les prix des logements augmente de 37 % après la mise en place de cette mesure (un logement se situant dans la zone la plus bruyante se vendait 7,8 % moins cher qu'un logement similaire en dehors de la zone de bruit avant la mise en place de cette mesure. La chute de prix est de 10,9 % après la mesure), suggérant ainsi qu’il était auparavant sous-estimé. De même pour les catastrophes naturelles ou industrielles, c'est souvent après un « événement » que les prix immobiliers réagissent à ces « dangers ».

Cet article recense quelques études montrant la relation entre « risques » et prix immobiliers en se concentrant notamment sur (1) les risques naturels, (2) les risques industriels et (3) le risque terroriste.

Les risques naturels

Comme le rappelle A. Mauroux (2015a,b), bien que la littérature économique a depuis longtemps posé la question de l’impact des risques naturels sur les prix des logements, les études sur ce sujet restent rares en France. Une situation relativement paradoxale dans un pays où environ 6,8 millions de personnes vivent en zone inondable (A. Mauroux, 2015a).

Il existe toutefois quelques études comme celle de Deronzier et Terra (2006) sur la ville de Charleville-Mézières qui connut une inondation majeure en 1995. L’intérêt de cet article est de montrer que durant la période 1984-1994, soit avant la crue de la Meuse, l’écart des prix des logements entre zone inondable et zone non inondable était négligeable. A. Mauroux (2015a) explique que dans certaines villes, les prix des logements peuvent même être parfois supérieurs puisque le risque d’inondation est corrélé avec le fait de vivre à proximité d’un cours d’eau, ce qui peut-être valorisé par les acheteurs.

En revanche, après la crue de la Meuse, les prix des logements en zone inondable étaient, à  Charleville-Mézières, inférieurs de plus de 20 % à ceux des logements situés en zone non inondable (environ 23 000€ pour le logement moyen). Par ailleurs, cette différence de prix s’est maintenue dans le temps (au moins jusqu’en 2004, dernière année considérée dans l’étude de Deronzier et Terra), peut-être parce qu’un plan de prévention des risques adoptés en 1999 ainsi qu’une seconde crue en 2001 ont pu rappeler les risques aux publics.

Un autre élément intéressant rappelé par A. Mauroux (2015a), est que le montant ainsi estimé semble largement supérieur au coût moyen d’un sinistre. Cela pourrait refléter une aversion au risque extrêmement forte du public. En résumé, cet exemple suggère que le public est très averse au risque mais généralement trop ignorant des risques pour les prendre en compte en l’absence d’un signal fort (ici une crue récente).

Les risques industriels

Le paragraphe précédent montre que le marché immobilier n’intègre pas de façon évidente les risques naturels. On peut se demander s’il en est de même avec les risques industriels. Plusieurs études économiques ont récemment utilisé des accidents industriels, comme par exemple la catastrophe de Fukushima au Japon ou celle d’AZF à Toulouse, afin de mesurer si les prix des logements à proximité d’autres centrales nucléaires ou d'autres usines chimiques réagissent à la survenance d’un risque industriel.

Bauer, Braun et Kvasnicka (2017) montrent ainsi qu'après la catastrophe de Fukushima, les prix de mise en vente des logements aux alentours des centrales nucléaires allemandes dont l'activité a continué après la catastrophe ont baissé de 3,4 % en moyenne. Si cet effet n'est pas négligeable, il est à mettre en contraste avec les 9 % de diminutions des prix aux alentours des centrales allemandes qui furent fermées après la catastrophe de Fukushima. Les auteurs attribuent ce dernier effet à un choc négatif sur le marché du travail local (ces centrales, puisqu'elles furent fermées, ne représentent plus un « risque »). Ce résultat suggère que si la prise de conscience d'un « risque » a un effet non négligeable sur les prix, cet impact est toutefois inférieur à celui résultant d'un choc économique. Notons également que l'effet d'une prise de conscience d'un risque peut être hétérogène. Ainsi, Ando, Dahlberg et Engström (2017) ne trouvent aucun impact de la catastrophe de Fukushima sur les prix de vente des logements suédois aux alentours des trois centrales nucléaires suédoises. On peut donc supposer que l'effet de ces risques peut dépendre de plusieurs facteurs, comme la confiance des acteurs en leur gouvernement, l'âge des centrales, etc. qui peuvent être différents en Suède et en Allemagne. Toutefois ces variables ne sont pas discutées dans les articles et il est difficile d’en estimer l’impact.

En se servant de la catastrophe d'AZF en 2001, Bléhaut (2015) montre que l'effet d'une catastrophe industrielle sur les prix de l'immobilier ne se limite pas au cas du nucléaire. Elle trouve ainsi une différence de prix de 1-2 % dans les zones à risque. Elle montre également que le taux de vacance des logements situés dans les zones à risques augmente de 0,3 point de pourcentage. Notons une fois encore que cet effet peut être très hétérogène : Grislain-Létrémy et Katossky (2014) montrent ainsi que l'effet sur prix de la proximité d'usines chimiques peut être très différent en fonction de la zone étudiée. En étudiant trois zones (Bordeaux, Dunkerque et Rouen), les auteurs  trouvent un impact négatif uniquement dans le cas de Rouen.

