Le franc CFA à l’heure des choix

Résumé :

•      Le franc CFA désigne la monnaie de deux unions monétaires distinctes, sa libre convertibilité en euros est garantie par la Banque de France à taux fixe avec l’euro ;

•      Il est source de stabilité en termes de croissance et d’inflation particulièrement comparé aux pays africains qui ne l’utilisent pas ;

•      Mais son fonctionnement actuel est contesté notamment parce qu’il prive les pays membres de toute souveraineté monétaire et ses gains microéconomiques sont mitigés.

Le franc CFA est utilisé par environ 150 millions d’habitants. Créé au lendemain de la Seconde guerre mondiale, il a résisté aux mouvements de décolonisation en Afrique et constitue aujourd’hui une des dernières traces institutionnelles de l’empire colonial français. Théoriquement justifié par ses gains en termes de stabilité et de crédibilité du taux de change, il fait aujourd’hui l’objet de nombreuses critiques.

En effet, la libre convertibilité en euros et la parité fixe limitant les incertitudes liées au change ont pour contrepartie l’absence de souveraineté monétaire, et ses gains microéconomiques sont contestés.

Fonctionnement et historique du franc CFA

Le franc CFA désigne la monnaie de deux zones monétaires d’Afrique, regroupant au total 14 pays. D’une part, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) où le franc CFA signifie franc de la Communauté Financière Africaine, qui comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. D’autre part, la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC) dont la monnaie est le franc de la Coopération financière africaine, regroupe le Cameroun, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine et le Tchad. Si l’on ajoute, les Comores ainsi que trois territoires du Pacifique (Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Nouvelle Calédonie), on obtient l’ensemble de la zone franc.

Schéma. Pays du franc CFA

Source : BSI Economics

Aujourd’hui, 1 euro vaut 655,957 francs CFA de l’UEMOA ou de la CEMAC. Cette parité fixe est garantie par le Trésor Français : on peut librement convertir du franc CFA en euro à ce taux. Mais les deux zones ne constituent pas une union monétaire entre elles : depuis 1993, un franc CFA de l’UEMOA ne peut pas être utilisé pour régler dans la CEMAC et inversement, il faut passer par une conversion et donc s’acquitter de frais de change.

La libre convertibilité est assurée par un droit de tirage sur un compte d’opération auprès du Trésor français, que les banques centrales des deux zones peuvent utiliser en cas d’épuisement de liquidités. En contrepartie de cette garantie de convertibilité en euros, celles-ci doivent déposer 50 % de leurs réserves officielles sur ce compte qui fonctionne comme un compte à vue, donc rémunéré[i]. Egalement, la garantie s’assortit d’un certain nombre de contrôles des politiques budgétaires, monétaires et de change des pays membres.

Ces deux zones se sont transformées au cours des mouvements d’indépendance et de la décolonisation.Désignant au départ franc des colonies françaises, le franc CFA nait en 1945 lors de la ratification par la France des accords de Bretton-Woods. Les pays membres disposent alors d’une monnaie commune à leur zone respective à taux de change fixe avec le franc : un franc CFA de l’époque vaut alors 2 centimes de franc français. La libre convertibilité en franc est assortie du compte d’opération cité plus haut, et d’un contrôle strict des politiques monétaires.

Alors qu’en 1958 le franc CFA devient le franc de la communauté française d’Afrique, il est de plus en plus accusé d’entretenir une dépendance envers l’ancien colonisateur. Plusieurs pays abandonnent le franc CFA (Guinée en 1960, Mali en 1962, Madagascar en 1973), ce qui met en partie en évidence ses vertus stabilisatrices (le Mali adopte à nouveau la monnaie commune en 1984). Il est dévalué de moitié en 1994, puis arrimé à l’euro en 1999 sans changement au niveau de son fonctionnement institutionnel. Aujourd’hui, la crise de la zone euro a ravivé les critiques dirigées vers le franc CFA.[ii]

Les avantages supposés du franc CFA

L’argument le plus souvent avancé en faveur du franc CFA est qu’il est garant d’une stabilité économique pour ses pays membres, notamment en termes d’inflation.

L’ancrage à une monnaie stable, l’euro, ainsi que la libre convertibilité ont d’abord des avantages en soi. Cela permet des gains microéconomiques en limitant l’incertitude liée aux variations du change, renforçant la crédibilité du franc CFA et favorisant en théorie l’afflux de capitaux étrangers. De plus, cela protège les pays membres de mouvements violents de change, qui peuvent revaloriser les dettes et produits d’importations libellés en monnaie étrangère.

