Inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année : possibilité ou illusion ?

Résumé :

- Le nombre de demandeurs d’emploi en France atteint désormais 3,279 millions de personnes fin juin 2013, dépassant ainsi le niveau de janvier 1997. Les jeunes et les séniors sont les plus vulnérables face au chômage.

- Le coût du travail et l’écart par rapport à sa productivité est un obstacle majeur à l’emploi notamment pour les personnes les plus faiblement qualifiées.

- Aucune inflexion des salaires n’a été constatée en réponse à l’augmentation du chômage, l’ajustement se faisant plutôt par les quantités que par les prix.

- Les prévisions de croissance étant quasi nulle, il est difficile d’imaginer un retournement de la courbe du chômage d’ici la fin de l’année.

Mai 2013, le chômage stagne enfin après deux années de hausses consécutives (+11,5 % sur les douze derniers mois). Le nombre de personnes inscrites en catégorie A [1] à Pôle emploi s’élève, à cette même date, à 3 279 400 [2] , soit une centaine de personnes de plus que le mois précédent (+0,0 %). Le rebond simultané de la production industrielle (l’indice PMI [3]  manufacturierressort en juin à 48,4 contre 46,4 en mai, soit un plus haut depuis 16 mois) et de l’emploi en intérim a permis de stabiliser le nombre de demandeurs d’emploi ce mois-ci.

Au premier trimestre 2013, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A s’élevait à 3,224 millions d’individus, dépassant ainsi le pic de janvier 1997 (3,195 millions). Le taux de chômage s’établissait, fin juin 2013 à 10,9% au sens du BIT de la population active en France métropolitaine, un niveau précédemmentatteint en 1998. Nous rappelons que depuis les réformes sur le report de l’âge légal de départ à la retraite, la population active a mécaniquement augmenté.

Le 4 juin dernier, le Fonds monétaire international a durcit ses prévisions de croissance pour la France (-0,2 % contre -0,1 % en 2013 et +0,8 % contre +0,9 % pour 2014) [4] et a indiqué qu’il sera difficile d’inverser la hausse du chômage d’ici la fin de l’année. Effectivement, selon le consensus, le chômage commencera à reculer dès lors qu’on atteindra une croissance du PIB d’au moins 1,4 % [5] (estimation de la relation d’Okun). Le FMI avance que les principaux risques qui pèsent sur ces prévisions résident dans la fragilité des perspectives de croissance au niveau européen.

L’institution a néanmoins souligné les « progrès significatifs sur le front des réformes structurelles » qui doivent être maintenues et élargies. Le FMI appelle à insuffler davantage de concurrence dans les marchés des biens et des services, et à baisser le coût du travail pour les travailleurs les plus faiblement qualifiés afin de réduire l’écart par rapport à leur productivité à l’aide d’un assouplissement des contrats si un ajustement par les salaires n’est pas envisageable.

Le Fonds monétaire international prévoit une légère reprise des créations d’emplois au cours du second semestre de l’année et une réduction du taux duchômage au dernier trimestre grâce au développement de multiples dispositifs d’aide de retour à l’emploi déployés depuis le début de l’année tels que les emplois d’avenirs, les emplois de génération ou encore le crédit d’impôt, compétitivité emploi destiné aux entreprises.

Néanmoins, l’objectif d’inverser durablement la courbe du chômage avant la fin de l’année est-il encore atteignable ? Les mesures de lutte contre le chômage ont-elles eu l’impact escompté sur le niveau d’emploi ?

1. Les séniors et les jeunes : premières victimes du chômage croissant en France

Les chômeurs subissent une période de chômage désormais plus longue qu’à l’accoutumée. À tout âge, la durée de recherche d’emploi s’est allongée depuis cinq ans. Les chômeurs de longue durée [6] ont augmenté de 8,3 points pour atteindre 40,2 % en mai 2013 [7] (en catégories A, B et C, données cvs-cjo).

Les séniors et les moins de 25 ans rencontrent d’importantes difficultés à trouver un emploi. Parmi ces derniers, le nombre de personnes de moins de 25 ans à la recherche d’un emploi depuis plus d’un an a doublé sur ces cinq dernières années, passant de 74 200 à 150 000 en mai 2013, soit 19 % de cette catégorie. Néanmoins, proportionnellement, les plus de 50 ans sont plus nombreux parmi les chômeurs que les moins de 25 ans. À fin mai 2013, les séniors représentent 20,7 % des chômeurs de catégorie A, B et C contre 16,5 % pour les moins de 25 ans. Ils sont également davantage soumis au chômage de longue période. Ils représentent près de 30 % des chômeurs de longue durée (contre 7,8 % pour moins de 25 ans en mai 2013). Au vu de ces chiffres inquiétant, nous tenterons d’identifier quelles sont les causes du chômage structurel en France.

