Trajectoire climatique des portefeuilles d’investissement : après les engagements, la mise en oeuvre (Note)

Utilité de l’article : Cet article se concentre sur l’engagement pris par les grandes institutions financières de la planète d’aligner leurs portefeuilles d’investissement avec une trajectoire de +1.5°C[1] . Il vise à offrir de premiers éléments de compréhension sur les conséquences potentielles de cet engagement, son potentiel de mise en oeuvre effective, ainsi qu’en matière d’impact sur la culture d’investissement, les outils et les métiers de la finance.

Résumé :

  • En vue de la COP26 de Glasgow en 2021, une coalition composée de centaines d’institutions financières de la planète a été créée : la Glasgow Financial Alliance for Net Zero. Elle réunit ses membres autour de l’engagement commun d’atteindre l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050.
  • Cet objectif correspond à une trajectoire de réchauffement climatique de +1.5°C. Il est donc ambitieux, en ligne avec l’Accord de Paris, et reviendrait à une transformation structurante de l’industrie financière, transformation dont l’ampleur n’est peut-être pas entièrement mesurée aujourd’hui par les acteurs qui la composent. Or, dans un contexte global d’économies fortement carbonées, ces portefeuilles d’investissement le sont actuellement tout autant.
  • Trois éléments essentiels de cette transformation sont 1. le changement de paradigme d’investissement, porté aujourd’hui sur le ratio risque/rendement qui est amené à évoluer ; 2. l’adaptation des outils et des modèles à un objectif climatique de très long terme ; et 3. la dimension humaine, à travers des changements importants dans les métiers de la finance.

La mise en oeuvre de l’Accord de Paris implique de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en deçà de +2°C par rapport aux niveaux préindustriels d’ici 2100 et de poursuivre les actions menées pour limiter cette limitation à 1.5°C sur la même période[2] . En instaurant l’objectif commun de limiter le réchauffement climatique à +1.5°C et +2°C, l’accord de Paris a mené à la diffusion globale du concept de « trajectoire de réchauffement climatique ».

Dans la période qui a suivi, les instances en charge de la mise en place de normes et de la régulation ont progressivement incorporé ce concept dans la réglementation et dans les pratiques de marché[3] . Les investisseurs ont été particulièrement concernés par ces évolutions. A titre d’exemple, ils sont aujourd’hui beaucoup à devoir communiquer sur leur stratégie d’alignement de portefeuille avec les objectifs de l’Accord de Paris, notamment au titre de la réglementation européenne[4]  et française[5] . La majorité des grandes institutions financières de la planète se sont également engagées à atteindre un objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050.

Une conclusion à tirer des engagements pris par les Etats dans le cadre de l’Accord de Paris tient à la différence notable entre l’engagement sur un objectif à atteindre en fin de siècle et la réalisation de cet engagement de manière opérationnelle[6] . De fait, les Nations Unies (ONU) estimaient en octobre 2022 que l’ensemble des actions et programmes mis en place par les Etats signataires de l’Accord à ce jour (les « contributions nationales déterminées ») mènerait l’économie mondiale vers un réchauffement de 2.5°C d’ici à 2100. L’objectif établi de zéro émission nette d’ici 2050 correspond cependant à un réchauffement de 1.5°C sur la même période[7] .

Dans ce contexte les institutions financières ont-elles mesuré l’ampleur de leur engagement ? Tandis que l’on constate aujourd’hui que les Etats, engagés depuis 2015, peinent encore à rapprocher la trajectoire de l’économie mondiale vers le seuil de 2°C de réchauffement climatique pour 2100 ?

1. L’engagement des institutions financières

1.1.         La coalition de la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ)

En 2021, en amont de la COP26 de Glasgow, les grandes institutions financières ont annoncé des mesures visant à réorienter leurs investissements et leurs capitaux vers la réalisation de l’objectif zéro émission nette d’ici 2050. Ils forment ensemble une coalition - la Glasgow Financial Alliance for Net Zero(GFANZ)- qui réunit des institutions financières représentant une grande partie des actifs financiers dans le monde.

