Le capital des banques grecques et le mirage des impôts différés

Le capital des banques grecques et le mirage des impôts différés

Les accords de Bâle III signés en 2010 prévoient une phase de transition avant l’application pleine et entière des nouvelles exigences. Planifiée entre 2014 et 2019 pour le ratio de capital pondéré du risque, cette étape a été reprise par la directive CRR/CRD4[1] . Le passage de Bâle II à Bâle III s’est notamment traduit par un renforcement de la qualité des fonds propres (Common Equity Tier 1 - CET1[2] ) et une hausse des déductions[3] qui s’y rapportent, en particulier, les crédits d’impôts différés en ont été retirés (BRI, 2011).

Les crédits d’impôts différés

Le crédit d’impôt différé est comme une créance, lorsque le débiteur n'est pas un client,  mais le gouvernement, ou plus précisément son administration fiscale. Les entreprises peuvent se retrouver créditrices de leur centre d’impôts de plusieurs manières : ayant fait des pertes l’année précédentes, elles peuvent demander un crédit d’impôts pour l’année fiscale suivante, ou bien ayant réglé un impôt prévisionnel excessif, elles obtiennent le droit de déduire cet excès sur leur contribution de l’année suivante. Donc au lieu de rembourser directement l’entreprise, le gouvernent réduit la  facture d'impôt. Ainsi, les entreprises détenant des différés d’impôts ne sont en mesure de récupérer leur avoir que lorsqu’elles dégagent des revenus imposables. Le crédit d’impôt différé est donc une créance conditionnelle sur le gouvernement.

Le cas des banques des pays de la périphérie

En se basant sur les données mise à la disposition du public suite aux stress-tests menés par la BCE et l’EBA en Novembre 2014, le capital des banques des pays européens fragiles est constitué en majorité de ces éléments voués à disparaître à l’horizon 2018.

Arrangements transitoires voués à disparaitre à l’horizon 2018 (fin 2013),

échelle de gauche en % du CET1 et échelle de droite en milliards d’euros

Source : Arnould et Dehmej (2015), ABE, BSI Economics.

Notes : Le cas des arrangements négatifs du Luxembourg ou de Malte, est dû à la nouvelle prise en compte des profits non réalisés au sein du portefeuille d’actifs disponibles, qui dépassent les actifs déduits du CET1.

Cette épée de Damoclès concerne principalement les banques grecques (76%), irlandaise (64%) ou Portugaises. Mais concernant les crédits d’impôts, ce sont principalement les banques grecques qui se retrouvent en première ligne, avec 52% de leur capital CET1, qui est constitué de crédit d’impôts différés, ce qui représente 10 milliards d’euros (BCE, 2014).

Du capital de faible qualité

Les crédits d’impôts différés sont des créances des banques sur leur gouvernement, elles renforcent donc la dépendance entre le système bancaire et la dette souveraine nationale et augmentent le risque d’activation du « cercle vicieux » où tout soutient du secteur bancaire, alourdi la dette nationale et donc la qualité des actifs des banques qui peuvent de nouveau se retrouver en difficulté. Dans le cas de la Grèce, un défaut de l’Etat, impliquerait probablement un effacement de ces impôts différés et donc une disparition d'une part majeure du capital des banques grecques.

Il faut aussi prendre en considération le fait que ces impôts différés au capital des banques européennes ont été majoritairement créés lorsque les banques ont essuyé des pertes et qu’elles ne peuvent être remboursées qu’à condition de dégager du profit, ce qui est loin d’être le cas pour les banques grecques[4] .

Malgré un retrait de la définition du périmètre du capital prévu pour 2018, l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la Grèce ont mis en place un montage comptable, permettant à leurs banques de conserver ces crédits d’impôts différés en retirant leur qualité « différée », soit en les transformant en un équivalent d’action, rendant les Etats actionnaires des banques et les exposant encore davantage[5] , soit en les émettant sur le marché sous forme de titre financier.

Une procédure de d’évaluation de ce montage comptable a été lancée par l’Union Européenne en avril 2015, pour statuer sur son caractère d’aide gouvernementale indirecte, en violation des lois de la concurrence européenne[6] .

Notes:

[1] Ces directives transposent les recommandations de Bâle III dans le droit européen.

[2] Le CET1 constitue entre les 2/3 et les 3/4 des exigences de capital dans le cadre de Bâle III (BRI, 2011).

[3] Principalement les actifs intangibles, les participations croisées, les profits non réalisés au sein du portefeuille d’actifs disponibles et les crédits d’impôts différés basés sur des revenus futurs, voir BRI (2011).

[4] Par exemple, la National Bank of Greece a dégagé un profit annualisé net de -688 millions de dollar en Mars 2015.

[5] Dans le cadre d’un plan de résolution d’une banque en faillite, les actionnaires sont les premiers à éponger les pertes, bien avant les créanciers.

[6] Voir l’article du FT ou de Reuter

Références:

Arnould et Dehmej, 2015, “Une évaluation du « Comprehensive Assessment » de la BCE”, Policy Paper n° 5 - Labex Réfi

BCE, 2014, "Aggregate report on the comprehensive assessment", October 2014

BRI, 2011, “Basel III: A global regulatory framework for more resilient banks and banking systems”, BIS, June 2011

FT, 2015, “EU considers probe into unfair state aid for south European banks”, 6 April 2015

Reuters, 2015, “EU mulls probe into 'deferred tax assets' of southern Europe's banks”, 6 April 2015

Apres une thèse en économie à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne et un passage à la Banque Centrale Européenne, Guillaume travaille actuellement à la Banque d'Angleterre en temps qu'économiste chercheur. Ses domaines d'intérêts portent principalement sur la liquidité bancaire.

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