2. Les 6 facteurs explicatifs du taux de chômage français ?

Le débat sur la nature du chômage oppose traditionnellement les économistes classiques aux économistes keynésiens. Selon ces derniers, le chômage s’expliquerait par une insuffisance de la demande tandis que les économistes classiques considéreraient que les contraintes d’offres sont les principaux facteurs d’explication du chômage.

Selon l’analyse keynésienne, l’ajustement du marché des biens et du travail se ferait par les quantités et non par les prix du fait du non ajustement de ceux-ci sur courte période. Le chômage de nature keynésienne serait la conséquence d’une insuffisance de la demande : les entreprises limitent leur niveau de production et d’embauche car elles jugent les débouchés trop faibles pour leurs produits. À l’inverse, les économistes classiques soutiennent l’idée que les entreprises jugeraient le coût du travail trop élevé ou les rigidités sur le marché du travail trop importantes.

Identifier la nature du chômage permet d’y répondre plus facilement. Lorsque le chômage est de type keynésien, une relance de la demande sera préconisée tandis qu’une politique de flexibilisation du salaire réel et d’allègements des coûts de production sera plus efficace lorsque le chômage est de type classique. Néanmoins, bien que la vision keynésienne soit pertinente sur courte période et la vision classique à plus long terme, les deux sortes de chômage peuvent coexister, ce qui est généralement le cas.

Les causes du chômage sont difficilement indentifiables et mesurables. Cependant, une liste non exhaustive de causes explicatives du chômage français peut être avancée.

Hausse des cotisations sociales et duSMIC : l’accroissement de l’indice du coût du travail, salaires et charges, a augmenté de près de 10 % sur les cinq dernières années pour atteindre 109,2 au premier trimestre 2013 [8] . Le coût minimum du travail en France est 70 % plus important qu’aux États-Unis et 80 % plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE. L’augmentation du niveau du salaire minimum (+9,3 % depuis 2008 [9] ) impacte négativement lademande de travail peu ou pas qualifié.

Accompagnement des demandeurs d’emploi : l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) suscite de nombreuses controverses. Pouvant paraître parfois non incitative pour retrouver un emploi, elle reste néanmoins efficace socialement afin de réduire la pauvreté et les inégalités. Selon le COR, une réduction de l’allocation chômage permettrait sûrement de favoriser un retour plus rapide à l’emploi [10] . Depuis l’introduction du système d’allocation unique dégressive, chaque chute d’indemnisation reste précédée d’une reprise du taux d’emploi mais de façon moins marquée que dans la précédente législation. Une durée d’indemnisation plus courte aurait un impact positif sur le retour à l’emploi des chômeurs qui percevaient les salaires les plus élevés. Néanmoins selon le Conseil d’orientation pour l’emploi, l’accompagnement personnalisé proposé par Pôle emploi aurait un impact significatif sur la durée des périodes de recherche d’emploi.

Protection de l’emploi : la législation sur la protection de l’emploi (LPE) a un impact ambigu sur le taux de chômage, puisqu’en augmentant les coûts économiques des licenciements, elle réduit les transitions de l’emploi vers le chômage mais aussi du chômage vers l’emploi. Ainsi, la LPE allongerait la durée du chômage puisque les entreprises seront plus réticentes à embaucher dès lors que licencier sera plus difficile et plus coûteux. De plus, une trop forte protection de l’emploi n’inciterait pas les employeurs à embaucher les salariés dont ils sont à priori les moins sûrs. De ce fait, les jeunes actifs seraient pénalisés par rapport aux personnes plus expérimentées. Enfin, si la protection de l’emploi n’a pas d’impact significatif sur le taux de chômage, elle peut être négativement corrélée au taux d’emploi [11]  dans le sens où l’allongement de la période de chômage serait susceptible de décourager et de réduire le taux d’activité de certains publics tels que les jeunes, les séniors ou les femmes.

Secteurs non concurrentiels : limiter la concurrence dans un secteur, notamment via des barrières à l’entrée, contribue à la hausse des prix et donc à réduire la demande pour les produits issus de cette branche. L’investissement et les innovations dans ces secteurs sont limités et les gains de productivité tendent à diminuer impactant négativement le taux d’emploi dans ce secteur. Les bénéfices de la concurrence en termes de baisses des prix, accroît le pouvoir d’achat des ménages et réduit les coûts d’entrée dans ce secteur. La libéralisation des secteurs protégés ne participera pas augmenter les rentes, qui seront utilisées pour créer de la valeur.

