Les biais partisans lors d'élections municipales

Résumé:

- Les économistes prédisent généralement une convergence des partis politiques sur des positions similaires lors des élections municipales.
- Une vérification empirique de cette prédiction est difficile mais possible. Globalement, elle semblerait vraie avec toutefois des possibles exceptions.

- En France, une analyse très préliminaire montre plutôt une convergence sur les thèmes du logement et des taxes locales. Cette analyse est toutefois trop préliminaire pour constituer une preuve définitive.

A l’approche des élections municipales en France, BSI Economics présente des travaux économiques consacrés à ces élections et notamment ceux dédiés à la question des biais partisans des partis politiques. Parmi les économistes, il existe un quasi consensus pour considérer que les différences idéologiques des partis politiques ont une importance mineure lors d’élections, en particulier lors d’élections locales. D’après eux, l’influence de l’ « Electeur Médian » sera généralement trop forte pour que les partis politiques puissent s’en éloigner trop nettement. Après avoir justifié ce consensus, cet article présentera quelques-uns des résultats empiriques sur la convergence des partis politiques à des positions similaires durant les élections municipales. Enfin, nous présentons brièvement des résultats préliminaires sur les villes françaises.

1 - Un peu de théorie : la convergence des partis politique

La plupart des modèles économiques faisant appel à une décision politique utilisent le « Théorème de l’Electeur Médian ». Ce théorème stipule que, si les électeurs peuvent être classés sur un segment, en fonction de leurs préférences par rapport à la question posée, alors c’est la décision préférée de l’électeur médian (sur le segment) qui sera choisie.

Par exemple, si les préférences des agents en matière de taxation dépendent de leur revenu alors le niveau de taxation à déterminer sera le niveau préféré de la personne touchant le revenu médian. Intuitivement, pour toute contreproposition (un niveau supérieur de taxe, ou au contraire un niveau inférieur), au moins la moitié de la population préfèrera la proposition de l’électeur médian.

L’introduction de deux partis politiques ne change pas ce résultat et dans ce cas, la théorie prévoit une convergence de ces deux partis politiques vers une proposition commune : celle de l’électeur médian. En effet, si l’un des partis déviait et proposait une politique différente, plus de la moitié de l’électorat choisirait son rival et il serait certain de perdre l’élection.

Bien sûr, plusieurs éléments peuvent empêcher la convergence des partis politiques vers une position commune. Des préférences des partis politique associées à l’incertitude quant à la position de l’électeur médian, la présence de plus de deux partis politiques (par exemple un troisième parti qui chercherait à maximiser le nombre de voix obtenus), ou encore la présence d’activistes défendant des positions opposées dans chaque camp (autrement ces activistes doivent plutôt être analysés comme des groupes de pressions qui poussent les partis politiques à adopter la même politique, mais pas nécessairement celle de l’électeur médian) sont autant d’éléments qui conduisent les partis politiques à choisir des politiques différentes.

Ces quelques éléments expliquent pourquoi, au niveau municipal, les économistes croient, en général à une convergence des partis vers des positions similaires. En particulier, ils insistent sur la relative homogénéité de l’électorat (à l’intérieur des villes) qui conduisent à une faible incertitude quant au désir de « l’électeur médian » et en l’absence d’incertitude, il serait trop risqué de s’éloigné de la position médiane.

Cette homogénéité serait naturellement renforcée par le phénomène de « vote avec les pieds », décrit par Tiebout en 1956. Un électeur qui serait en désaccord avec les politiques menées dans une ville pourrait simplement décider de déménager (ou de ne pas y emménager préalablement). A terme, ce mécanisme conduirait à homogénéiser l’électorat (ce mécanisme conduirait aussi à une relative efficacité des politiques locales). Ce mécanisme, moins crédible en France qu’aux USA (où la mobilité de la population est forte) pourrait tout de même conduire à long terme à des villes où les électeurs sont peu différenciés (en particulier pour les petites villes périurbaines), et donc à des partis politiques qui choisissent le plus souvent les mêmes politiques à l’intérieur de ces villes.

Par ailleurs, les politiques menées au niveau municipal peuvent être parfois plus « techniques » qu’ « idéologiques ». Dans ce cas, l’enjeu de l’élection serait de se différencier au niveau de la qualité (le candidat le plus compétent), c’est-à-dire une différenciation verticale et non pas horizontale (comme dans le modèle de l’électeur médian, où les politiques sont différentes mais pas hiérarchisées par leur qualité).Dans ce cas encore, les partis politiques proposeraient des politiques similaires et la question serait alors de savoir quel candidat sera le plus à même de les mener.

