Restructuration de dette publique des pays émergents : comment restructurer ? (Note)

Utilité de l’article : Cet article est la suite d’un premier billet sur la restructuration des dettes souveraines dans les pays émergents. Il s’agit ici d’identifier les principaux outils et les enjeux complexes des restructurations de dette et également d’exposer une piste de réflexion qui pourrait faciliter de telles opérations.

Résumé :

  • Les restructurations de dette prennent généralement trois formes : un allongement des maturités, une baisse des charges d’intérêts ou une annulation. Ces trois options peuvent être activées simultanément ou séparément ;
  • Si des solutions existent pour faciliter les restructurations (via par exemple les clauses d’action collective), la diversité des créanciers et la forte opacité autour du niveau réel d’endettement de certains pays et des engagements vis-à-vis de créanciers constituent d’importants obstacles pour mettre en place des processus de restructuration ;
  • Les initiatives récentes portées par le G20 et le FMI (common framework) ont permis l’amélioration du cadre de multilatéral des restructurations de dette souveraines Toutefois ces mesures semblent insuffisantes à ce stade pour converger vers plus de transparence ;
  • Afin d’inciter les pays à faire preuve d’une plus grande transparence, ces derniers pourraient bénéficier d’allègement préliminaire voire d’aides sous d’autres formes. La mise en place d’un cadre incitatif s’avérerait utile pour compléter les initiatives du G20 et FMI. Il serait possible de mieux identifier les sources de vulnérabilités et ainsi anticiper les besoins de restructuration tout en offrant de la visibilité aux créanciers.

L’augmentation de l’endettement public dans les pays émergents et en voie de développement suscite l’inquiétude depuis plusieurs années, un sentiment renforcé par l’explosion des dettes publiques provoquée par la crise du Covid-19. Dès lors, les pays les plus fragiles font face à un risque de surendettement, certains étant d’ores et déjà en défaut (Liban, Zambie). Se pose alors la question de la restructuration de leur dette et de ses modalités.

Un premier court billet avait permis d’identifier les différents créanciers des pays émergents et de comprendre que l’évolution de la structure de cet endettement (avec la montée en puissance de la Chine et des créanciers privés) était source de nouveaux défis en cas de restructuration.

Dans cette note, il s’agira d’apporter des éléments de réponse quant aux modalités de restructuration la dette des économies émergentes, en présentant les principaux cas de figure et les outils à disposition des pays et de leurs créanciers pour une restructuration réussie.

Quels types de restructuration ?

Il existe trois principaux outils de restructuration de dette dans le cas d’Etat souverain :

  • L’allongement des maturités ;
  • La réduction des charges d’intérêts ;
  • L’annulation partielle d’un montant de la dette.

Ces modes de restructurations peuvent être actionnés en même temps ou de manière séparée, et peuvent intervenir avant ou après une situation de défaut de paiement. Toutefois, les restructurations semblent plus efficaces (dans le sens où elles aboutissent à un allègement significatif de l’endettement et au regard de leur impact économique et financier est limité) quand elles sont mises en place préalablement au défaut (Asonuma, 2020).

L’allongement des maturités consiste à une extension d’échéances[1] et conduit à un report dans le temps des flux financiers reçus par les créanciers, sans pour autant que ces derniers aient à supporter des pertes. Pour un pays endetté en difficulté, l’allongement des maturités permet d’amortir le remboursement de sa dette sur un temps plus long et ainsi de lisser l’amortissement de sa dette, afin de lui permettre d’honorer les échéances, et de ne pas accumuler d‘arriérés voire de faire défaut. 

