PME, startups et innovation : bilan d’une relation complexe Partie 2 – Des fragilités spécifiques (Note)

Utilité de l’article : Les startups et l’innovation des PME attirent de plus en plus l’attention tant au sein du débat public que dans le discours politique. La première partie de cette note s’intéressait à expliquer le rôle des jeunes entreprises dans la dynamique d’innovation. Cette deuxième partie se penche sur les difficultés spécifiques que peuvent rencontrer les startups dans leur processus d’innovation. Elle discute aussi les potentiels bénéfices d’un soutien public.  

Résumé :

  • Les PME et les startups jouent un rôle très important dans la production des innovations dites disruptives.
  • Elles sont aussi exposées à de plus grandes difficultés dans leur activité d’innovation. L’accès au marché des capitaux, déjà difficile pour financer les activités d’innovation, l’est d’autant plus pour cette catégorie d’entreprises.
  • Elles rencontrent aussi des difficultés qui leur sont propres, tant en phase de R&D qu’au moment de la commercialisation.

L’OMPI a publié en octobre 2020, sa 13ème édition des pays les plus innovants dans le monde. Celle-ci a fait grand bruit en France. Le pays est monté de quatre places passant du 16ème au 12ème rang. En 2021, une place a encore été gagnée pour atteindre la 11ème position.

L’une des raisons principales expliquant cette évolution est le développement d’un solide écosystème des startups.

Depuis lors, la presse parle souvent de la France comme d’une nouvelle « Startup nation ». L’intérêt porté à cet écosystème ne semble pas se démentir avec le grand plan d’investissement lancé le mardi 12 octobre 2021 par le Président de la République Emanuel Macron. Ce dernier fait en effet la part belle à la R&D privée et l’innovation dite disruptive pour laquelle les petites et jeunes entreprises ont un rôle essentiel.

Un soutien public semble d’autant bienvenu que les PME et startups connaissent plus de difficultés dans leurs activités d’innovation. D’une part, l’accès au marché financier, déjà difficile pour l’ensemble des entreprises, est d’autant plus complexe pour cette sous-population (voir partie 1). De plus, certaines barrières existent et leurs sont spécifiques. C’est à cette deuxième catégorie de barrières que cette note est consacrée.

1)   La ‘Liability of the newness’, un phénomèneréférencédepuis longtemps

Depuis les années 60, il est établi que les jeunes entreprises et organisions ont une plus forte probabilité d’échouer et de faire faillite dans leurs premières années. Ce phénomène est référencé sous le nom de « liability of the newness ». Plus une entreprise a un caractère innovant plus il est fort. Souvent, il est expliqué par le manque d’accès au marché financier ainsi qu’un fort besoin de professionnalisation et de montée en compétence des jeunes entreprises.

En effet, les jeunes entreprises éprouvent habituellement plus de difficultés à mettre en place une stratégie d’innovation suffisante pour capturer les rendements de leur innovation. Cela s’explique notamment par leur manque de compétences, de ressources notamment humaines, ainsi qu’un manque de légitimité (asymétrie d'information) et de réseau. De nombreux papiers ont montré que les aspects extra-financiers, notamment organisationnels et humains, jouaient un rôle important dans la croissance et le succès des startups. (Stinchcombe 1965, Hellman and Puri 2002, Söderblom, Samuelsson and. al. 2015, Veugeler et Schneider 2018).

2)   Des difficultés structurelles dans les activités d’industrialisation   A.    Le phénomène souvent cité de la vallée de la mort

Une des premières difficultés documentées par la littérature est la Vallée de la mort. Frank, Sink et al. (1996) définissent la vallée de la mort comme suit « La vallée de la mort se produit lorsque le développeur d'une technologie particulière a réussi à démontrer l'efficacité de celle-ci, mais qu'il ne parvient pas à obtenir le financement nécessaire à la mise à l'échelle et au processus de fabrication". En d’autres termes, il s’agit des difficultés rencontrées par une JEI (Jeune Entreprise Innovante) ayant réussi le développement d’une technologie lors d’un projet R&D, mais incapable de lever le financement nécessaire à l’industrialisation et la commercialisation de son innovation. Il s’agit donc principalement d’un problème de financement qui intervient dans les phases dites de démarrage et de croissance, soit les dernières phases de la vie d’une startup.