Tandis qu’à sa constitution, la coalition réunissait 160 membres, le dernier rapport d’étape du GFANZindique que celle-ci en réunissait plus de 550 à la fin de l’année 2022. Parmi ces membres, 291 sociétés de gestion gérant 66 000 milliards USD, dont font partie les plus grandes sociétés françaises telles que Amundi, AXA IM ou BNP AM. Dans ce même document, le progrès réalisé et communiqué par la coalition porte sur le nombre de membres ayant mis en œuvre des cibles et des scénarios 1.5°C « basés sur la science »[8] . En novembre 2022, 310 institutions membres de la GFANZ avaient adopté de telles cibles (GFANZ, 2022).

Ces cibles sont validées par la Science-Based Target initiative(SBTi), qui évalue le projet de diminution d’émissions de GES, et vérifie son ambition afin d’être aligné avec un scénario de réchauffement à 1.5°C. Pour la GFANZ et la SBTi, une entreprise alignée avec une trajectoire 1.5°C est une entreprise qui s’est engagée à respecter cette trajectoire et qui a communiqué un projet jugé pertinent pour atteindre cet objectif. Ces engagements sont répertoriés sur le site de la SBTi, cependant l’approche opérationnelle permettant de respecter ces engagements n’est pas communiquée publiquement.

Dans un contexte où l’économie globale se dirigerait vers un réchauffement de 2.5°C si tous les engagements des pays signataires de l’Accord de Paris sont tenus, il semble pertinent aujourd’hui d’interroger le réalisme des engagements pris par ces institutions financières et de porter une attention plus spécifique à la mise œuvre pratique des projets permettant une diminution concrète des émissions GES.

1.2.         L’impact des acteurs financiers sur l’économie réelle

Il est d’abord pertinent d’analyser les engagements pris par les signataires de la GFANZ au regard de l’impact global du secteur financier sur l’économie réelle, en distinguant notamment l’impact du marché primaire[9]  à celui du marché secondaire. Sur ces marchés, les institutions financières, et notamment les banques, fournissent les moyens nécessaires aux entreprises pour investir et se développer. Il semble cohérent que ces activités participent directement à financer une adaptation des entreprises au changement climatique. Les marchés secondaires[10]  ont un impact sur l’économie réelle moins établi, et ainsi un rôle moins direct dans la transition.

Ce sujet est abordé est profondeur dans le cadre d’une étude de l’I4CE[11]  (I4CE, 2022), qui met notamment en avant un paradoxe important : les acteurs les plus impliqués et actifs dans la finance secondaire sont également ceux qui s'engagent le plus dans la "finance responsable", en gérant des montants considérables de capitaux, bien que leur potentiel d'impact soit relativement limité. En septembre 2022, le CDP[12] indiquait que 27 % des gestionnaires et investisseurs du GFANZ avaient établi une cible de diminution d’émissions contre 6 % des institutions bancaires (CDP, 2022).

La conclusion du travail de l’étude de l’I4CE est le constat que les investisseurs seuls ne peuvent pas influencer sur la trajectoire de l’économie globale en termes d’émissions de GES, ces derniers rencontrant des obstacles structurels significatifs qui restreignent leur capacité à produire des résultats efficaces.Pour cet institut de recherche spécialisé, les pouvoirs publics jouent un rôle essentiel pour guider la finance privée dans l’atteinte des objectifs climatique.  

2. Un changement de paradigme conceptuel 

Par ailleurs, à travers leur engagement, les institutions financières se donnent un rôle nouveau. Jusqu’alors, celui-ci consistait à financer l’économie en analysant la santé financière des acteurs qui la composent, et à investir dans l’économie en analysant la performance financière de ces acteurs. Ceci était effectué à travers un prisme d’analyse risque/rendement à deux dimensions. S’engager sur la trajectoire climatique de leurs différents portefeuilles de financement et d’investissement signifie désormais pour les institutions financières de se concentrer sur une troisième dimension. Celle-ci s’ajoute à ce prisme d’analyse historique, y compris dans la littérature académique financière[13].

Dans ce contexte, un investissement doit également comporter une dimension climatique. Celui-ci participe positivement ou négativement à la trajectoire climatique du portefeuille et donc de l’institution financière qui en est la gérante. Cette troisième dimension prend d’autant plus d’importance que les institutions financières qui gèrent l’investissement se sont engagées à atteindre une trajectoire ambitieuse[14].