Que ce soit pour l’endettement sous forme de prêts (comme c’est principalement le cas auprès des créanciers officiels) ou obligataire (plutôt avec les créanciers non officiels[2] ), les premiers remboursements qui interviennent sont généralement les intérêts. Une réduction de la charge d’intérêts via une baisse du taux d’intérêt peut intervenir pour alléger le poids des remboursements. Pour un créancier, cette opération implique nécessairement des pertes par rapport aux flux financiers initialement attendus, son investissement étant toujours rémunéré (par un intérêt, un coupon, etc.). Toutefois, avec ce procédé un créancier ne subirait pas de perte sur le principal, qui reste la partie la plus importante de son investissement. Pour le pays bénéficiant d’un tel allègement, l’avantage est également d’éviter de chercher des nouvelles sources de financement à des conditions peu favorables pour faire face à ses engagements liés au versement des intérêts. Si cette option peut permettre de faire face à des problèmes de liquidité du débiteur, elle semble toutefois d’une portée limitée dans les cas d’insolvabilité.

L’annulation, aussi appelée haircut, est un procédé qui permet un allègement beaucoup plus significatif de l’endettement des pays. La valeur nominale d’un titre de dette est alors amenée à se réduire plus ou moins fortement, selon le pourcentage du haircut[3] . Dès lors, le montant du stock total de dette peut être sensiblement réduit[4] . Ce type de restructuration peut aussi consister en un échange de titres de dette, à des conditions plus favorables pour l’emprunteur (réduction du nominal, taux d’intérêt plus faible, changement de devises, inclusion de clauses, etc.). L’annulation expose inévitablement les créanciers à des pertes élevées, toutefois un tel accord permet d’assurer qu’une partie des fonds engagés soit malgré tout récupérée.

Une étude du Mécanisme Européen de Stabilité(MES) montre qu’en moyenne les pays ayant bénéficié de haircut n’ont pas enregistré de ralentissement marqué de leur activité durant les deux années qui ont suivi la restructuration (avant une forte accélération deux ans plus tard) ; tandis que les pays qui ont opté pour un autre type de restructuration, la croissance du PIB réel a été faible, et ce même au-delà des deux ans. Selon le MES, si la baisse du ratio dette sur PIB a été élevée par les pays bénéficiant d’un haircut, le déficit public a eu tendance à rapidement se creuser un an après la restructuration. Un constat opposé a été observé dans les pays n’optant pas pour un haircut, avec une réduction rapide du déficit public et même des surplus primaires après deux ans. Le mode de restructuration aurait donc de fortes implications ex post en termes de perspectives de croissance d’une part et de discipline budgétaire d’autre part.

Quelles pistes à ce stade pour faciliter les restructurations avec les créanciers privés ?

L’implication accrue des créanciers non officiels dans les restructurations est devenue nécessaire pour les pays émergents étant donné leur part croissante dans la dette externe publique et garantie par le public (près de 40 % en 2020 contre 33 % en 2006). Plus la diversité des profils[5] est élevée et plus le nombre de créanciers[6] est important, plus il devient compliqué de mettre en place une restructuration. En effet, des créanciers récalcitrants peuvent bloquer un accord, pourtant approuvé par une majorité de créanciers.

Par ailleurs, le développement des dettes collatéralisées (notamment sur les recettes futures de matières premières) est un obstacle supplémentaire aux restructurations[7] . En effet, ces montages financiers procurent un levier important aux créanciers et ne les incitent pas accepter une négation de restructuration.

L’implication des créanciers privés joue un rôle prépondérant. A cet égard, l’intégration de clauses d’action collectives (CAC) dans les titres de dette publique depuis le début des années 2000 offre de nouvelles perspectives pour les restructurations[8] . Selon le Parlement Européen, « une CAC permet à une majorité qualifiée des détenteurs d’une émission obligataire d’accepter une restructuration de la dette […] qui sera juridiquement contraignante pour l’ensemble des créanciers ». Il serait donc plus facile d’imposer les conditions d’une restructuration, même dans le cas où de créaciers minoritaires s’y opposeraient. Les CAC ont notamment facilité la restructuration de la dette obligataire de l’Argentine en 2020[9] . Selon le FMI, si 91 % des nouvelles émissions d’obligations souveraines sont accompagnées de CAC depuis 2014, la part des obligations souveraines disposant de CAC ne représentait que 50 % du stock mondial en 2020.