Dégradation de la qualité du système éducatif [12]: elle serait, selon l’enquête PISA de l’OCDE, à l’origine de la réduction de l’employabilité des jeunes dont le taux de chômage est relativement élevé (25,5 % contre 9,1 % pour les 25-49 ans à fin 2012) [13].

Absence de flexibilité du marché du travail : depuis la crise de 2008, les salaires réels n’ont pas fléchi en France. En effet depuis le début de la crise, le salaire réel net moyen français a progressé en rythme annuel de 0,8 % dans le secteur privé [14] (faible inflation couplée à un accroissement du coût nominal du travail). L’écart entre la productivité du travail, qui a stagné depuis 2008, et les salaires se creuse. Cette évolution contrastée est une cause majeure de la dégradation de l’emploi. Les entreprises seraient réticentes à réduire leurs pratiques salariales car elles préfèreraient jouer sur les quantités, soit l’emploi, plutôt que sur les prix, autrement dit, les salaires, afin de préserver la motivation des salariés et le climat social, facteurs essentiels de la productivité du travail.

3. Les mesures mises en place pour tenter d’y parvenir

Étant donné le rythme d’accroissement de la population active française, il est nécessaire de créer 200 000 emplois par an afin de commencer à réduire le chômage. Pour tenter d’y parvenir, le gouvernement à lancer différents dispositifs afin de créer des emplois, en particulier dans les filières d’ « avenir ».

Les emplois d’avenir : ces contrats (CDI ou CDD de un à trois ans) ont pour ambition d’améliorer l’insertion professionnelle et l’accès à la qualification des jeunes peu ou pas qualifiés, rencontrant des difficultés d’accès à l’emploi. Le gouvernement avait prévu d’en pourvoir 100 000 fin 2013 et 150 000 pour 2014. Au 30 juin, seuls 33 100 emplois d’avenir auraient trouvé preneur. Les employeurs des filières porteuses du secteur non marchand sont principalement concernés par les emplois d’avenir (protection de l’environnement, aide à la personne, milieu médico-social…). Ces derniers profitent d’une aide de l’État à hauteur de 75 % de la rémunération brute mensuelle du SMIC pendant une période de trois ans. Destinés dans un premier temps aux entreprises appartenant à un secteur d’activité innovant, les emplois d’avenir peuvent désormais profiter à toutes les entreprises dans certaines régions.

Cependant, ces emplois ne rencontrent pas vraiment le succès escompté. Aujourd’hui l’accès à l’emploi des jeunes est très sensible à la conjoncture économique [15]. Ces contrats sont sans rappeler les emplois jeunes d’Aubry en 1997, réservés aux jeunes sans qualification de zonesdéfavorisées, qui avaient échappé à leur cible et profité en partie aux jeunes diplômés. En 1992, les contrats d’emplois consolidés avaient été créés afin de soutenir les bénéficiaires sortants des contrats emplois solidarités, institués un an plus tôt.

Les contrats de génération : ce dispositif permet de préserver l’expérience des entreprises françaises et d’apporter conjointement de nouvelles compétences à travers les jeunes actifs. Le contrat de génération devrait permettre d’anticiper plus précisément les flux d’actifs entrants et sortants sur le marché du travail. Pour rappel, le nombre de demandeurs d’emploi de 50 ans et plus n’ayant exercé aucune activité au cours du mois a augmenté de 1,3 % en rythme mensuelle à fin mars 2013 (+17,0 % sur les douze derniers mois). Opérationnels depuis cette date, ces contrats lient pendant trois années l’embauche d’un jeune avec le maintien dans l’emploi d’un sénior à l’aide d’exonérations de charges. Le gouvernement a tablé sur 500 000 contrats de génération sur le quinquennat de François Hollande. Toutefois, ce dispositif risque de se heurter à certains facteurs conjoncturels, les entreprises devant faire face à des perspectives économiques instables sur les prochains trimestres.

Le crédit d’impôt compétitivité emploi : le CICE concerne toutes les entreprises qui ont des besoins de trésorerie, elles profiteront de taux moins onéreux que ceux des crédits de trésorerie. Jean-Marc Ayrault a précisé que le CICE représentera une baisse annuelle de 4 % du coût du travail pour l’année 2013 et de 6 % à partir de 2014 pour les salaires concernés [16] tout en rappelant que la France doit poursuivre son objectif de montée en gamme afin de regagner des parts de marché. Selon l’INSEE, ce dispositif devrait avoir un effet favorable sur la profitabilité des entreprises et ainsi sauver environ 15 000 emplois au premier semestre 2013. En réduisant le coût du travail, le CICE devrait permettre aux entreprises d'accroître leur compétitivité-prix sur les marchés internationaux et/ou de restaurer leur compétitivité par davantage d'investissement privé (compétitivité hors-prix).