Cependant, le paradigme actuel portant sur la gestion et l’investissement financier au sein de ces institutions est le résultat d’une vaste littérature académique ayant très grandement participé à la création et au fonctionnement des marchés financiers tels que nous les connaissons.

L’engagement des plus grandes institutions financières à limiter leurs émissions de GES va nécessairement influencer sur leur prise de décision, et il semble cohérent d’également s’interroger sur la possibilité pour ces institutions financières de faire évoluer ce paradigme ancré dans des décennies de théorie économique et financière.

3. Des outils et modèles encore en développement

Un tel engagement amène à comprendre dans quelle mesure les outils et cadres d’analyses utilisés par les institutions financières vont être en mesure de s’adapter. Au cœur de cette problématique, le sujet de la mesure de la trajectoire des portefeuilles est par ailleurs essentiel. Que veut dire, de manière opérationnelle, aligner ses portefeuilles d’investissement sur une trajectoire de 1.5°C ?

Etudier l’aspect plus technique de ce sujet permet rapidement de comprendre qu’il existe aujourd’hui peu de consensus sur les méthodes utilisées par les acteurs afin d’évaluer la trajectoire de leur portefeuille :

  • La première étape des méthodologies utilisées consiste notamment à définir le périmètre des émissions de GES actuelles des entreprises : or, sur ce point, les approches divergent.
  • La seconde étape consiste à estimer les émissions de GES que les entreprises sont susceptibles de produire dans le futur. Les méthodologies varient en fonction des données utilisées et des facteurs économiques, technologiques, politiques et environnementaux qui peuvent influencer ces émissions.
  • Finalement, une fois la trajectoire de chaque entreprise calculée, il convient d’agréger ces trajectoires afin d’obtenir la trajectoire du portefeuille, selon une des différentes approches du marché[15].

Les différentes institutions financières concernées se sont engagées sur le fait d’atteindre un objectif net zéro avant même qu’un consensus (tant d’ordre réglementaire que dans les pratiques de marché et leurs fondations théoriques) n’existe sur la façon de mesurer spécifiquement la trajectoire de leurs portefeuilles d’investissement. Le fait qu’un tel consensus n’existe pas est problématique. En effet, dans un tel univers méthodologique vaste et complexe, les institutions peuvent encore utiliser les approches qui leur sont le plus favorables : celles qui permettent de calculer des trajectoires atteignant des objectifs de réchauffement climatique trop optimistes par rapport à la réalité de leur portefeuille[16]. Plusieurs raisons peuvent en effet présider ce « choix », de la gestion du risque de réputation aux caractéristiques de la transparence contractuelle auprès des clients requérant des objectifs en ligne avec les objectifs d’investissement ; ou encore une facilitation du conseil financier.

Par ailleurs, la plupart des outils, modèles et cadres de modélisation utilisés aujourd’hui s’appuient simplement sur les engagements des entreprises pour calculer les trajectoires des portefeuilles. Afin de valider la pertinence de ces outils et modèles, l’existence d’un cadre méthodologique de mesure clair et transparent et communément accepté à l’échelle du marché est essentielle. C’est le cas des différentes méthodes de valorisation des actifs et projection de la performance financière des entreprises.  La présence d’’institutions fiables pouvant par la suite approuver les trajectoires de portefeuille résultant de ces outils participerait également à confirmer leur validité.   

4. L’évolution du métier et de l’expertise de l’investisseur

4.1. L’intégration du risque climatique dans la responsabilité fiduciaire des investisseurs

A travers leurs engagements vis-à-vis du climat, les grands investisseurs de la planète ont participé à lancer un débat important portant sur l’intégration de la gestion du risque climatique et de durabilité dans leur responsabilité fiduciaire. La responsabilité fiduciaire des investisseurs est un concept fondamental en finance qui énonce que les investisseurs doivent agir dans le meilleur intérêt de leurs clients et prendre des décisions de placement en toute objectivité et impartialité. Cette responsabilité fiduciaire s'applique aux investisseurs institutionnels, tels que les fonds de pension ou les compagnies d'assurance, ainsi qu’aux sociétés de gestion qui gèrent des actifs pour le compte de tiers.