Le risque terroriste

Le risque terroriste est intensivement médiatisé aujourd'hui. Aussi, =on peut se demander si la perception de ce risque influence le marché immobilier. Deux articles récents s'appuient ainsi sur (a) les attaques de Londres en 2005 (Maneleci, 2017) et (b) les attaques de rockets en Israël en 2006 (Elster, Zussman et Zussman, 2017) afin de mesurer si les logements « à risques » subissent une baisse des prix.

Après les attaques de Londres,  Maneleci (2017) montre par exemple que les prix des logements dans la proximité immédiate des stations de métro importantes de Londres et de Manchester ont respectivement baissé de 6 % et de 14 % (la différence entre les deux peut être expliquée par différents facteurs et des raisons techniques) et que cette baisse des prix a pu perdurer pendant plusieurs années (un an dans le cas de Londres, au moins trois ans à Manchester).

Elster, Zussman et Zussman (2017) trouvent eux aussi une baisse de prix marquée dans les localités les plus affectées par les attaques de roquettes menées par le Hezbollah libanais durant la seconde guerre Israélienne au Liban (-6-7 %), un effet qui a pu durer plus de six ans (jusqu'en 2012, dernière année observée par les auteurs). Notons toutefois que dans les deux cas, les effets mesurés sont à la fois les conséquences d'une perception accrue du risque et d'un choc économique. En effet, le risque d'attaques terroristes peut dissuader des entreprises de s'installer dans ces zones, et les rendre ainsi moins attractives pour les acheteurs.

Conclusion 

Cet article discute l'impact des risques naturels, industriels et terroriste sur les prix immobiliers. Il montre qu'après un événement « révélant » ces risques, les acheteurs sont prêts à payer moins cher pour acquérir (ou louer) des logements dans ces zones.

Les effets importants des catastrophes naturelles et industrielles sur les prix immobiliers dans les zones « à risques » rappellent l'importance de l'information sur les marchés immobiliers et en l'espèce, bien souvent de l'importance de l'ignorance des acheteurs quant à la gravité de ces risques. En plus des motifs écologiques, sécuritaires et de santé publique, cela justifie une fois encore une action des autorités publiques afin d'informer le public sur la nature, la fréquence et la dangerosité de ces risques.

Références :

Gabrielle Fack et Julien Grenet, When do better schools raise housing prices? Evidence from Paris public and private school, Journal of Public Economics, 2010, vol.94

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0047272709001388

Jaren. C Pope, Buyer information and the hedonic: The impact of a seller disclosure on the implicit price for airport noise, Journal of urban economics, 2008, vol.63

http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119007000319

Patrick Deronzier et Sébastien Terra, Bénéfices économiques de la protection contre les risques d'inondation, document de travail du ministère de l'environnement et du développement durable, série étude 06 – E05.

http://www.side.developpement-durable.gouv.fr/EXPLOITATION/ACCRDD/doc/IFD/IFD_REFDOC_TEMIS_0062929/benefices-economiques-de-la-protection-contre-le-risque-d-inondation

Amélie Mauroux, Risques et marchés immobiliers – l'influence du risque d'inondation sur les prix des logements, Commissariat Général au Développement Durable, série “Le point sur”, n°214, Novembre 2015.

http://www.side.developpement-durable.gouv.fr/EXPLOITATION/DRBRET/doc/IFD/IFD_REFDOC_TEMIS_0083304/risques-et-marches-immobiliers-l-influence-du-risque-inondation-sur-le-prix-des-logements

Amélie Mauroux, Exposition aux risques naturels et marchés immobiliers, Revue d'économie financière, 1,N°117,  2015.

https://www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2015-1-page-91.htm

Marianne Bléhaut, Risques industriel, prix des logements et ségrégations résidentielle, Revue Française d'économie, 1, 2015.

https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2015-1-page-137.htm

Céline Grislain-Letrémy, Arthur Katossky, The impact of hazardous industrial facilities on housing prices: a comparison of parametric and semi-parametric hedonic price models, Regional Science and Urban Economics, 2014, Vol 49.

http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0166046214000994

Yael Elster, Asaf Zussman et Noam Zussman, Rockets: the housing market effects of a credible terrorist threats, Journal of urban economic, 2017.

http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119017300086

Isabela Manelici, Terrorism and the value of proximity to public transportation: Evidence from the 2005 London bombings, Journal of urban economic, 2017.

http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119017300694

Thomas K.Bauer, Sebastian T.Braun andMichaelKvasnicka, Nuclear power plant closures and local housing values: Evidence from Fukushima and the German housing market, Journal of Urban Economics,

Volume 99, May 2017, Pages 94-106.

http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119017300074

Ando, M., Dahlberg, M., Engström, G., The risks of nuclear disaster and its impact on housing prices. Economics Letters, 2017,

http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0165176517300629?via%3Dihub

Diplômé de l'École d'Économie de Toulouse, Christophe est Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux. Ses travaux portent sur les politiques publiques, notamment au niveau local, l'économie urbaine et l'histoire économique. Ses domaines d'intérêts portent sur l'ensemble des politiques publiques.

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