Les partenariats public-privés et la distribution de l’eau

Résumé :

- Les Partenariats Public-Privés (PPPs) consistent à déléguer la gestion d’un service public à une entreprise privée. Il en existe de nombreuses formes qui diffèrent en fonction de l’implication du prestataire privé.

- Les entreprises privées peuvent profiter de plus de techniques et d’incitations à diminuer leurs coûts de production. En revanche, elles ne cherchent pas à maximiser le surplus social mais le profit. C’est pourquoi, déléguer un service public a un effet indéterminé sur le surplus social.

- Dans le cas de l’eau en France, les prestataires privés imposent des prix plus élevés que les distributeurs publics. Toutefois, ce sont les villes, faisant face aux plus grandes difficultés techniques, qui font appel à des prestataires privées.

- Une simple comparaison des prix pratiqués dans les villes, où la distribution de l’eau est déléguée à une entreprise privée et dans celles où la distribution est gérée par un organisme public, montre que la différence de prix est surestimée.

Les Partenariats Public-Privés (PPPs) sont des formes de collaboration entre une entreprise privée et un organisme public dans lequel, un service ou une infrastructure publique est délégué au moins partiellement à un prestataire privé. Ces modes d’organisation sont souvent prônés par les organisations internationales (dans le cas de l’eau, la Banque Mondiale a par exemple pointé du doigt l’inefficacité des fournisseurs publics durant l’International Decade for Clean Drinking Water (1981-1990) et encouragé la création de PPPs dans les pays en voie de développement) et apparaissent comme un moyen intéressant de limiter le poids du secteur public dans l’économie (et donc de faire éventuellement baisser la dette publique). Une question se pose néanmoins, ces partenariats sont-ils efficaces et comment évaluer leur efficacité? Cette question se heurte à plusieurs difficultés.

En premier lieu, Il existe de nombreux types de PPPs différents en fonction de l’implication du prestataire privé dans la gestion du service public (Gérance, leasing, etc.). Cette hétérogénéité rend l’évaluation globale des « PPPs » compliquée.

Une seconde difficulté provient du fait que, pour mesurer l’efficacité d’un PPPs, il ne suffit pas de comparer le coût d’un service là où il a été délégué à un prestataire privé et là où il est directement produit par organisme public. Une telle comparaison oublierait que les raisons qui ont poussé à déléguer le service public peuvent également impacter son coût.

Les partenariats public-privées en matière de gestion et de distribution de l’eau en France fournissent un cas pratique intéressant. En effet, ce service est habituellement contrôlé au niveau municipal ce qui permet de mener des investigations empiriques (estimations quantitatives) de l’efficacité des services proposés par les PPPs avec des échantillons larges (contenant suffisamment d’observations).

Par ailleurs, malgré la grande diversité contractuelle, les contrats de « leasing » dans lesquels les opérateurs privés sont en charge des investissements de maintenance et de la gestion courante, sont les plus observés. Il est donc possible de mesurer l’efficacité de ces contrats et il semblerait que ces partenariats ne soient le plus souvent associés à une hausse des prix de l’eau en France.

Le débat autour des PPPs

Le débat autour des PPPs ne concerne pas uniquement la gestion et la distribution de l’eau, et il mérite que l’on s’y arrête un instant. Les PPPs consistent à déléguer un service public à une entreprise privée. Il existe naturellement plusieurs formes de délégations avec une participation plus ou moins importante de l’opérateur privé. Puisqu’il s’agit d’un service public, l’objectif le plus souvent retenu est de maximiser le « bien-être social ». Ainsi, il peut sembler étrange de déléguer ce service à une entreprise privée qui peut favoriser la maximisation de son profit au dépend de l’intérêt général.

Cette délégation se justifie du fait que les entreprises privées peuvent être plus efficaces qu’un fournisseur public en raison de coûts de productions moins élevés obtenus par deux moyens :

- Une meilleure maîtrise des coûts : puisque l’objectif de l’entreprise est de maximiser le profit, elle va le plus souvent chercher à minimiser ses coûts de production. Un fournisseur public pourrait avoir des incitations légèrement différentes ; un fonctionnaire peut par exemple avoir intérêt à se retrouver à la tête du service le plus important possible, ce qui peut conduire à des sureffectifs ou un surinvestissement.

- Des économies d’échelle : Un fournisseur privé peut opérer à une échelle bien plus importante que son équivalent public. Dans le cas de l’eau, un fournisseur peut opérer à l’échelle de la France alors qu’une municipalité va se limiter à l’échelon local. L’opérateur va donc pouvoir réaliser des investissements qui ne seraient pas rentables à l’échelle communale, ce qui peut engendrer des baisses de coût sensibles pour l’ensemble du réseau.