En 2015, l’initiative de la finance pour les Nations Unies publie un rapport portant sur le devoir fiduciaire des investisseurs au 21ème siècle. Ce rapport permet de lancer un projet visant à clarifier les obligations et les devoirs fiduciaires des investisseurs en ce qui concerne l’incorporation des enjeux ESG – dont font partie notamment les enjeux environnementaux et climatiques - dans la pratique et la prise de décision d’investissement (UN, 2015). Les conclusions de ce projet en 2019 apportent selon l’ONU des preuves considérables sur l'importance critique de l'incorporation des normes ESG et climatiques dans les conceptions réglementaires du devoir fiduciaire. Selon les Nations Unies, les investisseurs ne prenant pas en compte les enjeux ESG et climatiques ne respectent pas leur devoir fiduciaire et sont de plus en plus susceptibles de faire l'objet de poursuites judiciaires (UN, 2019).

Cette approche est actuellement contestée aux Etats-Unis, où, en août 2022, dix-neuf procureurs généraux républicains ont publié une lettreaccusant la société d’investissement BlackRock de prioriser l' « activisme climatique » plutôt que le devoir fiduciaire envers leurs fonds de pension d'État[17]. Trois des plus grandes banques américaines, JP Morgan, Morgan Stanley et Bank of America ont par la suite menacé de quitter la GFANZ en raison du fait du caractère jugé strict des recommandations de l’alliance, les exposant ainsi à des risques de poursuites judiciaires[18]. C’est là tout l’enjeu de la mise en œuvre du devoir fiduciaire aux Etats-Unis, obligeant à agir exclusivement dans l’intérêt des clients, et de faire preuve de prudence en matière de politique d’investissement en vue de protéger la valeur à long terme de ces investissements. Depuis le rapport dit « Freshfields » (2005) ayant affirmé que le devoir fiduciaire ne limitait pas l’intégration des facteurs ESG, la jurisprudence américaine a souvent évolué, menant à discussions clefs (cf. ici, veto du président Joe Biden sur la Department of Labor rule en mars 2023), y compris en matière d’enforcement tant les risques juridiques sont importants dans le contexte juridique américain.

Tandis qu’il est encore difficile de déterminer si les institutions financières américaines vont pleinement intégrer la notion de durabilité dans leur responsabilité fiduciaire, l’issue de ce débat aura vraisemblablement un impact important sur le métier de l’investisseur pour les années à venir. Dans l’Union européenne, l’intégration des notions de durabilité dans la responsabilité fiduciaire fait partie intégrante du plan d’action pour le financement de la croissance durable de la Commission européenne[19], bien que ne s’appliquant pas aux détenteurs d’actifs tels que les fonds de pension à l’instar des Etats-Unis, mais aux gérants d’actifs[20]

4.2. L’impact humain de l’évolution des métiers de la finance

Le métier et l’expertise des investisseurs ont évolué malgré ce débat, alors que ces derniers intègrent progressivement la durabilité et le changement climatique dans les décisions d’investissement. Un autre aspect essentiel à l’atteinte de l’objectif net zéro par les institutions financières porte sur la dimension humaine de cette évolution. Les institutions financières ont engagé leur nom et leur réputation dans l’atteinte de cet objectif, mais ce sont des individus qui vont être responsables d’adapter leurs métiers à cette nouvelle ambition stratégique. Comment ces individus vont-ils s’adapter et comment ces institutions peuvent cadrer cette transformation ?

Prenons l’exemple d’un gérant d’actifs qui doit aujourd’hui continuer d’être compétitif sur son marché et proposer des investissements rentables en fonction du profil de risque souhaité de son client. Il doit également faire évoluer son portefeuille d’investissement pour qu’il s’aligne avec un objectif net zéro. Une question essentielle est la suivante : est-ce que l’on attend de ce gérant qu’il maintienne un même niveau de performance financière alors même que celui-ci doit également démontrer une forme de performance durable et climatique, dans un contexte où le lien entre performance ESG et climatique et performance financière n’est pas évident et où différentes stratégies climatiques[21] sont disponibles ?