La parité fixe s’accompagne à travers les statuts de la Banque de France d’une surveillance étroite de la politique monétaire des banques centrales du franc CFA, excluant toute politique monétaire expansionniste. Ceci jugule efficacement l’inflation des pays membres. C’est particulièrement vrai lorsque l’on compare la situation des pays utilisant le franc CFA à celle des autres pays Africains. En effet, on observe que l’écart-type de l’inflation de la plupart des pays de l’UEMOA et de la CEMAC est inférieur à 5 %. L’écart-type étant une mesure de la dispersion d’une grandeur économique, on peut voir que les pays membres bénéficiant d’une plus grande stabilité des prix que les autres pays d’Afrique sont ceux se situant plus haut sur l’échelle des ordonnées. Cette faible volatilité relative se retrouve au niveau de la croissance, relativement stable également. En empêchant toute politique de type « planche à billets »[iii], le franc CFA limite les périodes de forte hausses des prix voire d’hyperinflation qui détruisent la valeur de la monnaie.

Graphique 1. Ecart-types de la croissance et de l’inflation en Afrique

Sources : Banque mondiale, BSI Economics

De plus, ne pouvant recourir à la monétisation de la dette, ceux-ci doivent faire preuve de discipline budgétaire sous peine de rencontrer des problèmes de trésorerie (ils sont d’ailleurs soumis à une règle budgétaire limitant le déficit public à 3 % du PIB similaire à celle des pays européens). Cette surveillance permet d’éviter les politiques budgétaires potentiellement déstabilisantes

Cependant, le déficit public peut être financé sur les marchés à travers l’émission d’euro-obligations par exemple. Les pays africains connaissent d’ailleurs un engouement croissant envers leurs titres souverains.[iv] Cette stabilité monétaire et budgétaire permet aux gouvernements de bénéficier de taux moins élevés, comme pour la Côte d’Ivoire et le Sénégal à travers des primes de risque réduites. Cela favorise l’endettement public externe, mais la rigueur budgétaire et la stabilité monétaire le rendre justement plus facile et moins coûteux. On bénéficie en plus d’une diversification du type de créanciers (on dépend notamment moins de l’aide internationale et des prêts concessionnels) et d’un allongement de la maturité de la dette, limitant l’exposition au risque de refinancement à court terme.

L’unification monétaire entre pays membres permet également la suppression des coûts de transaction et du risque de change lors des échanges intra-zone. Ceci constitue un autre gain microéconomique : elle stimule théoriquement la croissance à travers l’intégration commerciale.

Enfin, se doter de la même monnaie est une étape importante dans le processus d’intégration et appelle en principe à une coopération et / ou coordination d’un ensemble plus large de politiques économiques. On ouvre donc la voie à la convergence des politiques nationales sensées générer des économies d’échelle et des effets de spillover (déversement) positifs comme la construction d’un marché commun, le lancement de projets d’investissements ou une meilleure surveillance multilatérale. Par exemple, un projet de libre circulation des personnes, à travers la suppression des visas pour traverser les frontières est en cours pour les pays de la CEMAC.

Une institution critiquée

La critique majeure adressée au fonctionnement actuel du franc CFA est qu’il prive ses pays membres de toute indépendance monétaire. Les décisions de politique monétaire doivent obtenir l’aval de la Banque de France. La souveraineté budgétaire est elle aussi fortement encadrée par un ensemble de mécanismes de surveillance. On peut penser en soi que certains pays gagneraient à mener, ou à pouvoir décider de le faire, des politiques expansionnistes en fonction de la conjecture. Par exemple, cette surveillance pourrait empêcher un gouvernement de mener une politique de relance de type Keynésienne, par la dépense publique, en finançant des projets d’investissements. Pour ces raisons, l’arrangement institutionnel qui lie les pays du franc CFA (et plus généralement de la zone franc) à la France et à l’euro est considéré comme une tutelle monétaire.

Dans le cas présent, ce manque d’indépendance est d’autant plus dommageable que la politique monétaire décidée au niveau européen n’est pas adaptée aux besoins des pays. L’euro surévalué par rapport aux fondamentaux pénalise notamment leurs exportations. Les pays membres sont donc contraints de subir des décisions de politique économiques qui vont à l’encontre de leurs intérêts.