Ici, le critère d’efficacité retenu est celui de la minimisation des coûts de production. En effet, dans le cas de l’eau, où pour les services dans lesquels la qualité est fixée de manière exogène (dans le cas de l’eau, l’Etat fixe par exemple les concentrations maximums d’éléments chimiques autorisés par millilitre d’eau), cet objectif de maximisation du bien-être est souvent très similaire à celui de la minimisation du prix d’un service (pour atteindre le niveau de qualité requis). C’est pourquoi, bien que le prix ne soit pas la seule dimension de la qualité d’un service, l’étude du prix peut, dans le cas de l’eau, être une approximation suffisante.

Mais la minimisation des coûts ne va pas nécessairement de paire avec un prix moins élevé pour le consommateur. L’entreprise privée peut réduire ses coûts intermédiaires mais augmenter sa marge. Même lorsque le prix final au consommateur est déterminée à l’avance via un contrat de délégation PPPs, il est possible que le consommateur soit lésé si l’entreprise impose un prix trop élevé en raison d’une concurrence trop faible sur son marché. Par ailleurs, une fois la délégation effectuée, il est souvent difficile et couteux de repasser à une gestion publique ou changer de prestataire privé ce qui pourrait conduire à des renégociations abusives des tarifs de la part des prestataires privés. C’est pourquoi, il existe en France un arsenal juridique qui garantit normalement que le pouvoir de négociation est effectivement dans les mains des communes. Malgré ces protections juridiques, il s’avère que les PPPs ne soient pas toujours profitables.

Figure 1 - Type contrats possibles (issue de Chong et al. 2006)

Les PPPs et la gestion de l’eau en France : une délégation souvent inefficace

Afin d’évaluer l’efficacité des PPPs, le plus simple serait de comparer le prix de l’eau dans les municipalités (dont la gestion de l’eau a été confiée à un organisme privé) au prix dans les villes dont la gestion de l’eau reste sous contrôle public. Cette comparaison met en lumière une importante différence dans les prix pratiqués par les prestataires publics et les entreprises privées : en moyenne, l’entreprise privée facture 26€ de plus pour 120 mètres cube d’eau (selon Chong et al. 2006). Cependant, cette méthode présente un large problème méthodologique qui conduit à une surestimation de cette différence.

Une comparaison directe entre les villes qui délèguent la gestion de l’eau et celles qui ne le font pas,  nous amènerait à négliger que le choix de déléguer est une décision prise par les villes elles-mêmes. En termes économétriques, elles s’auto sélectionnent dans le traitement dont nous souhaitons étudier l’impact (ici, déléguer la distribution de l’eau à un prestataire privé). Le problème est que les raisons de ce choix peuvent-elles même influencer le prix de l’eau. Par exemple, de grandes difficultés techniques dans la distribution de l’eau vont naturellement avoir un impact sur le prix final, mais peuvent également amener une commune à faire appel à un prestataire privé.

Dans ce cas, le choix de la délégation s’établira en fonction des difficultés de production : les villes dont la distribution de l’eau ne présente pas de difficultés ne délégueront pas tandis que celles pour qui l’opération est délicate opteront pour une gestion déléguée. On comprend alors pourquoi une comparaison directe conduit à des résultats biaisés : les opérateurs privés et publics ne font pas face aux mêmes conditions.

Plusieurs méthodes économétriques permettent de contourner cette difficulté (IV, Treatment Effect Model, Switching Regression, etc.), l’idée générale étant le plus souvent de modéliser directement le fait que le choix de déléguer n’est pas survenu par hasard.

Deux articles de 2006, Chong et al. et Carpentier et al., appliquent ces méthodes et comparent le prix de l’eau quand la gestion de ce service public est déléguée à une entreprise privée (le plus souvent au travers des contrats de leasing) ou quand la municipalité s’en charge directement. Bien qu’employant des techniques différentes, les deux articles proposent trois conclusions similaires :

  1. Les villes faisant face à des difficultés techniques importantes ont plus de chances de déléguer la distribution de l’eau.
  2. Une comparaison directe biaise donc à la hausse l’impact sur le prix d’une gestion privée.
  3. Une fois cet effet corrigé, les prestataires privés restent plus cher que les prestataires publics.

En d’autres termes, les PPPs seraient ici inefficaces mais moins qu’ils ne le sembleraient si l’on compare directement les prix finaux des services. Ainsi, sur les 26€ de différence trouvée par Chong et al. (2006), seulement 11€ constituerait une réelle surfacturation. Des résultats similaires ont été trouvés en Allemagne (Ruester and Zschille, 2010) et en Espagne (Martinez-Espineira et al., 2009). La France ne serait donc pas un cas isolé. En revanche, il n’existe toujours pas ou peu d’explications du mécanisme conduisant à cette différence entre opérateurs privés et publics. Peut-elle être attribuée au comportement de maximisation du profit des opérateurs privés, est-ce dû à un manque de compétition ex-ante ? Des questions auxquelles les chercheurs doivent maintenant s’atteler.