En pratique, des éléments peuvent compliquer ces convergences. La présence de plus de deux partis à déjà été évoquée et quelques exemples peuvent illustrer ce problème. Supposons par exemple qu’un parti de droite craigne qu’un candidat d’extrême droite puisse se maintenir au second tour. Pour éviter ce problème, le parti de droite républicaine pourrait choisir un positionnement « plus extrémiste » afin d’empêcher le parti d’extrême droite d’obtenir 10% des voix (et donc d’être capable de se maintenir au second tour). De même, un parti de gauche pourrait adopter des positions « plus extrémistes » afin de sécuriser une fusion entre les deux tours avec un candidat d’extrême gauche ou écologiste. Ces deux exemples peuvent naturellement être intervertis, ils sont motivés par le fait que, si les fusions entre partis de gauches et d’extrêmes gauches sont courantes, elles sont plus rares à droite.

L’économie théorique conclut donc plutôt en faveur de la convergence des partis politiques, avec toutefois quelques réserves et exceptions.  Analysons maintenant les articles empiriques.

2 - Le défi empirique : déterminer la position des partis politiques

Déterminer les positions des partis politiques constitue un véritable défi statistique. Il faut en effet faire face à deux difficultés : la première est de séparer les préférences de l’électorat de celles des partis politiques, la seconde est que l’on observe pas simultanément une commune avec une mairie de « Gauche » et une mairie de « Droite » : on ne peut pas analyser les politiques implémentées par le parti qui perd les élection et/ou est minoritaire au conseil municipal. Ainsi, on ne peut pas comparer directement les différences entre les villes ou la gauche est élue à celles ou la droite pour déterminer les différences ou convergences entre partis politiques.

On peut, par exemple observer des taxes locales inférieures dans les villes ayant élues un maire de droite sans que cela soit informatif. Les concurrents de gauche pouvaient proposer les mêmes niveaux de taxations et perdre l’élection sur une autre dimension du vote, du fait d’un électorat de droite plus mobilisé, etc. Dans ce cas, on conclurait à une différence alors que celle-ci n’existe pas.

L’idéal pour mesurer l’impact d’un parti politique, serait de déterminer aléatoirement si une ville va être dirigée par la gauche ou par la droite, puis de comparer des villes « en tous points identiques » sauf le parti politique. D’ailleurs si la décision est vraiment aléatoire, les villes seront en moyennes identiques dans les deux groupes et il suffirait de comparer les différences de politiques implémentées.

Une méthode, appelée le « regression discontinuity design », permet de s’approcher de cette méthode aléatoire. Intuitivement, lorsque les élections sont très serrées entre un candidat de gauche et un candidat de droite, on peut considérer que très localement, le parti vainqueur est déterminé aléatoirement. En comparant les politiques implémentées dans les villes où un candidat de gauche et un candidat de droite sont arrivés au coude à coude, il est alors possible de mesurer l’effet moyen (local) d’élire un parti de gauche relativement à un parti droite. Cette méthode s’est popularisée parmi les analystes politiques et a été utilisée dans différents contextes. En particulier, Ferreira et Gyourko (2009) montrent qu’aux Etats-Unis, les villes dirigées par les démocrates et les républicains ne diffèrent pas en matière de dépense publique, de l’allocation des dépenses publiques ou de (lutte contre la) criminalité. Ce résultat conforte le résultat théorique de la section précédente : l’échelon local n’est pas le bon pour observer des différences idéologiques entre candidats.

On peut toutefois trouver des contre exemples. Pettersson-Lindbom (2012) montrent par exemple que les municipalités suédoises de gauches taxent plus et connaissent un taux de chômage inférieur, souvent dû à plus d’emplois publics. De même, Albert Solé-Ollé, Elisabet Viladecans-Marsal (2012), montrent qu’en Espagne, les villes dirigées par des partis de gauche déclarent constructibles moins de nouveaux terrains. Ces résultats confirment également la théorie économique avec l’accent mis sur l’homogénéité des villes, et la compétition entre municipalités proches (qui fait écho au mécanisme de Tiebout).

3 – Application à la France : cas des permis de construire et du taux de la taxe d’habitation

Il semble donc difficile de déterminer une réponse générale à la question, la couleur politique des candidats est-elle une variable pertinente à l’échelon locale ? Nous ne connaissons aucune analyse des biais partisans pour les municipales Françaises. Il est toutefois possible de comparer certaines villes Françaises sur les taxes locales et la construction de logement.