Par ailleurs, conformément à la théorie des zones monétaires optimales[v], la perte du contrôle du taux de change et de la politique monétaire pour faire face aux chocs asymétriques doit être compensée par des mécanismes d’ajustement alternatifs afin de  justifier la monnaie commune. Notamment, la mobilité des facteurs de production (travail, capital) et / ou des mécanismes de transferts de type budget communautaire doivent faciliter la réallocation des ressources des régions touchées vers les régions en meilleure condition. Pour les pays du franc CFA, la mobilité des travailleurs est loin d’être une réalité car la libre circulation des travailleurs est entravée par la nécessité pour les ressortissants de présenter un visa pour traverser les frontières (à l’exception du Cameroun et du Tchad). De plus, les marchés financiers sont trop insuffisamment développés pour permettre la circulation du capital. Enfin, pour les deux zones, il n’existe pas de mécanisme de transferts.

Du côté des avantages supposés de l’intégration monétaire cités plus haut, le franc CFA n’a pas permis aux pays membres de devenir des partenaires commerciaux privilégiés (graphique 2). Par exemple, pour les pays de la zone CEMAC, la part du commerce réalisé avec les autres Etats membres est faible au regard du ratio d’ouverture commerciale globale. L’intégration commerciale semble donc incomplète et les pays ne semblent pas vraiment bénéficier de coûts de transactions réduits.

Graphique 2. Ouverture commerciale intra-zone et globale de la CEMAC

Sources : BEAC, BSI Economics

De plus, la stabilité du taux de change n’est pas un gage d’afflux de capitaux étrangers. En particulier si le contexte institutionnel (climat des affaires, barrières administratives, corruption) réduit la rentabilité du capital ou génère de l’incertitude, les pays peuvent avoir du mal à attirer les financements extérieurs. Pour les pays du franc CFA, le montant de l’investissement direct étranger entrant reste faible (graphique 3), en tous cas en général inférieur à la moyenne des pays Africains. La crédibilité du taux de change doit donc s’accompagner de réformes structurelles permettant l’attractivité des territoires en termes d’IDE.

Graphique 3. Flux de financement étrangers

Source : Banque mondiale, BSI Economics

Enfin, le fonctionnement du compte d’opération fait aussi l’objet de critiques. La garantie de la libre convertibilité du franc CFA en euros a pour contrepartie le dépôt d’au moins 50 % des réserves officielles des banques centrales sur un compte auprès du Trésor français. Cette condition nécessaire au fonctionnement du franc CFA prive les pays de liquidités qui pourraient être utilisées pour répondre à d’autres besoins.

Conclusion

Au cours de ses 70 ans d’existence, le franc CFA s’est maintenu malgré l’indépendance des colonies françaises, et a permis une grande stabilité notamment des prix. Cependant, le fonctionnement du compte d’opération qui rationne les liquidités, les effets d’arrimage qui imposent les décisions de politiques monétaire européenne aux pays membres et des gains microéconomiques mitigés jettent le doute sur ses effets positifs. On peut envisager l’avenir du franc CFA comme celui d’une monnaie commune qui n’est plus arrimée à l’euro, rétablissant la souveraineté monétaire, ou encore arrimée à un panier de devises fait d’euros, de dollars, voire de yuans et d’autres devises.


[i]Les dépôts en réserves officielles des deux banques centrales Africaines sont rémunérés par le Trésor au taux de prêt marginal de la BCE jusqu’au montant de 50 % requit, puis au taux principal de refinancement au-delà.

[ii]Voir par exemple Sortir l'Afrique de la servitude monétaire : A qui profite le franc CFA ? (2016), édition la dispute.

[iii]La politique dite de la « planche à billet » consiste à recourir à la création monétaire pouvant servir à financer le déficit du gouvernement.

[iv]http://blogs.worldbank.org/opendata/sub-saharan-africa-s-sovereign-bond-issuance-boom

[v]Voir Mundell, R. A. (1961). A theory of optimum currency areas. The American economic review, 51(4), 657-665., McKinnon, R. I. (1963). Optimum currency areas. The American Economic Review, 53(4), 717-725., Kenen, P. (1969). The theory of optimum currency areas.

Diplômé du Master Economie Théorique et Empirique de l’Université Paris 1, Guillaume Claveres y effectue maintenant une thèse en économie internationale. Ses spécialités portent sur les marchés de changes et sur les questions d’unions monétaires, en particulier la zone euro.

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