Pourquoi la Chine a-t-elle un rôle central dans l’univers des crypto-monnaies ?

Résumé :

·         La Chine s’est imposée comme un acteur incontournable du développement des crypto-monnaies grâce à des avantages comparatifs dans le « minage » et à un fort intérêt des épargnants domestiques ;

·         Depuis début 2017, les autorités chinoises ont mis en place une série de restrictions déstabilisant à l’échelle mondiale les marchés des crypto-monnaies ;

·         Les « mineurs » chinois - acteurs assurant l’enregistrement et la vérification des transactions - jouent un rôle décisif dans l’avenir du bitcoin et sont incontournables dans sa gouvernance.      

La Chine s’est imposée comme un acteur incontournable du développement des crypto-monnaies. Elle est à l’origine de plus des deux tiers des « émissions » ou « minage »de bitcoins, plus importante crypto-monnaie en capitalisation, valorisée à près de 112 Mds USD le 31 octobre 2017.

La conjonction d’avantages comparatifs dans leur développement et d’un intérêt des épargnants chinois expliquent le développement rapide des crypto-monnaies. En 2017, la mise en place d’un encadrement strict du régulateur chinois pour contenir les risques financiers a fortement déstabilisé à l’échelle mondiale le marché des crypto-monnaies et illustre la forte influence des autorités chinoises sur l’écosystème.

Les « mineurs » chinois, acteurs assurant l’enregistrement et la vérification des transactions de bitcoin, détiennent en outre un rôle central dans la gouvernance du bitcoin. Ils pourraient être amenés à jouer un rôle déterminant dans le débat de mise à l’échelle du bitcoin dans le but de permettre à la blockchain de procéder un nombre plus important de transactions.

1) La Chine s’est imposée comme un acteur incontournable du développement des crypto-monnaies

La Chine dispose d’avantages comparatifs dans « l’émission » ou plus précisément le « minage » des crypto-monnaies, et expliquerait que la majorité des capacités de « minage » y serait implantée.

La Chine abriterait ainsi près de 58 %[1] de la puissance de minage ou hash rate du bitcoin, loin devant les Etats-Unis avec seulement 16 %. Les crypto-monnaies, dont le bitcoin, utilisent la technologieblockchain, afin d’assurer le stockage et la transmission d’informations, sécurisées, sans organe central de contrôle. Les transactions de crypto-monnaies sont regroupées au sein de blocs, validés par la résolution de problèmes cryptographiques par des mineurs rémunérés en crypto-monnaies pour la mise à disposition de leur capacité de calcul. Ces derniers sont majoritairement regroupés au sein de coopératives de « mineurs », telles qu’AntPool, BTC.com et F2Pool pour le bitcoin en Chine. Ces coopératives sont toujours autorisées par les autorités à ce stade.

La rentabilité du minage dépend de trois principaux facteurs :

(i)                 Un coût faible de l’électricité

(ii)               La disponibilité de matériel informatique spécialisé et performant

(iii)             La rapidité de la connexion internet pour recevoir et transmettre des données.

L’accès à une électricité très bon marché est devenu possible en Chine grâce au prix de l’électricité administré à un niveau faible par et une production électrique issue de la combustion du charbon (64 %) ou de l’énergie hydraulique (9 %), tandis que le producteur de matériel informatique chinois, Bitmain, fournis les mineurs en puces informatiques spécialisées. Enfin, la rapidité de la connexion internet a été favorisée par les investissements en infrastructures importants, nécessaires pour faire face à la demande de la plus grande population d’utilisateurs d’internet dans le monde. Ces caractéristiques confèrent aux mineurs de crypto-monnaies chinois un avantage avéré dans un environnement extrêmement compétitif, nécessitant des investissements significatifs en matériel spécialisé.

L’attractivité des crypto-monnaies, pour les investisseurs notamment les ménages, explique une très forte demande pour cette classe d’actif. Les ménages chinois subissent de plein fouet la « répression financière » du système financier, canalisant leur épargne vers les entreprises d’Etat à travers le système bancaire quasi-intégralement étatique au détriment du rendement de leur épargne, rémunérée à des taux d’intérêt réels faibles. Par ailleurs, les restrictions sur les mouvements de capitaux privent ces épargnants d’accès aux actifs d’investissement internationaux.

