Les défis structurels de l’Afrique du Sud

Résumé :

- L’Afrique du Sud dispose de nombreux atouts : un emplacement stratégique sur les routes du commerce maritime international, d’abondantes ressources naturelles (agricoles et minières), un secteur des services développé (le secteur financier en particulier) et l’émergence rapide d’une nouvelle classe moyenne noire.

- Membre des BRICS depuis 2010, le pays a un rythme de croissance pourtant bien moins élevé que ses comparses. Le pays peine en effet à sortir de la crise de 2008/09. De 1,9% en 2013, le PIB de l’Afrique du Sud ne devrait pas dépasser 2,4% en 2014.

- Au-delà, la croissance de long terme du pays est contrainte par de nombreux défis structurels : un chômage endémique, des inégalités considérables, un système éducatif défaillant, une situation sanitaire préoccupante (VIH/Sida), des infrastructures à moderniser, un niveau de corruption élevé.

Vingt ans après les premières élections libres, l’Afrique du Sud a été appelée aux urnes le 7 mai dernier dans le cadre des élections générales. L’occasion pour nous de présenter l’économie sud-africaine, ses atouts et les nombreux défis que l’African National Congress (parti historique, victorieux à 62,2% des voix) et son président Jacob Zuma, auront à relever dans les prochaines années.

Une nation pleine de ressources…

Vaste pays s’étendant sur 1,2 M de Km2 (soit 2,2 fois la taille de la France métropolitaine), l’Afrique du Sud dispose de nombreux atouts. Situé à l’extrémité sud du continent, le pays est bordé par 2500 Km de côtes, ce qui en fait, grâce à ses ports dynamiques, un point de passage obligé du commerce maritime international.

En outre, le pays dispose d’abondantes ressources naturelles. La variété de son climat (méditerranéen au sud-ouest, subtropical au sud-est et tropical au nord) a permis le développement d’une agriculture très diversifiée : fruits, légumes, céréales, élevage (ovins et bovins). Situé dans l’hémisphère sud, le pays a par ailleurs pu profiter de l’inversion des saisons par rapport aux marchés occidentaux.

L’Afrique du Sud possède également de vastes ressources minières (or, platine, chrome, vanadium, manganèse, titane, diamants, charbon, etc.) qui permettent au pays de capter l’essentiel des investissements étrangers de la région[1] , et qui ont permis le développement de l’industrie : la sidérurgie, la chimie, le textile, l’agroalimentaire, l’électronique, l’automobile. Ces industries se concentrent dans les provinces du Gauteng, du KwaZulu-Natal, du Western Cape et de l’Eastern Cape, principaux bassins d’emplois du pays.

Le secteur des services est par ailleurs bien développé, au premier rang desquels les services financiers. En effet, bien que le secteur bancaire sud-africain soit très concentré, il est à la fois sain et profitable. Il contribue à hauteur de 10% au PIB du pays (Financial Stability Board, 2011). Il fait figure, en outre, de précurseur en matière de réglementation bancaire, les banques s’étant mises rapidement en conformité avec les nouvelles dispositions de Bâle III (effectif depuis le 1er janvier 2013). Enfin, le secteur bancaire peut s’appuyer sur la place boursière de Johannesburg, classée première sur le continent africain, qui dispose de produits sophistiqués et d’un réel savoir-faire financier.

L’émergence rapide d’une nouvelle classe moyenne en quête de nouveaux biens et services constitue également un atout pour l’économie sud-africaine. D’après une récente étude publiée par l’Institut Unilever de l’Université du Cap intitulée « Four million and rising », la classe moyenne (définie comme la part de la population réunissant 3 des 4 pré requis suivants : détenir une voiture, être diplômé de l’enseignement supérieur, gagner entre 1000 € et 3600 € par mois ou gérer sa propre affaire) atteignait 8,3 M de personnes en 2012, soit 15,9% de la population totale. De plus, la composition raciale de la classe moyenne a beaucoup évoluée au cours de ces dernières années. En effet, le nombre d’individus noirs au sein de la classe moyenne a plus que doublé entre 2004 et 2012, passant de 1,7 M à 4,2 M d’individus, alors que ce chiffre stagnait pour la population blanche. Selon l’étude de l’institut Unilever, en 2012 la classe moyenne était composée de 51% de noirs, 34% de blancs, 9% de métis et 6% d’indiens. L’augmentation de la part de la population noire au sein de la classe moyenne s’explique, en partie, par la mise en place depuis 2003 d’une politique de discrimination positive, appelée «Black economic empowerment », destinée à favoriser l’accès au pouvoir économique des populations ayant été discriminées pour raisons raciales sous l’Apartheid. Or, l’émergence d’une nouvelle classe moyenne noire s’accompagne d’une diversification des biens et services consommés, permettant ainsi le développement de nouveaux secteurs : automobile, téléphonie mobile et industrie alimentaire notamment.