Les pays en proie à des tensions fortes sur le souverain pourraient mettre en place des opérations de swap de leurs obligations sans CAC contre de nouvelles obligations avec CAC auprès de leurs créanciers (extérieurs voire domestiques[10] ) avant même de faire défaut, afin d’évacuer, au moins partiellement, les problématiques liées à l’absence de CAC[11] pour se concentrer sur les négociations autour de leur endettement non obligataire.

La participation des créanciers privés reste également fortement conditionnée à l’implication des créanciers multilatéraux mais surtout bilatéraux, où les contours de l’endettement vis-à-vis de pays non-membres du Club de Paris (les pays du Golfe mais aussi et surtout la Chine) restent un point épineux (cf. premier billet publié sur BSI Economics).

Si le FMI œuvre pour amener les différents créanciers à définir un cadre commun pour résoudre les situations d’insolvabilité, trois pays seulement (Ethiopie, Tchad, Zambie) se sont manifestés à ce stade pour bénéficier d’un allègement de dette dans ce cadre, et aucun n’a pour l’instant abouti. Cette initiative doit être complétée par un cadre incitatif, inexistant à ce jour, pour amener les pays à se montrer plus transparents quant à la qualité de leurs données budgétaires.

La transparence des données des finances publiques s’avère particulièrement préoccupante dans les pays d’Afrique Subsaharienne où la qualité de la gestion des finances publiques s’avère parmi les plus faibles dans le monde émergent et s’est même légèrement dégradée depuis 15 ans (cf. graphique ci-dessous à gauche). Une situation d’autant plus préoccupante que plusieurs pays de la région[12] font face à un risque non négligeable en termes d’endettement, voire se retrouvent dans une situation de surendettement (Congo, Mozambique, Tchad par exemple, cf. graphique ci-dessous à droite).

Proposition d’un cadre incitatif pour plus de transparence

Pour inciter les pays à révéler l’étendue des informations liées à leur endettement, seul un cadre incitatif serait efficace. Si les pays se montrent opaques[13], c’est qu’en réalité cette « stratégie » leur est plus avantageuse que d’afficher l’état réel de la situation. L’apport d’informations fiables devrait donc être récompensée. Pour un pays donné, cette « récompense » consisterait à un traitement relativement plus favorable dans le cadre d’un reprofilage de sa dette par rapport à un pays en situation de défaut de paiement et qui n’a pas d’effort de transparence au préalable.

Dans un tel cadre, un pays pourrait disposer d’un laps de temps donné (sous 1 an par exemple) pour fournir un maximum d’éléments supplémentaires sur l’état de ses finances publiques auprès du Club de Paris et du Club de Londres. En contrepartie, ce pays bénéficierait d’un pré-accord sur une première phase d’allègement uniforme de sa dette (c’est-à-dire que tous ces créanciers « subiraient » cet allègement, d’un montant proportionnel à leur part dans l’endettement total du pays en question). Pour que ce pré-accord ne soit pas trop fortement au détriment des créanciers, il pourrait s’agir d’un simple report d’échéance, plutôt que d’une annulation des charges d’intérêts ou de non-remboursement partiel du principal.

Ce pré-accord pourrait également ouvrir des droits à des transferts ciblés de Droits de Tirage Spéciaux (DTS). Le FMI ayant alloué 650 Mds USD des nouveaux DTS en août 2021, ouvrir de tels droits à des pays en difficulté s’inscrirait parfaitement dans la démarche du FMI. En effet, le FMI souhaite que les pays développés[14] transfèrent leurs DTS à des pays émergents et en voie de développement pour les aider à absorber le choc pandémique. Les pays signant le pré-accord pourraient ainsi faire appel à leur droit et ainsi bénéficier de transferts de DTS. Cela leur permettrait de disposer de fonds pour rembourser leurs créanciers tout en poursuivant les politiques publiques nécessaires à leur développement. Pour renforcer la discipline budgétaire, un pourcentage de ces DTS pourrait être obligatoirement alloué à des mesures spécifiques comme ce qui existe déjà dans le cadre des programmes menés par le FMI : mise en place d’un cadastre, digitalisation du processus de recouvrement des recettes fiscales, substitution des certaines subventions (sur les prix énergétiques par exemple) par des transferts sociaux ciblés sur les bas revenus, etc.