Pour les épargnants chinois, les crypto-monnaies représentent ainsi une source de diversification de leur portefeuille présentant une bonne liquidité et des retours sur investissement très dynamiques (+ 823 % et + 2683 % en g.a. le 31 octobre 2017 respectivement pour le bitcoin et l’ether, les deux principales crypto-monnaies, cf. Graphique 1). En outre, les crypto-monnaies, notamment le bitcoin, confèrent à ces investisseurs la possibilité de transférer des fonds à l’international en dehors du système bancaire traditionnel, où les opérations sont soumis à des contrôles stricts[2] . Ainsi jusqu’en février 2017, le yuan était de loin la devise la plus convertie en bitcoin (cf. Graphique 2). Elles pourraient ainsi avoir partiellement contribué aux sorties massives des capitaux estimée en 2016 à 725 Mds USD selon l’Institute of International Finance.

Graphique 1 : Prix du Bitcoin et de l’Ether

Graphique 2: Part des conversions entre Bitcoin et devises

2) Poursuivant l’objectif de réduction des risques financiers, les autorités chinoises ont mis en place une série de restrictions depuis début 2017

Dès le début de l’essor du bitcoin, les autorités ont décidé de considérer les crypto-monnaies comme des produits de spéculation, interdisant leur utilisation comme moyen de paiement. En décembre 2013, la PBoC et cinq autres administrations ont interdit l’utilisation du bitcoin comme monnaie d’échange pour les institutions financières et bancaires, le classifiant comme « actif virtuel qui n’a pas le statut de monnaie »[3] . Il est donc impossible de payer légalement avec des bitcoinsen Chine.

Pour limiter la fuite illégale des capitaux et contenir les risques financiers, la PBoC a ensuite mis en place une supervision étroite. Suite à une série d’enquêtes sur les plateformes d’échange de bitcoins, la Banque centrale a publié le 9 février 2017 un avertissement rappelant les comportements interdits :

(i)                 L’appel de marges (margin trading) en bitcoins ;

(ii)               Le blanchiment d’argent ;

(iii)             Le non-respect de la réglementation sur les échanges de devises, en particulier le quota annuel fixé à 50 000 USD par personne par an ;

(iv)              La publicité mensongère.

Suite à cette annonce, les principales plateformes d’échange de crypto-monnaies en Chine, Okcoin, Huobi et BTCC ont suspendu temporairement le retrait de devises à la demande du régulateur. Ces restrictions ont été levées en juin 2017, après une mise en conformité des plateformes et notamment le renforcement des mécanismes d’identification des utilisateurs. Ces restrictions et l’élévation des frais de transactions sur les plateformes ont conduit à un effondrement du volume des transactions et du volume de conversion entre le bitcoin et le yuan (cf. Graphique 2 et 3).

Graphique 3: Transactions sur les plateformes d’échange de Crypto-monnaies

L’annonce des autorités chinoises le 4 septembre de l’interdiction de lever des fonds par émissions de crypto-monnaies (Initial Coin Offerings ou ICOs) a fortement déstabilisé le marché. Les prix des deux principales crypto-monnaies, le bitcoin et l’ether, ont respectivement chuté de 24 % et de 26,5 % en dix jours. Soucieux de contenir les risques financiers en amont du 19éme Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) clôturé en fin octobre, les autorités ont de surcroît imposé aux institutions ayant levé des fonds par ICO de rembourser les investisseurs en intégralité menaçant ainsi la continuité de projets ayant réalisé une ICO en Chine tels que NEO, OmiseGo et BitConnect. Dans la foulé les plateformes d’échange chinoises ont tour à tour annoncé leur fermeture entre septembre et octobre.

3) Les mineurs chinois jouent un rôle décisif dans l’avenir du bitcoin et sont incontournables dans sa gouvernance

Les mineurs chinois jouent un rôle central dans le débat sur la mise à l’échelle du protocole du bitcoin, qui déchire l’écosystème depuis des années. Le rôle central des mineurs chinois dans la gouvernance du bitcoin s’explique par la concentration du minage en Chine et la nature décentralisée du bitcoin imposant un consensus des mineurs pour une modification du protocole de validation des blocs. Le débat de mise à l’échelle du bitcoin a émergé en raison du problème croissant de congestion de la blockchain du bitcoin qui est aujourd’hui en capacité de procéder seulement 3 à 4 transactions par seconde, tandis qu’en comparaison Visa peut en procéder près de 1600[4] . La taille du bloc du bitcoin étant limité à 1 mégaoctet, le bloc ne peut enregistrer qu’un nombre réduit de transactions, en deçà des besoins réels.