… mais dont la croissance est contrainte

S’appuyant sur ces nombreux atouts, l’Afrique du Sud a été pendant longtemps classée première économie du continent africain. Cette année néanmoins, le pays s’est vu devancé par le Nigeria dont le PIB s’est fixé à 510 Mds USD et dont le taux de croissance a dépassé les 6% (FMI). Si cette évolution s’explique par un changement de méthode statistique de la part des autorités nigérianes avec la prise en compte de secteurs d’activités qui n’étaient pas comptabilisés dans l’ancienne année de base (1990), il n’en reste pas moins que l’Afrique du Sud enregistre depuis quelques années une croissance annuelle moyenne assez faible pour un pays émergent.

Après s’être fixée à 2,5% en 2012, la croissance sud-africaine n’a atteint que 1,9% en 2013. Fortement frappé par la crise financière de 2008/2009, le pays peine à renouer avec son niveau de croissance d’avant crise. Des facteurs tant structurels que conjoncturels expliquent ces résultats. La demande interne est contrainte par un chômage endémique et une inflation soutenue (de l’ordre de 5,7% en 2013, FMI). Sur le plan extérieur, le ralentissement mondial a lourdement impacté les exportations. L’année 2013 a encore été marquée par la faiblesse des ventes vers l’Union européenne, son premier partenaire commercial[2] . Le manque d’investissements (tant nationaux qu’étrangers) freine la production[3] . Un niveau encore élevé de criminalité et de corruption, des carences en infrastructures, un marché du travail rigide, une faible productivité et une forte volatilité du taux de change, sont autant d’éléments qui découragent les investisseurs.

A titre de comparaison, le rythme de croissance de l’Afrique du sud est moins élevé que celui des autres BRICS(groupe auquel il appartient depuis 2010) et des nouveaux émergents[4] dont la croissance moyenne s’établissait respectivement à 3,9% et 4,3% en 2013 (FMI). Or l’écart tend à se creuser. La croissance de long terme est contrainte par de nombreux défis structurels : la persistance d’un chômage endémique, un niveau élevé d’inégalités source de mécontentement social (manifestations, criminalité), un niveau d’éducation insuffisant, une situation sanitaire inquiétante (avec un taux de prévalence de VIH/Sida parmi les plus élevés au monde), des infrastructures vieillissantes et un niveau de corruption élevé.

… par de nombreux défis

L’économie sud-africaine est confrontée à un chômage endémique qui toucherait 25% de la population[5] selon les statistiques officielles, contre 20% à la fin de l’Apartheid. Ce taux est particulièrement élevé chez les jeunes (15-24 ans) dont 51% étaient au chômage en 2012 contre 22% pour les jeunes adultes (25-54 ans) et 8% pour les seniors (55-64 ans) (OCDE)[6] . En outre, les différences interraciales sont très marquées : en 2012 le taux de chômage de la population noire atteignait 28,5% contre 5,5% de la population blanche (OCDE)[7] .

Ces évolutions s’expliquent par une croissance économique insuffisante pour absorber le surplus de main d’œuvre arrivant sur le marché de l’emploi. L’investissement est trop faible pour stimuler l’activité économique (de l’ordre de 19% du PIB en 2013, FMI) et les petites et moyennes entreprises sont encore trop peu nombreuses en raison d’un marché des biens et services peu concurrentiel. En outre, le tissu économique s’avère peu propice à la création d’emplois. Les secteurs clés de l’économie sud-africaine que sont l’industrie minière et l’agriculture sont relativement peu intensifs en main d’œuvre et le secteur des services financiers recherche une main d’œuvre qualifiée. Or, il existe une inadéquation réelle entre les besoins de l’économie et le niveau de qualification de la population en âge de travailler.

La cause, un système éducatif défaillant. Certes, le taux de scolarisation des 5-24 ans est en hausse : de 70,1% en 1996 il est passé à 73,5% en 2011 ; et le pourcentage de la population âgée de 20 ans et plus ayant reçu un enseignement supérieur a augmenté, passant de 7,1% en 1996 à 11,8% en 2011. Toutefois les inégalités face à la formation, et en particulier la formation de base, persistent. La population blanche demeure celle qui bénéficie du taux de scolarisation le plus élevé (77,7% en 2011 contre 73,9% pour la population noire, 67,2% pour les métis et 71,8% pour les indiens/asiatiques) (Statistics South Africa).

Au-delà des inégalités sur le plan éducatif, la société sud-africaine se caractérise par un niveau élevé d’inégalités économiques. Certes, la pauvreté extrême a reculé depuis la fin de l’Apartheid, la part de la population vivant avec moins de 1,25 USD par jour (en PPA 2005) étant passée de 21,4% en 1995 à 13,8% en 2009. Cependant, plus de 31% de la population continue de vivre en dessous du seuil de pauvreté (2 USD par jour) et le pays reste en proie à de profondes inégalités de revenus. En 2013, son indice de Gini s’établissait à 0,7, un niveau parmi les plus élevés au monde. D’après la Banque mondiale, en 2009 les 10% des sud-africains les moins riches détenaient 1,2% des revenus tandis que les 10% les plus riches détenaient 51,7% des revenus. En outre, les inégalités de revenus sont encore très marquées sur le plan interracial : le revenu moyen est 6 fois moins élevé pour un noir que pour un blanc (Statistics South Africa). De fait, le pays porte encore aujourd’hui les traces de 43 ans d’Apartheid, source de mécontentement et de risque social (manifestations, criminalité).

