Evolution des déséquilibres économiques de la France (Note)

Résumé :

·         La France présente des déséquilibres excessifs selon les critères européens et reste sous surveillance de la Commission Européenne ;

·         Le déficit budgétaire s’est réduit mais reste au-dessus du seuil des 3 %, l’Etat maintient son objectif de 2,7 % du PIB pour 2017 avec une hypothèse de croissance à 1,5 % ;

·         La France est dans une situation de déficits jumeaux, soit un déficit public et un déficit courant. Ces déficits peuvent affaiblir l’économie d’un pays, avec les risques d’augmentation de sa dette, de perte de confiance des investisseurs étrangers et la mise en place de politiques d’austérité rendues nécessaires pour arriver à l’équilibre budgétaire.

La crise financière a révélé au grand jour les risques liés aux interconnexions entre les économies. Les déséquilibres macroéconomiques d’un Etat peuvent affecter les économies des autres pays. Pour mieux analyser et contrôler les risques liés à ce phénomène, les institutions européennes ont mis en place un mécanisme d’alerte (RMA[1] ) effectif depuis 2012 qui vise à détecter et suivre les déséquilibres des Etats membres grâce à un tableau de bord et à un rapport annuel. Pour les pays présentant des déséquilibres significatifs, des procédures de déséquilibres macroéconomiques (PDM) peuvent être déclenchées qui consistent en un examen approfondi des causes et s’accompagnent de propositions pour résorber les déficits et / ou surplus.

En 2016, la Commission Européenne a procédé à un examen approfondi sur l’économie de 19 Etats. Parmi les 19 Etats membres suivis, six[2] pays ne présentaient à priori aucun déséquilibre, sept[3] pays avaient des déséquilibres et six[4] des déséquilibres excessifs selon les seuils fixés par la commission Européenne, dont la France

Dans cet article, nous nous intéresserons au cas de la France. Nous commencerons par étudier le déficit budgétaire et sa trajectoire au cours des dernières années, ainsi qu’une comparaison avec celle d’autres pays. Puis, nous verrons où se situe la France en matière de balance des transactions courantes avec un focus sur la balance commerciale. Nous conclurons par l’exposé des risques associés à ces déséquilibres et des conséquences potentielles pour l’avenir sur l’économie française.

1.     Les déficits jumeaux

La France présente des déficits structurels sur plusieurs grands agrégats macroéconomiques notamment un déficit budgétaire et un déficit de sa balance des transactions courantes. On dit que la France est dans une situation de déficits jumeaux[5] .

1.1   Le déficit budgétaire

La France affichait un déficit budgétaire[6] de 3,5 % de PIB en 2015 et 3,3% en 2016. Le gouvernement prévoit 2,7 % de déficit en 2017, soit légèrement au-dessous du seuil des 3 % du pacte de stabilité comme l’illustre le graphique ci-dessous. De son côté, la Commission Européenne anticipait plutôt un déficit de 3,4 % en 2016 et confirme le passage sous la barre des 3,0 % en 2017.

Le niveau de déficit de la France en 2016 est comparable à son niveau de 2008 (3,2 %), mais celui-ci avait fortement augmenté suite à la crise financière ave un pic à 7,2 % en 2009. Le déficit tend à se contracter depuis mais il est néanmoins resté élevé, au-dessus des 4,5 % pendant 5 ans jusqu’en 2014. Cela s’explique à la fois par une accélération, même modeste de la croissance (+0,2 % en 2014 et +1,2 % de PIB en 2015) entrainant une hausse des recettes fiscales (+2,2 Mds € des recettes de TVA et +1,9 Mds € sur la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques), mais également par la diminution de la charge de la dette avec des taux d’emprunts bas et par le recul des dépenses d’investissements des collectivités locales (-4,1 Mds € en 2015), faisant suite à la baisse de dotations de l’Etat de 11,5 Mds €. La France avait bénéficié jusqu’alors de plusieurs reports pour l’atteinte de l’objectif européen mais ce ne sera plus le cas en 2017. Le gouvernement compte atteindre cet objectif grâce à un effort de 1,5 Mds € sur les comptes de la sécurité sociale, au report en 2018 de réductions fiscales et grâce à une hausse de la croissance (estimée à 1,5 % du PIB en 2016 et 2017).