Ce débat complexe et technique pourrait se résumer à la difficulté des acteurs de l’écosystème avec des intérêts différents à former un consensus. Après avoir entrepris d’importants investissements en infrastructure informatique, les coopératives de mineurs chinois souhaiteraient préserver leur retour sur investissement avec le maintien d’un prix du bitcoin et de frais de transactions élevés. Ils sont, à l’instar de Jihan Wu, CEO de Bitmain, majoritairement en faveur d’une augmentation de la taille des blocs qui permettrait de procéder plus de transactions et avantagerait les mineurs avec une forte puissance de calcul.

D’autres, nombreux parmi les core developpers - communauté contribuant au développement du code source, principalement basés dans les pays occidentaux - sont inquiets qu’une augmentation de la taille des blocks mette en péril la décentralisation du système en favorisent les coopératives de mineurs ayant fortement investi au détriment de petits mineurs. La Chine semble ainsi être incontournable dans ce débat et de nombreuses propositions de mise à l’échelle, à l’instar de Bitcoin XT, ont échoué face à l’opposition de mineurs chinois.

Néanmoins les acteurs de l’écosystème du bitcoin semblent avoir trouvé une solution provisoire avec l’Accord de New York signé en mai 2017 par une très large partie des acteurs de l’écosystème du bitcoin, dont des mineurs représentant près de 80 % du harsh rate. Cet accord prévoit dans un premier temps l’implémentation du processus Segregated Witness (SegWit) permettant d’enregistrer plus de transactions sur le block sans en augmenter la taille. Dans un second temps la taille du block devrait être élevée à 2 mégaoctets avec la mise en place de SegWit2x. Si la mise en place de la première phase de l’accord a été quasiment achevée, la mise en place de la seconde phase prévue pour mi-novembre reste confrontée à l’opposition de certains core developpers.

Conclusion

La Chine est un acteur incontournable de l’écosystème des crypto-monnaies notamment du bitcoin. Du côté de l’offre, elle abrite la majorité des mineurs de bitcoin qui fournissent la puissance de calcul permettant à la crypto-monnaie de s’échanger. Du côté de la demande, les crypto-monnaies représentent un actif attractif pour les ménages confrontés à une répression financière massive et au contrôle sur les sorties de capitaux.

Afin de contenir les risques financiers en amont du 19éme Congrès du Parti Communiste Chinois, les autorités chinoises ont très strictement encadré la détention de crypto-monnaies poussant jusqu’à la fermeture des plateformes d’échange.

Le mois de novembre pourrait se révéler être un mois décisif pour les crypto-monnaies. La clôture du 19éme Congrès fin octobre pourrait tout d’abord signifier en Chine une réouverture progressive des plateformes d’échange sous un contrôle renforcé. Tandis qu’une augmentation de la taille des blocs du bitcoin prévue en novembre, si elle n’était pas consensuelle pourrait aboutir à une scission (fork) du bitcoin avec pour conséquence l’apparition de deux crypto-monnaies distincts.

Article coécrit avec Guillaume Thibault


[1] Global Cryptoccurrency Benchmarking Study, Cambridge Center for Alternative Finance, April 2017

[2] Les CNY sont d’abord convertis en bitcoins avant d’être envoyé vers une plateforme d’échange vers d’autres monnaies.

[3] Cf. Source (en chinois) http://www.pbc.gov.cn/goutongjiaoliu/113456/113469/2804576/index.html

[4] Software Engineering Daily, Bitcoin Segwit with Jordan Clifford

Diplômé de l'École Normale Supérieure de Cachan, de l'Université Paris Dauphine et Agrégé en Economie Gestion, Benjamin Pan est Analyste Sénior en Valorisation et Economiste à PwC Pékin. Avant de rejoindre PwC, Benjamin a été Attaché Financier en charge de la Chine à la Direction Générale du Trésor. Ses centres d'intérêt portent principalement sur la valorisation des actifs, les réformes économiques et le système financier chinois.

Dans la même catégorie :

Standard Post with Image

Copie de Du retour de la volatilité au risque de crise : Le prix de la "normalisation" monétaire (Note)

Standard Post with Image

Du retour de la volatilité au risque de crise : Le prix de la "normalisation" monétaire (Note)

Standard Post with Image

2Du retour de la volatilité au risque de crise : Le prix de la "normalisation" monétaire

Standard Post with Image

Les règlements européens permettront-ils une véritable transition vers une économie durable ? (Etude)