Conclusion :

La question de l’opportunité de faire appel à des PPPs ou non doit souvent être résolue au cas par cas. En raison d’avantages productifs et de meilleures incitations, les entreprises privées peuvent souvent produire des services publics à moindre coût que des opérateurs publics. En revanche, rien ne garantit que cette efficacité productive se répercute sur le prix final.

En France (et en Europe occidentale), la décision de déléguer la distribution conduit à des résultats paradoxaux. Lorsque la distribution de l’eau est compliquée, les villes françaises favorisent la délégation à des prestataires privés, mais cette délégation conduit en moyenne à une hausse des prix, (même une fois que ces difficultés techniques sont prises en compte). Les PPPs sont donc moins efficaces qu’une gestion directe par les villes.

Référence

- Chong, Huet, Saussier et Steiner, Public-Private Partnerships and Price: evidence from water distribution in France, Review of Industrial Organization (2006)

- Alain Carpentier, Céline Nauges et Arnaud Reynaud Alban Thomas, Effets de la délégation sur le prix de l'eau potable en France Une analyse à partir de la littérature sur les « effets de traitement », Economie et prévision 2006.

- Roberto Martínez-Espiñeira, Maria A. García-Valiñas et Francisco J. González-Gomez, Does private management of water supply servicesreally increase prices? An empirical analysis, urban studies 2009.

- Sophia Ruester et Michael Zschille ,The Impact of Governance Structure on Firm Performance: An Application to the German Water Distribution Sector, working paper, 2010.

Notes additionnelles en date du 3 février 2014:

Stéphane Saussier, l’un des auteurs de l’article Public-Private Partnerships and Price: evidence from water distribution in Francecité plus haut, nous a indiqué un working paper plus récent (Chong et al. 2012)dans laquelle il poursuit les analyses développées plus haut. BSI Economics le remercie pour ce commentaire et nous en profiotns pour exposer certain de ses résultats.

Le premier résultat est une confirmation des études antérieures. Utilisant une nouvelle méthode et un autre échantillon (d’environ 3500 municipalité de toutes tailles observées en 1998, 2001, 2004 et 2008), les auteurs obtiennent des résultats très similaires à ceux de leur précédente étude : des OLS standard prédisent une différence de prix de 27 euros quand la véritable différence (une fois le problème d’endogénéité résolu) serait de 11 euros. Une fois encore, les prestataires privés sont plus chers que les fournisseurs publics.

Les auteurs affinent également cette analyse puisqu’ils précisent que la différence de prix ne serait significative que pour les villes de moins de dix milles habitants. Les grandes villes elles ne payeraient que quatre euros supplémentaires, somme insuffisante pour conclure à une réelle différence.

D’où viendrait cet écart ? L’intuition et la théorie économique peuvent nous mettre sur la piste : le pouvoir de négociation des villes lorsqu’elles négocient avec des prestataires privés, ainsi que les incitations des prestataires privés à ne pas imposer abusivement des hausses de prix (une fois que le contrat est signé), dépendent de l’outside option des villes. C’est-à-dire, leurs situations si elles choisissaient un autre fournisseur privée ou si elles décidaient de distribuer l’eau elles-mêmes. Les grandes villes sont biens plus attractives pour les prestataires privées que celles de tailles modestes, elles sont par ailleurs capable (pour des raisons d’échelles, par exemple) de se fournir elles-mêmes. Ces deux points suggèrent qu’une grande ville aura un pouvoir de négociation plus grand puisque la concurrence entre prestataires privés sera plus grande et, même si la concurrence n’est pas forte, le prestataire doit prendre en compte la possibilité qu’à la ville de se fournir elle-même.

Les auteurs testent en parti ce mécanisme en analysant les facteurs qui influencent la probabilité de renouveler le contrat d’un prestataire privé. Ils montrent que les grandes villes réagissent à un éventuel surcout de la part d’un prestataire privé (défini comme la différence en pourcent entre le prix réellement payés et le prix auquel peut s’attendre la ville) en diminuant la probabilité de renouveler le contrat tandis que les petites ne le font pas. La menace de se fournir ailleurs serait donc crédible pour les grandes villes ce qui disciplinerait les acteurs privés et diminueraient leurs prix.

Eshien Chong, Stéphane Saussier, Brian S. Silverman, Water under the Bridge: City Size, Bargaining Power, Prices and Franchise Renewals in the Provision of Water, Working paper,  mai 2012.

Diplômé de l'École d'Économie de Toulouse, Christophe est Maître de Conférences à l'Université de Bordeaux. Ses travaux portent sur les politiques publiques, notamment au niveau local, l'économie urbaine et l'histoire économique. Ses domaines d'intérêts portent sur l'ensemble des politiques publiques.

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