Contexte de l’émergence du Crowdfunding

Le crowdfunding, la naissance d’une nouvelle industrie dans le paysage de l’intermédiation financière mondiale – Partie 1

Résumé :

- Le crowdfunding est une industrie en plein essor qui représente plus de 5 Milliards de dollars levés en 2013 dans le monde, dont près des 2/3 aux États-Unis, et atteindrait 10 Milliards à fin 2014.

- En France, ce marché est en forte croissance en dépassant les 150 Millions d’euros levés en 2014, contre moins de 10 Millions avant 2011.

- Cette jeune industrie se structure et se fait une place dans le paysage du financement, aux côtés des banques et des acteurs traditionnels du financement des particuliers et des entreprises.

- La France est un des pays les plus avancé, tant au niveau réglementaire que par l’écosystème qui s’est constitué ces dernières années, et a tous les atouts pour devenir demain un acteur incontournable du financement participatif dans le monde.

Le crowdfunding nourrit actuellement l’ensemble de la presse financière ou économique. Ce phénomène récent intervient dans un contexte difficile, et où le financement des entreprises apparait comme la problématique la plus importante pour les économies développées depuis la crise bancaire.

1 - L’industrie culturelle en pleine mutation

Le crowdfunding est une jeune industrie née au cours de la première décennie du 21ème siècle et qui prend peu à peu de l’ampleur au sein de la grande industrie de l’intermédiation financière. Elle a su bénéficier des effets conjugués du développement d’internet, de l’émergence des sites communautaires à l’instar des forums et des réseaux sociaux comme phénomènes de société à l’échelle mondiale et de la raréfaction du crédit et du financement suite à la crise financière de 2008.

1.1 - Développement des communautés sur internet

L’industrie culturelle est en pleine mutation avec l’émergence d’internet et des avancées technologiques sur le traitement des données et autres innovations numériques. Son fonctionnement a été bouleversé. Ces dernières ont permis à une génération de promouvoir leurs travaux artistiques par le biais de plateformes communautaires comme MySpace, longtemps considéré comme un espace dédié aux jeunes compositeurs ou artistes musicaux permettant de mener vers les grands labels, l’accès à la production de leur album et à un public avec lequel de nombreuses interactions deviennent alors possibles.

En 2005, MySpace était le 4ème site le plus fréquenté, et a permis aux acteurs aujourd’hui largement répandus et connus d’émerger tel que le plus grand réseau social du monde, Facebook. MySpace a également participé à modifier le modèle économique de l’industrie musicale.

1.2 - Bouleversements de l’industrie créative

Accompagné d’un fort développement technologique et de la dématérialisation des œuvres musicales, cinématographiques et vidéo ludiques, les créatifs ont trouvé en internet un moyen d’expression, de promotion et de diffusion de leurs œuvres tout en profitant de coûts de production de plus en plus bas. Cependant, l’industrie créative peut se décomposer en deux champs bien distincts, l’un regroupant les pratiques historiques de l’industrie, et l’autre qui prend son essence dans les bouleversements technologiques, qui causent des mutations fortes dans les habitudes des consommateurs et dans les outils à disposition des créatifs. Cette idée est parfaitement résumée dans le panorama des industries culturelles et créatives : « Alors que les gains de productivité de l’économie sont exponentiels, il faut toujours deux heures et douze acteurs pour jouer le Tartuffe de Molière, que l’on soit en 1664 ou en 2015. »

Ceci induit que tous les pans de l’industrie n’évoluent pas de la même manière. Ainsi, selon le panorama des industries culturelles et créatives, la télévision, les jeux vidéo ou, dans une moindre mesure le cinéma, ont vu leurs recettes augmenter quand le marché de la musique, de la presse et de la radio affichent une nette décroissance de leur revenu. Ceci est notamment dû à la capacité des industries à s’adapter aux nouveaux modes de consommation et de diffusion de la culture comme le streaming ou le cloud et leur capacité à combattre le fléau que représente le piratage illégale d’œuvres culturelles. Ces nouveaux modes de consommation, insuffisamment encadrés par la réglementation, reposent sur le concept de peer to peer, qui fonctionne au sein de communautés plus ou moins développées par le partage et la coopération. Ainsi, la propriété n’est plus recherchée par la communauté, et le partage de contenu est optimal pour maximiser la consommation de toute la communauté qui peut profiter d’un bien dématérialisé sans nuire à la consommation des autres. La production culturelle devient dès lors  un bien commun et les modèles économiques doivent s’adapter à ce changement drastique.

2 - Emergence et développement de l’économie sociale et solidaire

Dans le même temps, les débuts du 21ème siècle sont marqués du sceau de l’économie sociale et solidaire (ESS) (cf. Économie sociale et solidaire : les enjeux actuels d’un secteur en plein essorde Lucia Lizarzaburu pour BSI Economics). Née dans les années 80 en France, cette nouvelle économie repose sur les valeurs sociales, démocratiques et solidaires par opposition à un capitalisme souvent considéré comme individualiste et basé sur le concept de propriété individuelle.

Augmentation du poids de l’ESS en France et en Europe

Entre 2000 et 2010, la France connait une croissance de l’emploi dans l’économie sociale de 23% quand, dans le même temps les emplois dans le secteur privé n’a été que de 7%. Près de la moitié des emplois concernaient les secteurs de l’action sociale. En Europe, la croissance des emplois entre 2003 et 2010 a été de 26%, portée par un fort engouement des principaux pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie. La France dans l’ESS occupe les premiers rangs en Europe. Ainsi, selon une étude[1] du CIRIEC[2] , la France comptait, en 2010, 2,3 Millions d’emplois, soit 9% de l’emploi en France, derrière la Suède (11%), la Belgique (10.3%) et les Pays-Bas (10.2%) et proche de l’Italie (9.7%).