Les résultats présentés ici sont très préliminaires. Ils s’inscrivent dans un projet de recherche mené par l’auteur de cet article qui se trouve encore dans une phase initiale. La méthodologie utilisée est celle du « regression discontinuity design » afin d’estimer les différences entre les villes « de gauche » et celle « non de gauche » (centre, non affilié et droite). Restreindre l’échantillon aux villes de gauche et de droite, n’affecte pas les résultats préliminaires, c’est pourquoi, par abus de langage, nous employons souvent « gauche » et « droite » (au lieu de « non de gauche »). Par ailleurs, « Gauche » et « droite » sont à prendre de manière générique, aucune différence n’est faite entre par exemple le PS, les verts ou les communistes.

Nous ne présentons pas plus en détail la méthodologie employée (mais le lecteur intéressé peut contacter l’auteur de l’article pour plus de détails), mais nous insistons encore une fois sur le caractère préliminaire de ces analyses. Ces résultats, biens qu’ils soient supportés par des analyses que nous espérons sérieuses, ne constituent pas encore une « preuve scientifique ».

Le graphique ci-dessus permet de voir le faible impact d’un changement de la couleur politique du conseil municipal d’une ville. L’impact causal ne peut se lire qu’en « zéro », ailleurs, il peut-être biaisé par de nombreux facteurs. Par exemple, on observe que les villes où les maires obtiennent des scores très élevés autorisent peu de permis de construire. Ce n’est pas du fait de la faible croissance urbaine que ces maires obtiennent des scores élevés (ou l’inverse), c’est simplement parce que les maires élus avec des scores proches ou égaux à 100% le sont dans des petites villes. Ces petites villes autorisent la construction de moins de nouveau logement.

L’effet causal de l’élection d’un maire « de gauche » sur le logement (mesuré en zéro), est lui modeste ou insignifiant. Attention, ce résultat ne concerne que le nombre de logements autorisés. Leurs tailles ou leurs natures (par exemple, logement social ou non) n’est pas pris en compte ici. Par ailleurs, les problèmes liés à l’intercommunalité ne sont pas intégrés dans l’analyse (toutefois, ces résultats concernent la période 2002-2007 où l’intercommunalité jouait encore un rôle plus modeste sur le logement).

Le graphique ci-dessous présente une analyse similaire, mais pour le taux de la taxe d’habitation. Encore une fois, l’effet d’élire un maire de gauche est faible. Ce résultat reste similaire si on considère l’assiette totale de la taxe d’habitation dans la ville (puisque les villes peuvent inclure des exceptions), ou que l’on analyse d’autres taxes locales comme les taxes foncières sur le bâti et le non bâti.

Evidemment, il est possible de faire des analyses « non graphique » pour s’assurer de la validité de ces résultats. Dans ce cas encore, il semblerait que les différences de management entre partis « de gauche » et partis « de droite » soient faibles en matière de logement et de taxation.

Conclusion :

Les économistes s’accordent généralement pour conclure que les partis politiques vont proposer des politiques similaires lors des élections municipales. Cette convergence s’expliquerait du fait de la compétition électorale : si un parti diffèrerait trop des autres, il perdrait les élections avec une trop grande probabilité. On peut toutefois trouver des exceptions à cette règle.

Empiriquement, il est difficile de trancher : aux Etats-Unis, il semblerait que les partis politiques implémentent les mêmes politiques à l’échelon local, mais dans d’autres pays, on peut trouver des différences plus importantes.

En France, une analyse (très préliminaire) montre une convergence sur le thème du logement et des taxes locales. Il existe bien sûr d’autres dimensions et  il est impossible de conclure à une convergence globale. Néanmoins, sur ces thèmes, il semblerait qu’élire un conseil municipal de gauche ou de droite ait relativement peu de conséquences.

Références:

- Fernando Ferreiraet Joseph Gyourko, Do Political Parties Matter? Evidence from U.S. Cities, The Quarterly Journal of Economics(2009) 124 (1): 399-422.

- Per Pettersson-Lindbom, Do Parties Matter for Economic Outcomes? A Regression Discontinuity Approach, Working paper, 2012.

- Albert Solé-Ollé, Elisabet Viladecans-Marsal, Do political parties matter for local land use policies, IEB Working Paper, 2012.

 

Diplômé de l'École d'Économie de Toulouse, Christophe est Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux. Ses travaux portent sur les politiques publiques, notamment au niveau local, l'économie urbaine et l'histoire économique. Ses domaines d'intérêts portent sur l'ensemble des politiques publiques.

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