Comme l’illustre le graphique ci-dessus, la crise financière de 2008 et la crise des dettes de 2010 ont aggravé les déficits des pays européens et augmenté la pression sur ces derniers pour réduire activement ces déficits. L’Allemagne fait quant à elle figure de bon élève avec un surplus depuis 2014.

1.2   La balance des transactions courantes

Le compte des transactions courantes est un des trois composants de la balance des paiements avec le compte de capital et le compte financier.

La balance courante de la France affiche un déficit depuis 2005 mais s’améliore depuis 2012 passant de -2,9 % du PIB à -1,5 % en 2015. Les prévisions de la Commission Européenne préjugent d’un redressement de +0,4 % et +0,1 % en 2016 et 2017.  L’Allemagne affiche un excédent élevé de 8,8 % de son PIB en 2015 grâce à sa balance commerciale largement positive. Depuis 2013, l’Italie présente également un excédent qui atteint de 2,2 % du PIB en 2015. 

Comme l’illustre le graphique ci-contre, le déficit de la balance des transactions courantes de la France s’explique essentiellement par déficit de la balance commerciale. En effet, celle-ci est déficitaire depuis plusieurs années et s’établissait à -1,0 % de son PIB fin 2015 contre -1,4 % l’année précédente. Depuis 2002, le solde est négatif mais il tend à se redresser depuis 2011 où il atteignait -75,4 Mds € contre -58,3 Mds € en 2014 et -45,7 Mds € en 2015. Ce déficit coûte des points de croissance : 0,3 point de PIB en 2015 selon l’Insee et 0,5 en 2014. 

Un tel déficit de la balance commerciale pose la question de la compétitivité de la France que ce soit en termes de prix ou de valeur ajoutée des produits ou des services (c.-à-d. différenciation par l’innovation, niches, etc.). Le dynamisme de la croissance des économies émergentes, la faible diversification géographique des exportations ainsi que la faible croissance de la zone euro qui reste le premier marché à l’export pour la France expliquent en grande partie le recul de la part de marché de la France de 5,1 % en 2004 à 3,1 % en 2015. La France reste néanmoins le cinquième exportateur mondial selon l’Insee.

De son côté, l’Allemagne conserve une balance commerciale excédentaire élevée, 5,9 % de son PIB en 2015, et reste deuxième exportateur mondial. L’Union Européenne affiche également un surplus de 1,3 % de son PIB. L’Italie présente un solde positif depuis 2014 (1,0 %) et semble suivre une tendance haussière.

Ces déséquilibres qui perdurent sont révélateurs d’une insuffisance de croissance. En effet, le montant des importations, des revenus et transferts versés aux autres pays dépassent le montant de ceux reçus et des exportations. La France recourt alors à des financements étrangers pour combler ce déficit et ainsi porter sa croissance. Ces financements, investissements pour la croissance, doivent permettre d’augmenter le PIB, donc les revenus. Cependant, on constate que ce n’est pas suffisamment le cas.