Cette période se caractérise par un fort besoin de liquidité sans qu’il n’y ait les entrées équivalentes. Le besoin de cash-flow est un phénomène classique dans tout processus de production et un élément traditionnel d’analyse de la finance d’entreprise. Cependant, il est accentué ici par l’absence totale d’autres activités permettant de dégager des revenus, ainsi que par l’incertitude sur le succès de la commercialisation. Pour les jeunes entreprises innovantes on parle alors de cash burn rate, soit la rapidité à laquelle une JEI dépense et épuise les fonds levés en capital risque avant de générer ces premiers cash flows positifs.

La vallée de la mort est un problème de capital. Les solutions sont donc principalement d’ordre financier. Sur le versant privé, il s’agit du développement d’activité dite late-stage dans le capital investissement. Cela correspond souvent à des séries C ou D de levée de fonds, donc une troisième ou quatrième levée de fonds. En France, malgré le développement certain des activités de capital-risque au cours de la dernière décennie, les fonds spécialisés en late-stage restent minoritaires. L’activité de capital-risque se concentre principalement sur le segment dit early-stage intervenant en amont.  Selon le baromètre du capital-risque, publié annuellement par le cabinet EY, en 2020 les série A et B étaient presque deux fois supérieures en volume aux séries C et suivantes (2,2 Md€ contre 1,2 Md€). Le constat était le même pour les années précédentes 2018 et 2019. Cependant, une amélioration peut être notée notamment dans les fonds dit growth equity, ceux intervenant au stade le plus avancé. Ils ont connu une forte croissance sur une très courte période passant de 430 M€ en 2018 à 576 M€ en 2019 pour atteindre 1 676 M€ en 2020. Une même dynamique bien que plus contenue, peut être observée pour les levées en Série C et plus qui étaient 931 M€ en 2018 contre 1211M€ en 2020.

Cette évolution est probablement le reflet de deux réalités. D’une part, elle atteste certainement du développement nécessaire des activités de capital-risque en France. La figure 2 ci-dessous montre la croissance rapide des encours investis au sein des startups par les fonds VC. Le nombre d’opérations a connu une trajectoire similaire passant de 574 deals en 2016 à 736 en 2019 et 620 en 2020[1] . Cependant, elle est aussi probablement liée au développement d’un vivier de startups atteignant aujourd’hui un certain niveau maturité[2] .

Figure 2- Levées de fonds des startups en France ventilées par maturité (Milliers d'euros), source EY

Figure 3- Levées de fonds des startups en France ventilées par maturité (%), source EY

Malgré, l’activité limitée en France sur les fonds dits late-stage, il existe peu de quantification poussée mesurant réellement l’ampleur du phénomène de la vallée de la mort. La direction Générale du Trésor, en 2021, faisait simplement le constat que le taux de survie à 3 ans des jeunes entreprises du secteur de l’information et de la communication était globalement plus élevé que chez nos voisins européens[3] .  Ce chiffre reste un estimateur largement imparfait.

B.    La prédation des startups par les grands groupes : entre mythe et réalité

Une deuxième difficulté structurelle spécifique aux JEI est la prédation. Il s’agit du phénomène par lequel une entreprise bénéficiant d’un pouvoir de marché limite la concurrence en adoptant des stratégies d’écrasement des technologies naissantes. On parle généralement « d’acquisition prédatrice » désignant l’acquisition de JEI ou de brevets développés par ces entreprises pour « enterrer » la technologie. Cependant, le phénomène de prédation semble être plus large. Ainsi, dans la littérature économique, on retrouve deux expressions qui émergent et distinguent deux faces possibles de ce phénomène : la « Kill zone » et les « Killer acquisitions ».

Les Kill zones arrivent en amont du processus d’innovation, quand des entreprises, ayant un pouvoir de marché élevé, mettent en place des mécaniques limitant les espérances de demandes futures pour les nouveaux entrants. Elles désincitent ainsi à l’entrepreneuriat et l’investissement des VC sur ses marchés historiques[4] .

A l’autre extrémité du processus d’innovation, existent les « killer acquisitions ».  Ce sont des rachats prédateurs de JEI ou de technologie pour enterrer les innovations. La littérature académique s’est récemment penchée sur le sujet et certains travaux rapportent des évidences de l’existence de tels comportements au sein de certains secteurs, dans certains pays[5] .