L’accord national interprofessionnel : l’ANI (conclu le 11 janvier 2013 entre le patronat et la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC) et sa transposition dans la loi constituent une première étape dans la réforme du marché du travail. Cet accord vise à accroître la flexibilité du marché du travail afin de préserver des emplois et d’inciter les entreprises à embaucher. Les entreprises peuvent désormais négocier des ajustements de salaires en échange d’un maintien des effectifs. Elles pourront ainsi plus facilement adapter les conditions de travail et se restructurer en période de conjoncture défavorable. 

La réforme de l’assurance-chômage sera l’occasion d’introduire des incitations plus importantes pour sortir du chômage notamment en augmentant la dégressivité des indemnités ou en les plafonnant. La durée de recherche d’un emploi pourrait également être réduite en réduisant le coût de la mobilité géographique mais aussi interprofessionnelle. 

Conclusion

Les différentes causes explicatives du chômage montrent que la lutte contre le chômage nécessitera des réformes de deux ordres : contre le chômage classique ainsi que contre le chômage keynésien. Les premières permettent de réduire le coût du travail qui apparaît trop élevé tandis que les secondes tentent de relancer le niveau de la demande afin d’offrir davantage de débouchés aux entreprises. La croissance des salaires réels a été soutenue contrairement à la productivité du travail, stable depuis 2008, réduisant ainsi la capacité d’investissement et d’innovation des firmes françaises, dont les marges sont à des plus bas historique ce qui limitera le potentiel de rebond en sortie de crise.

Ces mesures, dont les premiers effets n’ont pas rencontréle succès escompté, devraient néanmoins être efficaces sur plus longue période. Le nombre d’emplois de génération et d’avenir devrait croître à un rythme plus élevé en fin d’année. De même, le CICE a profité plus rapidement aux entreprises mais les bénéfices du crédit d’impôt tendront à s’estomper dans le temps. Les mesures en faveur de l’emploi (flexibilisation du marché du travail conjointement au développement des contrats d’avenir, de génération et du CICE) ne peuvent qu’être efficaces mais celles-ci ne seraient que pleinement bénéfiques à moyen terme dès 2014.

Notes:

[1] Les demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A sont des demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, ayant exercé aucune activité au cours du mois

[2] Note : les données utilisées concernent les demandeurs d’emplois inscrits en fin de mois à Pôle emploi et diffèrent de la notion de chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT). Ces données sont corrigées des variations saisonnières et des jours ouvrables (CVS-CJO)

[3] L’indice PMI (purchasing managers index) est l’indicateur de l’activité du secteur manufacturier. Il est fondé sur une enquête mensuelle réalisée auprès des directeurs d’achats dans la branche industrielle. Un chiffre supérieur à 50 indique une expansion de l’activité du secteur tandis qu’une valeur inférieure est synonyme de ralentissement économique

[4] France: Conclusions de la mission de la consultation de 2013 au titre de l’article IV du FMI, site du FMI

[5] France : la hausse du taux de chômage va-t-elle se poursuivre ? Crédit Agricole, juin 2013 

[6] Supérieure ou égale à un an

[7] DARES, Demandeurs d’emploi inscrits et offres collectées par Pôle emploi en mai 2013, juillet 2013

[8] Indice du coût du travail, INSEE, ACOSS et DARES

[9] Source : INSEE, salaire minimum interprofessionnel de croissance

[10] Observé sur un échantillon d’individus en recherche d’emploi sur la période 1986-1992 lors du passage de l’allocation de base à l’allocation de fins de droits (au 14emois d’indemnisation), Conseil d’orientation pour l’emploi, Document de synthèse relatif aux causes du chômage, janvier 2008

[11] Le taux d’emploi est la proportion d’actifs occupés parmi la population en âge de travailler (15-64 ans)

[12] Enquête PISA de l’OCDE, 2009

[13] Taux de chômage au sens du BIT, site de l’INSEE

[14] Conseil d’analyse économique, Dynamique des salaires par temps de crise, avril 2013

[15] DARES, Synthèse des principales données relatives à l’emploi des jeunes et à leur insertion, novembre 2011

[16] Hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC, ministère de l’Économie et des Finances.