Selon l’INSEE, le poids de l’ESS a continué d’augmenter, et s’est même accéléré suite à la crise financière de 2008. Ainsi, en France, la part de l’emploi dans les associations (qui compose près de 80% de l’ESS au côté des fondations, des coopératives et des mutuelles) a grimpé de 7,8% en 2007 à 8,1% en 2010[3] .

La principale caractéristique des structures qui composent l’écosystème de l’ESS réside dans un principe de solidarité ou d’utilité sociale, appliquéà leur fonctionnement mais aussi à leur activité. Ces entreprises, privées[4] , adoptent un mode de gestion démocratique et participatif. Selon le Conseil National des Chambres Régionales de l’Economie Sociale, les valeurs de l’ESS reposent aussi sur le volontariat, la lucrativité limitée et l’autonomie des structures bien qu’une coopération avec les pouvoirs publics existent.

3 - Prémices du crowdfunding en France et dans le monde

Les points développés ci-dessus devraient être très vraisemblablement à l’origine du crowdfunding tel qu’il existait à ses débuts. Les mutations de l’industrie créative et la croissance de l’économie sociale et solidaire, conjugué avec les nouvelles technologies de l’internet et des réseaux sociaux ont permis l’émergence d’une nouvelle industrie dans le paysage du financement.

3.1 - Une conjoncture propice à l’émergence de nouvelles sources de financement

Selon François Desroziers[5] , « la crise a sensibilisé le grand public sur la place des banques dans la gestion de leur épargne ». Ce sentiment de défiance vis-à-vis des institutions financières a poussé les ménages à reconsidérer le rôle même de leur épargne et son utilité au sein des sociétés occidentales. Couplé à la baisse des taux de rendement des placements financiers[6] , ces phénomènes ont libéré le potentiel financier des ménages qui ont alors décidé de reprendre en main leur épargne et d’investir dans la nouvelle économie.

Les plateformes de crowdfunding ont donc profité à la fois d’un accroissement de la demande de financement par les bouleversements de l’industrie créative mais également de la montée généralisée du chômage qui ont ouvert la voie à de nombreuses initiatives d’ESS. Mais également d’une forte augmentation de l’offre de capitaux, libérée par les ménages aux profits de nouvelles formes de placement ou d’investissement susceptibles de répondre aux exigences de transparence, de simplicité et d’éthique. Ce nouvel élan activiste dans la gestion participative et citoyenne a donné lieu à l’émergence de ce qu’on appelle le crowdsourcing.

3.2 - Philosophie nouvelle de crowdsourcing

Créée en 2006, le mot crowdsourcing a été la traduction de l’appel à la contribution de la foule à des projets nécessitant des connaissances et/ou des compétences mêlant généralement un grand nombre de disciplines différentes que seule une foule peut combiner. Il s’agit alors d’un relais de croissance pour les grandes entreprises ou institutions qui tirent profits de cette production participative et collaborative. L’exemple le plus flagrant de crowdsourcing est Wikipedia, encyclopédie participative, basé sur le volontariat, qui met en commun les expertises et le savoir des internautes ce qui a permis de mettre au point la plus grande encyclopédie en ligne. Google est également un grand acteur du crowdsourcing.

3.3 - Première apparition du crowdfundingau début des années 2000

Aux Etats Unis et en Angleterre, des initiatives de crowdfunding sont apparues dès la fin des années 1990. Il consistait dans la mise en ligne sur le site internet d’une organisation ou d’un artiste, d’un appel au don. Certaines collectes proposaient déjà des contreparties aux donateurs. Ce fut la matérialisation des initiatives de don contre don dont nous détaillerons les principes de fonctionnement plus loin.

En France, il faudra attendre 2008 et la collecte de fonds de Grégoire[7] , via le site MyMajorCompany, pour que le crowdfunding parvienne aux oreilles du grand public. Une initiative individuelle d’appel au don avec contreparties non financières avait néanmoins déjà permis le financement d’un court métrage en Aout 2004.

Conclusion

Aujourd’hui l’industrie se structure et se réglemente selon des principes qui évoluent au fur et à mesure des expériences et des projets. A suivre dans la partie 2 !

Retrouvez une interview de François Desroziers, évoluant dans le milieu du crowdfunding en cliquant ici. 

Notes:

[1]  The Social Economy in the European Union

[2]  Center of Research and Information on the Public, Social and CooperativeEconomy

[3]  Chiffres INSEE 2012

[4]  Bien que le financement puisse être en partie public, ces établissements restent indépendants des pouvoirs publics

[5]  Directeur Général Délégué de SPEAR

[6]  Le livret A était rémunéré à 4% en Aout 2008 contre 1% en Aout 2014

[7]  Auteur, compositeur et interprète français

Diplômé de l’Université Paris Dauphine en Economie Monétaire et Financière, Pierre-Michel Becquet est analyste à la Société Générale après avoir évolué au sein de l'AFIC comme chargé d'études économiques et financières. Ces centres d’intérêts portent sur le financement des entreprises, l’intermédiation financière et la politique monétaire.

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