Cependant, à ce stade, il est très difficile de mesurer l’étendue du problème et sa généralisation. Dans ce sens, en France une étude publiée par la Direction Générale du Trésor estime que le phénomène serait limité. Dans leur estimation les acquisitions prédatrices représenteraient entre 1 % et 10 % des acquisitions de startup, un volume restant donc marginal. Leur étude connait néanmoins des limites qu’ils reconnaissent notamment sur la taille et la complétude de la base utilisée. Si un tel phénomène était plus généralisé, il ne serait pas purement financier, les questions de concurrence y sont centrales. Il appelle donc à une réponse sur les deux fronts, d’une part quand cela semble pertinent, donner les moyens aux JEI de porter leur technologie en propres sur le marché. D’autres part, quand l’acquisition semble une sortie opportune, mettre en place une réglementation et des procédures de contrôle adéquates en droit de la concurrence. Une réponse à ces phénomènes serait d’autant plus importante que les montants d’aides publics alloués aux startups sont de plus en plus importants, qu’il soit direct (subvention) ou indirect (crédits d’impôt, allégements fiscaux). La perte sociale est donc double. D’une part, il y a une perte liée au non développement de la technologie dans laquelle des fonds ont été investis. D’autres part, il y a la perte des investissements publiques réalisés auprès de la startups, argent qui n’a pas été alloué à d’autres fins.

3)   Une menace conjoncturelle toujours planante

Il semble important de rappeler que le capital-risque fait partie des investissements risqués donc volatiles. Durant la crise covid, en France comme nous l’avons vu cela n’a pas été le cas. A l’échelle mondiale, une contraction a pu être observée (Figure 2). Plus généralement, des travaux académiques ont déjà montré la cyclicité capital-risque. Même en cas de crise sectorielle, les fonds en capital-risque exposés tendent à transmettre ce choc aux autres secteurs de leur portefeuille. Le financement des startups reste donc structurellement fragile.

De surcroît et pour conclure, la baisse des barrières à l’entrée de l’entrepreneuriat, qui est un gain sans conteste, conduit à l’apparition de nouvelles frictions sur le marché du capital-risque. Ainsi, la littérature récente en économie a pu constater une augmentation de l’asymétrie d’information notamment sur le segment du early-stage. Outre le support financier, les mécanismes de certification qu’ils soient privés (concours d’innovation et de projet) ou publiques (programmes d’aide sélectifs) vont probablement prendre de l’importance dans l’écosphère des startups.

Figure 4 - Baisse des financements en capital-rique à la suite de la crise Covid-19, source : OMPI 2020

Conclusion

Les petites entreprises ont un rôle essentiel dans la dynamique d’innovation, notamment sur le segment des innovations disruptives. Cependant elles s’avèrent aussi plus sensibles aux défaillances de marché à l’innovation et potentiellement plus fragiles à certains jeux concurrentiels.

Un soutien des autorités publiques semble donc adéquat et opportun. Celui-ci passe par un soutien financier mais pas seulement. Une politique publique plus large et polymorphe est bien souvent facteur d’efficacité. Elle comprend notamment la formation d’un environnement juridique adéquat (formation d’entreprises, potentiels outils de contrôle concurrentiel, facilitation du développement des activités en capital-risque). 

A ce titre, la croissance de l’activité des fonds en capital-risque et d’un vivier de startups en France semble témoigner de la mise en place d’une politique pertinente. Cependant, le développement de ces segments engendre de nouveaux défis auxquels des réponses devront être apportées.

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[1] Après une croissance constante du nombre de deals constantes entre 2016 et 2019, il est probable que la crise Covid est poussé les fonds VC à se recentrer sur un plus petit nombre de deals pour soutenir les entreprises prometteuses déjà à leur actif au moment de la crise. C’est un phénomène connu et documenté par la littérature. Cependant le total des encours à lui cru attestant que le ticket moyen à lui été plus important.

[2] Voir partie 1 pour plus de chiffres sur l’évolution du nombre de start-ups en France.

[3] Trésor-Eco N#276 – Février 2021 - Capital-risque et développement des start-ups françaises - Faÿçal HAFIED, Chakir RACHIQ, Guillaume ROULLEAU

Anna Malessan est une économiste travaillant principalement sur les sujets de politiques publiques. Elle s’intéresse notamment à l’innovation. Anna est diplômée de TSE et de l’Université Paris Dauphine. Aujourd’hui, elle réalise une thèse au sein de TEPP (laboratoire Théorie Evaluation des Politiques Publiques) sur les politiques d’aide à l’innovation privée et travaille au sein d’un cabinet de conseil sur les sujets d’Aides d’Etat et de politiques industrielles européennes.

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