2.     Les risques pour l’économie française

Le premier risque est l’augmentation de la dette publique. Le déficit budgétaire a eu pour conséquence une augmentation de la dette publique car l’Etat a continué d’emprunter pour faire face à ses dépenses. Ainsi, selon les chiffres de la Commission Européenne de 2015, la dette publique totale de la France n’a pas cessé d’augmenter depuis 2007 passant de 64,4 % du PIB (1 200 Mds €) à 95,8 % du PIB (2 060 Mds €). Une progression excessive de la dette publique française pourrait mener à une perte de confiance des investisseurs étrangers qui provoquerait une hausse des taux d’emprunts des obligations émises par l’Etat français. Une augmentation des taux provoquerait une hausse de la charge de la dette entrainant un cercle vicieux d’endettement de la France. On pense au cas de la Grèce, avec un défaut partiel du pays, même si cela représente le pire des scénarios. Il convient ici de noter que jusqu’à maintenant la France a bénéficié de taux d’emprunt peu élevés, tant grâce à la qualité de signature du pays que par le soutien de la Banque Centrale Européenne via sa politique de quantitative easing (QE) qui maintient des pressions à la baisse sur les taux obligataires souverains.

Un deuxième risque concerne le déficit commercial de la France. Afin de réduire le déficit de la balance courante, l’Etat pourrait soit mettre en place des mesures pour dynamiser les exportations mais avec des effets incertains, soit réduire les importations, notamment par des mesures protectionnistes avec le risque de mesures de rétorsions des pays partenaires. De plus, la baisse des importations réduirait la croissance et pourrait aggraver le déficit budgétaire en réduisant les recettes fiscales potentielles de l’Etat rendant plus difficile l’atteinte de l’objectif de déficit budgétaire de Maastricht de 3,0 % du PIB.

Le dernier risque est le possible ajustement brutal de la balance budgétaire par une politique d’austérité rendue nécessaire par un déficit excessif et prolongé. Une réduction trop rapide du déficit pèserait sur la croissance économique et pourrait entrainer la France dans la récession sur le court terme. Cela aurait pour conséquence une baisse des recettes fiscales et une aggravation du déficit budgétaire et menant la France dans un cercle vicieux d’endettement.                                                                                                                        

Ces déficits sont révélateurs d’un manque de dynamisme de la croissance économique de la France. Ils pourraient fragiliser la position de la France vis-à-vis de ses partenaires extérieurs car son économie fonctionne en quelque sorte à crédit. La France, malgré ses déficits, n’a pas connu de crise majeure car les investisseurs ont continué à acheter des obligations de la dette française à taux faible (1,14 % pour les obligations à 10 ans a été atteint durant la séance du 6 février 2017, soit « le plus haut » depuis 17 mois) et à investir dans ses entreprises, prouvant leur confiance dans la capacité de la France à rembourser ses dettes.

Conclusion

La France souffre de plusieurs déséquilibres comme le déficit des finances publiques et le déficit de la balance commerciale associés à un endettement important. Ces mêmes déséquilibres ont un impact à court et long terme sur l’endettement, sur la confiance des investisseurs étrangers ainsi que sur la croissance économique. Sur une note plus optimiste, la trajectoire d’un redressement des comptes publics et l’accélération de la croissance sont des signaux positifs pour l’activité économique. Mais les risques liés à des mesures brutales d’ajustements de la balance budgétaire ou de la balance courante pourraient peser à terme sur l’économie de la France.



[1] Rapport du Mécanisme d’Alerte

[2] Autriche, Belgique, Estonie, Hongrie, Roumanie, Royaume Uni

[3] Finlande, Allemagne, Irlande, Pays Bas, Slovénie, Espagne, Suède

[4] Bulgarie Croatie, Chypre France Italie Portugal

[5] Lorsqu’un Etat présente un déficit budgétaire et un déficit de sa balance des transactions courantes.

[6] Les dépenses des administrations publiques dépassent les recettes, le solde budgétaire qui en résulte est déficitaire.

Diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Reims (Neoma Business School) après un échange universitaire à la NHH Norwegian School of Economics. Quentin Blanc est actuellement chargé d'études économiques à l'Institut d'Emission des Départements d'Outre Mer (IEDOM), en Guyane. Il a travaillé à la Banque de France et dans la recherche macroéconomique chez Exane Ltd. Ses domaines d’intérêts portent principalement sur les interactions macroéconomiques, l’économie bancaire et le lien entre les indices de confiance et la dynamique économique.

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