La littérature portant sur la relation entre performance ESG et performance financière n’a pas atteint de consensus clair, même si celle-ci indique dans une majorité des cas une relation plutôt positive que neutre ou négative (Fried et al. 2015Whelan et al. 2021). De plus, pour assurer une performance ESG ou climatique positive, un investisseur peut utiliser sept approches d’investissement, qui mènent à des attentes différentes en termes de performance ESG, climatiques et financières[22]. Aujourd’hui, la réputation des gérants et des sociétés de gestion est directement liée à la performance financière qu’ils proposent. Dans ce contexte, y aura-t-il une évolution des attentes des différentes parties prenantes de ces sociétés de gestion pour accepter d’éventuelles baisses de performance liées à cet engagement nouveau ?

D’autres problématiques se posent naturellement :  attend-t-on de ce gérant qu’il conserve un portefeuille identique, mais qu’il s’engage davantage auprès des entreprises de son portefeuille pour diminuer leurs émissions ? Ses investisseurs sont-ils alignés avec sa démarche climatique ? Son modèle de rémunération va-t-il être adapté à ces changements et de quelle manière ? Les nouvelles conditions de travail offertes à ce gérant vont-elles le satisfaire suffisamment face à un environnement compétitif et potentiellement moins ambitieux sur le plan climatique ? Sa réputation sur le marché à la suite de cette adaptation va-t-elle s’améliorer ou se détériorer ? L’ensemble de ces questionnements opérationnels doit être pris en compte lorsqu’un tel objectif est fixé, car ils vont s’appliquer à tous les métiers de la finance exercés par les institutions concernées.

Les engagements des institutions financières à atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 revêtent une importance capitale pour garantir la stabilité financière face aux risques climatiques systémiques. En reconnaissant la réalité du changement climatique, ces engagements permettent aux institutions financières de réduire leur exposition aux actifs à haut risque climatique, renforçant ainsi leur résilience face aux perturbations à venir. En mobilisant les ressources nécessaires pour soutenir la transition vers une économie sobre en carbone, les institutions financières favorisent la création d'opportunités économiques durables et minimisent les pertes financières potentielles. De plus, ces engagements stimulent la transparence et la responsabilité financières, permettant une évaluation plus précise des risques climatiques et facilitant ainsi une prise de décision éclairée.

Ainsi, s’engager auprès de la GFANZ ne doit pas être assimilé au fait de rejoindre une initiative supplémentaire sur le sujet du climat et de la durabilité, mais plutôt au fait de prendre une responsabilité dans la préservation de la stabilité financière à long terme en atténuant les risques systémiques liés au climat et en favorisant une économie résiliente. Cette responsabilité implique de réellement adapter les métiers de la finance à la problématique climatique. En ce sens, l’impact de cet engagement sur l’aspect opérationnel de tous les métiers de la finance doit être bien évalué, et bien géré.

Conclusion

En tant qu’institution financière, le fait de s’engager à respecter l’atteinte des objectifs de température de l’Accord de Paris participe à « améliorer » l’image de l’industrie financière et de ses acteurs. C’est un élément de communication fort, qui est également une opportunité conséquente pour ces acteurs à inclure cet objectif dans leur stratégie et sa mise en oeuvre. Dans un contexte où les impacts négatifs du changement climatique à moyen et long terme sur l’économie sont de mieux en mieux identifiés par la communauté scientifique, savoir piloter sa trajectoire climatique peut représenter un élément de gouvernance et de stratégie bénéfique et différenciant. Cela peut également constituer un outil important de gestion du risque à moyen et long terme, notamment au regard de la dimension réglementaire de ce risque et de l’évolution rapide du contexte réglementaire européen et français sur ce sujet. Cet engagement est également une opportunité de créer une nouvelle forme de coopération nécessaire avec les instances publiques qui partagent cet objectif commun.

L’engagement des institutions financières à attendre les objectifs de température de l’Accord de Paris est également une indication que celles-ci prennent, encore très progressivement, conscience des risques liés au changement climatique. Mais cet engagement implique une transformation intégrale de la culture, des outils et des métiers de la finance, une transformation composée aujourd’hui de beaucoup d’inconnues. Les institutions financières se sont aujourd’hui engagées à atteindre un objectif d’une ambition sans précédent : vont-elles être en mesure de maintenir ce niveau d’ambition dans la mise en œuvre d’un projet de transformation de leur industrie qui serait, lui aussi, sans précédent ?