Au niveau sanitaire, le pays enregistre encore un niveau de mortalité infantile élevé (33/1000) et l’espérance de vie a chuté entre 1994 et 2012 passant de 62 ans à 56 ans (Banque Mondiale). Par ailleurs, l’Afrique du Sud est le pays qui concentre le plus grand nombre de personnes infectées par l’épidémie de VIH/Sida (6,1 M en 2012, ONU Sida).  Le taux de prévalence s’est ainsi fixé à 11,7% de la population totale et 17,9% des adultes (15-49 ans) en 2012 d’après les données de l’ONU, avec encore ici des inégalités puisque le taux de prévalence est supérieur au sein de la population noire.

Le pays pâtit également d’infrastructures insuffisantes voire obsolètes. Au niveau énergétique, il existe une réelle inadéquation entre la demande d’électricité et les capacités de génération du pays. Au cours de la décennie précédente, la demande d’électricité a augmenté de 20% dépassant ainsi les capacités de production. Ces dernières n’ayant pas fait l’objet des investissements nécessaires à leur modernisation et leur développement. Ceci se traduit par des blackouts fréquents, qui pénalisent le développement de l’économie nationale. Le réseau de transport (infrastructures routières et ferroviaires), quant à lui, relativement bien développé et qui a fait l’objet d’investissements récents en vue de la Coupe du Monde de Football de 2010, reste néanmoins à moderniser.

Conclusion

Fragilisée par la crise économique de 2008/2009, l’Afrique du Sud souffre également de faiblesses structurelles qui pèsent sur son développement économique de long terme. Ces dernières étaient jusque là masquées par une croissance économique mondiale soutenue et des prix des matières premières élevés.

Aujourd’hui, si le pays veut renouer avec un taux de croissance digne d’un émergent, il doit se lancer dans la mise en œuvre de réformes structurelles, que ce soit sur le marché des biens et services (afin d’en accroître la concurrence et ainsi faciliter l’entrée de petites et moyennes entreprises créatrices d’emploi), le marché du travail (afin de réduire ses nombreuses rigidités, notamment les procédures d’embauche et de licenciement, la fixation des salaires…) ou encore le système éducatif (afin de permettre l’adéquation entre le besoin en main d’œuvre qualifiée de l’économie et le niveau de qualification de la population).

En outre, les autorités devront veiller à poursuivre leurs efforts en matière d’investissements (infrastructures de transport et énergétiques) et de dépenses sociales (éducation, santé), amorcés en 2010 avec l’adoption du National Development Plan.

 

Notes:

[1]  Le secteur minier représente environ 30% des entrées de capitaux dans le pays.

[2]  En 2012, l’Union européenne comptait pour plus de 23% de ses importations et pour plus de 20% de ses exportations (UNCTAD).

[3]  A titre indicatif, l’indice PMI Manufacturier (Kagiso) de l’Afrique du Sud s’établissait à 47,4 points en Avril 2014. Or un indice en dessous de 50 suggère une contraction de l’activité du secteur manufacturier.

[4]  Définis par la Coface comme étant l’Indonésie, le Nigeria, le Mexique, la Turquie et la Colombie.

[5]  La population totale s’élève à près de 52 M d’habitants (Statistics South Africa).

[6]  La population sud-africaine est jeune, l’âge médian s’élevant à 25 ans (Statistics South Africa).

[7]  La population totale se compose de 79,2% de Noirs, 8,9% de Métis, 8,9% de Blancs et de 2,5% d’asiatiques/indiens (Statistics South Africa).

 Références :

- « Afrique du Sud », Etudes économique, Risque pays, Coface, 2014

- « Afrique du Sud, Insécurité dans l’inconfort », Eco Emerging BNP Paribas, Avril 2014

- « Fiche signalétique, Afrique du Sud », Direction générale du Trésor, Octobre 2013

- « Les classes moyennes en Afrique du Sud », Direction générale du Trésor, Octobre 2013

- « L’énergie en Afrique du Sud », Direction générale du Trésor, Septembre 2013

- « Les nouveaux émergents, c’est maintenant ! », Bruno Fernandes, BSI Economics, Mars 2014

- « Comment le Nigeria est devenu la “première économie“ d’Afrique », Le Monde.fr, Avril 2014

- « South Africa : 2013 Article IV Consultation », IMF, October 2013

- « OECD Economic Survey, South Africa », OECD, March 2013

- « The middle of the pyramid », African development bank, April 2011

- « Four million and rising », Unilever Institue, 2013

- « Statistical release (revised), Census 2011 », Statistics South Africa, October 2012

- « Poverty trends in South Africa », Statistics South Africa, 2014

 

Diplômée de l’Université Paris Dauphine en Diagnostic Economique, Axelle travaille actuellement dans le réseau de la Direction Générale du Trésor en tant qu’attachée économique pour la région Afrique australe. Elle a auparavant travaillé comme économiste risque pays au sein du département de la recherche économique du groupe Coface. Ses centres d’intérêt portent sur les économies émergentes et les problématiques relatives au développement. 

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