La déflation, un piège pour l’Europe ?

Résumé:

- La faible inflation complique la résorption des dettes publiques et l’ajustement des prix et des salaires relatifs au sein de la zone euro.

- La politique monétaire agit, mais elle ne peut pas tout.

- Le plan Juncker va dans la bonne direction, mais risque d’avoir un effet limité.

- Plusieurs réformes structurelles sont envisageables pour relancer la croissance et l’inflation à moyen terme, et avec un impact négatif limité sur l’inflation.

Le colloque annuel sur le risque pays organisé par la Cofacea eu lieu mardi 27 janvier 2015 au Carrousel du Louvre. En ouverture, Jean Pisani-Ferry, Commissaire général à la stratégie et à la prospective, est intervenu sur la déflation. Il estime que celle-ci est effectivement une menace, mais l’urgence est plutôt de traiter le problème d’inflation trop faible. Avec un indice des prix à -0.6% en janvier, l’objectif des 2% de la BCE semble éloigné.

Avant tout se pose la question de la raison pour laquelle les Banques centrales ont un objectif d’inflation non nul. Tout d’abord pour pouvoir absorber un choc déflationniste, sans que l’inflation ne passe automatiquement en territoire négatif. Mais aussi, afin de permettre une croissance du revenu nominal pour que le ratio d’endettement (dette / PIB), ne devienne pas trop lourd (la déflation se caractérise par une baisse du PIB, d’où une hausse du ratio d’endettement). Enfin, pour faciliter l’ajustement des prix relatifs, et éviter que cet ajustement ne se fasse en baissant les prix.

Or ces trois justifications sont particulièrement d’actualité :

1. Pour éviter de tomber dans une spirale déflationniste, la politique monétaire agit et fait tout en son pouvoir mais son action reste limitée comme l’a rappelé Mario Draghi à Jackson Hole à l’été 2014. La politique budgétaire et les réformes sont complémentaires et indispensables.

2. L’endettement européen se résorbe difficilement dans ce cadre de faible croissance. La situation grecque en est le parfait exemple,  la restructuration de sa dette menée en 2012 a eu un impact très limité sur le niveau d’endettement, en raison d’une forte chute du PIB nominal, prenant le contrepied des prévisions de la  Troika. L’Italie, qui a le même PIB nominal qu’en 2007, se retrouve aussi avec une dette difficile à résorber.

3. Par rapport à ce qui était estimé auparavant, la rigidité des salaires a été moindre que prévu alors que les prix des biens ont finalement subit peu de correction relative (inflation à 3,3% en 2011, 1,5% en 2012 et -0,9% en 2013). L’ajustement en Europe s’est donc fait en majorité au travers des salaires relatifs entre les pays (l’indice des salaires en Grèce a baissé de 24% en 4 ans, alors qu’il a augmenté de près de 10% en Allemagne par exemple). Mais  Jean Pisani-Ferry estime que les ajustements ne sont pas finis, car les écarts de soldes extérieurs entre les pays de la zone euro restent très importants.

Comment remédier à cette inflation faible ?Deux angles d’actions sont possibles, la politique monétaire et la politique budgétaire. La BCE agit, avec retard, mais avec détermination, en lançant son assouplissement quantitatif (QE) de grande envergure le 22 Janvier. Ce QE, qui prévoit entre mars 2015 et septembre 2016 l’injection mensuelle de 60 milliards d’euros (donc 1000 milliards au total), cherche à relancer le marché du crédit, et donc l’inflation, à travers deux canaux. Tout d’abord en achetant massivement des titres de dettes souveraines (50 milliards d’euros par mois), elle cherche à saturer l’offre d’actifs sûr pour pousser les investisseurs à se tourner vers les marchés plus risqués comme les actions et les obligations d’entreprises, afin de favoriser le financement de l’économie réelle. En outre, 10 milliards d’euros sont aussi mensuellement consacrés à l’achat d’ABS (Asset Backed Securities), dans le but d’inciter les institutions financières à octroyer des crédits et à les structurer. Quant à la politique budgétaire son utilisation est limitée par la taille de la dette de nombreux Etats européens et, lorsqu’elle cible des politiques d’offre, peu avoir un effet désinflationniste. Par exemple, chercher à augmenter la compétitivité des entreprises en diminuant leurs charges (salaires, taxes) peut générer une baisse des prix.

Le plan d’investissement européen Juncker semble contournerla limitation imposée par l’endettement des pays en organisant une relance à l’échelle européenne. Mais il reste d’une ampleur limitée et se base sur un très fort effet de levier (315 milliards d’euros pour une mise initiale de 21 milliards d’euros) qui peut faire douter de sa réelle efficacité, puisqu’elle repose sur l’hypothèse que pour 1 milliards mobilisé par les autorités européennes, 15 milliards seront ajoutés par des investisseurs privés. Et pour que ce plan soit utile, il ne doit pas financer des projets qui auraient vu le jour sans ce plan (effet d’aubaine). Il doit financer les investissements qui présentent un certain degré de risque, pour corriger l’inappétence pour le risque des banques, par du financement public.

D’autres réformes sont envisageables pour améliorer la situation à court terme et augmenter le potentiel de croissance à moyen terme sans risquer un impact négatif sur la demande et donc sur l’inflation :

- une réforme des retraites devrait avoir un effet positif sur la demande à court terme grâce à une hausse du revenu inter-temporel.

- selon Jean Pisani-Ferry, la loi Macron actuellement en débat à l’Assemblée française qui comporte des dispositions travail du dimanche, les prudhommes, etc… ne devrait pas avoir un impact négatif sur les prix.

- une plus grande efficacité de la sphère publique, avec l’amélioration système éducatif, des réformes de procédure, etc… devrait permettre une augmentation du potentiel de croissance.

D’autres instruments pour lutter contre la faible inflation et relancer la croissance à moyen terme ont été avancés par Jean Pisani-Ferry :

1. La redirection des fonds structurels européens, utilisée pour une logique de politique de développement régionale, vers une stratégie européenne.

2. Le développement d’une politique d’épargne européenne pour  rediriger l’épargne des pays du nord vers les marchés de ceux du sud et encourager l’investissement direct.

3. Encourager la coopération européenne entre tous les acteurs : politique monétaire, gouvernements nationaux, Banque Européenne d’Investissement, partenaires sociaux,…

Conclusion

Pour Jean Pisani-Ferry, c’est un effort coordonné entre la politique monétaire et budgétaire, conjoint entre les Etats européens et qui rassemble tous les acteurs économiques, qui doit être mis en place pour éviter ce « piège de la déflation ».

Références

- BSI Economics, 2015, « Derrière la morosité ambiante se cache la reprise », Compte rendu officiel du Colloque Risque Pays Coface 2015, BSI Economics et Coface Group.

- Simon Ganem, 2015,  « La Zone euro est-elle condamnée à la stagnation ? », BSI Economics.

- Julien Pinter, 2014, « Pourquoi la déflation est un danger ? », Eclairages, BSI Economics

- Pierre-Michel Becquet, 2014, « La transmission de la baisse des taux souverains sur les conditions de financements des sociétés non financières en France », Flash, BSI Economics.

- Victor Lequillerier, 2014, « Espagne : la compétitivité, à quel prix ? », BSI Economics

 

Apres une thèse en économie à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne et un passage à la Banque Centrale Européenne, Guillaume travaille actuellement à la Banque d'Angleterre en temps qu'économiste chercheur. Ses domaines d'intérêts portent principalement sur la liquidité bancaire.

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