Bibliographie

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CDP, 2022. Science-Based Targets Campaign: Final progress report: 2021-22 campaign.

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GFANZ, 2022. 2022 Progress Report.

GSIA, G.S.I.A., 2020. Global sustainable investment review. Biennial Report.

I4CE, 2022. Les limites des engagements climat volontaires des acteurs financiers privés. La finance privée ne financera pas la transition sans un engagement plus fort des pouvoirs publics.

Institut Louis Bachelier et al. (2020). The Alignment Cookbook - A Technical Review of Methodologies Assessing a Portfolio’s Alignment with Low-carbon Trajectories or Temperature Goal.

Kotsantonis, S. & Serafeim, G. (2018). Four things no one will tell you about ESG data. Harvard Business Review.

Markowitz, H. (1952), PORTFOLIO SELECTION*. The Journal of Finance, 7: 77-91. https://doi.org/10.1111/j.1540-6261.1952.tb01525.x

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Whelan, T., Atz, U., Van Holt, T. and Clark, C., 2021. ESG and financial performance: Uncovering the relationship by aggregating evidence from 1,000 plus studies published between 2015-2020. New York: NYU STERN Center for sustainable business.


[1] En tant qu’investisseurs souhaitant respecter l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris consistant à limiter le réchauffement climatique à +1.5°C par rapport aux niveaux préindustriels, les institutions financières de la planète doivent adapter leurs portefeuilles d’investissement afin que les entreprises qui composent ces portefeuilles aient une trajectoire agrégée de +1.5°C.

[2] Cette formulation correspond à celle rédigée dans le texte de l’Accord de Paris, Article 2, point 1.a. Le texte de l’Accord est disponible sur le site des Nations-Unis : https://unfccc.int/documents/184656

[3] C’est notamment le cas de la Commission européenne dans le cadre de son plan d’action pour le financement de la croissance durable et des différentes réglementations qui le composent, ainsi que le législateur français au travers de la Loi Energie Climat de 2019. La principale norme de transparence du marché sur le sujet est quant à elle portée par la Task-Force on Climate Related Disclosure (TCFD).

[4] Le principal texte réglementaire européen abordant ce sujet spécifiquement est la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), et impose des normes de reporting climatique à l’ensemble des sociétés de gestion de l’Union européenne ainsi que pour leurs produits d’investissement.

[5] Le texte réglementaire françaisabordant le sujet de la façon la plus spécifique est le décret de l’article 29 de la Loi Energie Climat, qui impose à l’ensemble des sociétés de gestion ayant une activité en France et gérant plus de 500 millions d’euros d’actifs sous gestion de « publier leur stratégie d’alignement avec les objectifs de long terme des articles 2 et 4 de l’Accord de Paris relatifs à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre » et cela également au niveau de tous leurs produits d’investissement de plus de 500 millions d’euros d’actif sous gestion. Dans le cas où une société de gestion n’a pas d’information à fournir sur le sujet, celle-ci doit dès lors publier un plan d’amélioration.

[6] Un rapport annuel de l’ONUaborde spécifiquement le sujet de l’écart entre le niveau d’émissions GES actuel dans le monde et les niveaux souhaités afin de ne pas dépasser les objectifs de température de l’Accord de Paris.

[7] Comme nous l’explique le 6ème rapport du GIEC, le respect de l’objectif de 1.5°C nécessite un pic des émissions de GES en 2025 au plus tard suivi d’une baisse jusqu’à l’atteinte de la neutralité carbone en 2050. Voir le rapport de synthèse du GIEC ou encore la synthèse du ministère de la transition énergétique.

[8] Ces scénarios sont à l’origine des projections des émissions de GES utilisées par la communauté scientifiques pour évaluer la vulnérabilité future au changement climatique. Les scénarios et les voies d'évolution correspondantes créés par cette communauté sont utilisés par les institutions financières pour créer des itinéraires long terme avec lesquels s’aligner afin de respecter l’objectif de 1.5°C d’ici 2100 à leur échelle.

[9] Le marché primaire, où les nouveaux titres sont émis et vendus pour la première fois, est directement lié à l’économie réelle à travers l’octroi de prêts aux entreprises ou de financement d’investissement en capital.

[10]  Sur lesquels les investisseurs institutionnels et sociétés de gestion notamment échangent les actifs déjà existants,

[11] I4CE (Institute for Climate Economics) est un institut de recherche indépendant qui travaille sur l'analyse économique des politiques liées à la lutte contre le changement climatique, notamment en matière de finance et d'investissement.

[12]Le CDP (anciennement Carbon Disclosure Project) est une organisation à but non lucratif qui travaille avec des entreprises, des villes et des États pour mesurer et divulguer leur impact environnemental et leur performance en matière de lutte contre le changement climatique.

[13]Ce concept est abordé dans la littérature académique,  à l’instar de Eccles & Serafeim (2013)) suggérant que les mesures financières traditionnelles peuvent ne pas capturer pleinement la valeur de ces stratégies durables, ou encore de Kotsantonis & Serafeim (2018)soutenant que les facteurs ESG ne sont actuellement pas reflétés dans les modèles financiers.

[14]Il est cependant important de rappeler qu’à ce stade, les engagements pris par ces institutions financières n’ont pas de caractère contraignant juridiquement, tel que c’est le cas en matière de régulation financière. Cette contrainte l’est plutôt au sens des obligations de transparence sur les moyens mis en œuvre, des attentes du marché et des clients ou de possibles décisions stratégiques internes à l’entreprise. Or, ces conséquences sont sujettes à des niveaux de sanction moins stricts, principalement définis dans la régulation financière.

[15]Il est possible de faire le constat de la variété et de la complexité de ces différentes méthodes à travers la lecture du rapport effectué par l’Institut Bachelier (Institut Louis Bachelier et al., 2020). Un travail spécifique permettant de clarifier et uniformiser ces approches a également été effectué par la TCFD (Portolio Alignement Team, 2021)

[16]Si, parmi un ensemble de différentes méthodologies appliquées par une institution financière afin de calculer la trajectoire de réchauffement climatique de ses portefeuilles, une méthodologie permet d’obtenir une trajectoire correspondant à l’atteinte d’un réchauffement de 1,5°C pour 2100 (tandis que les autres méthodologies mènent à un résultat avoisinant les 2.5°C pour 2100), cette institution financière est dès lors susceptible de choisir cette première méthodologie.

[17]Voir https://www.ft.com/content/a4af6919-b1cc-4c15-b17c-46186fddbd4c

[18]Voir https://www.ft.com/content/0affebaa-c62a-49d1-9b44-b9d27f0b5600

[19]Voir https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52021DC0188

[20]Voir https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52021DC0188

[21]Par exemple, une stratégie climatique qui consiste à investir uniquement dans les énergies renouvelables excluant le nucléaire obtiendra des performance ESG, climatiques et financières très différentes de celles d’une stratégie similaire mais incluant le nucléaire.

[22]Ces sept stratégies d’investissement sont l’intégration ESG, l’engagement, le filtrage basé sur les normes, le filtrage négative/exclusion, le filtrage positif/meilleure sélection, l’investissement thématique axé sur la durabilité et l’investissement à impact. Voir GSIA (2020).

Romain est diplômé de l’ESCP et titulaire d’un doctorat de La Sorbonne sur le sujet de la finance durable. Sa thèse porte sur la régulation, le financement par les marchés et la gestion d’actif à l’ère de la finance durable. Il a 7 ans d’expérience en conseil sur le sujet. Il fonde sa société de conseil et d’expertise RSF Advisors en 2022, à travers laquelle il propose un accompagnement complet aux entreprises financières sur ce thème, abordant tout autant des problématiques génériques (rapports ESG, régulation, stratégie) que des problématiques plus techniques (modélisation, data science, R&D). Romain est co-auteur du livre “The Rise of Green Finance in Europe”, cocréateur du cours MBA “Introduction à la Finance Durable” à l’IFG Executive Education et intervenant en Finance Durable pour la Montpellier Business School. Il est membre ambassadeur des AFR (Acteurs de la Finance Responsable).

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