Ce pré-accord pourrait faciliter les démarches d’une restructuration avec la possibilité d’opérations de swap (cf. plus haut à propos des CAC). Des échanges avec de nouvelles formes d’instruments, sous forme de dette contingente, pourraient être envisagés, tant pour le segment « obligataire » que pour celui des « prêts ». L’idée étant d’offrir l’opportunité à des pays de transformer une partie de leur dette contre une dette contingente, dont l’amortissement est indexé sur des variables socio-économiques[15] facilement mesurables (croissance du PIB par habitant, croissance des recettes publiques, solde primaire public structurel en % du PIB, etc.). Dès lors, les pays auraient l’opportunité de disposer de plus de souplesse en période de « vaches maigres » en reportant les échéances mais aussi de rembourser plus rapidement dans le cas inverse.

Ce pré-accord pourrait aussi convenir d’aménagements particuliers de dette vis-à-vis des créanciers multilatéraux (montants de charges d’intérêt éligibles à un report d’échéance, période de grâce pour le remboursement des intérêts, % de réduction du taux d’intérêt moyen, etc.). Pour renforcer l’effet incitatif, il faudrait que ces aménagements soient régressifs, de telle sorte qu’un pays, qui aurait fait un effort de transparence suffisant dans le délai imparti, jouirait de conditions nécessairement plus favorables qu’un pays faisant preuve d’opacité ou qui tarderait à le faire, au-delà du délai.

Pour renforcer la discipline et également inciter les créanciers à se montrer plus transparents et plus impliqués, ce cadre pourrait prévoir des « sanctions » pour les créanciers qui ont contribué à entretenir l’opacité. Ces derniers perdraient par exemple automatiquement leur statut pari passu lors d’une restructuration et devraient ainsi se plier aux conditions fixées par les autres créanciers, voire se verraient automatiquement appliqués des conditions moins favorables.

Mieux vaut prévenir que guérir

Malgré l’expérience tirée par les cas pratiques et les innovations depuis les années 2000, la restructuration d’une dette publique reste un exercice extrêmement délicat et difficilement réplicable d’un pays à un autre.

Bien que des propositions émergent avec le FMI, elles semblent insuffisantes pour faciliter les démarches des pays émergents ou pour fournir une grille de lecture lisible pour certains créanciers.

Seule la mise en place d’un cadre incitatif enclencherait un processus plus vertueux et plus transparent. Le surplus de visibilité apporté par ce cadre permettrait de mieux identifier les besoins de restructuration en amont tout en impliquant davantage les différents créanciers. Un tel cadre offrirait également davantage de flexibilité, afin d’intervenir avant même que ne survienne un défaut de paiement. La prévention et l’adaptation ne peuvent qu’avoir des effets bénéfiques par rapport à des scénarios de restructuration forcée et désorganisée, permettrait de prémunir les pays en difficulté et leur population de crise profonde.


[1] Par ailleurs, l’allongement des maturités peut être accompagnée de période de grâce plus ou moins longue pour les nouveaux emprunts contractés, où les premiers remboursements interviendraient de manière différée.

[2] Les créanciers officiels regroupent les créanciers bilatéraux et multilatéraux, cf. précédent billet sur BSI.

[3] Par exemple, avec un haircut de 40 %, une obligation dont la valeur initiale était de 100 ne vaudra plus que 60.

[4] Dans le cadre de l’initiative PPTE et IADM, où une annulation de dette a été consentie, le ratio d’endettement des pays d’Afrique Subsaharienne est passé de 66 % du PIB en 2000 en moyenne à 24 % en 2008. Cette annulation de dette a été consentie par des créanciers officiels (bilatéraux et multilatéraux).

[5] Cf. précédente note à ce propos. Le cas des créanciers domestiques correspond à un autre cas particulier, car la dette est régie par le droit local et la restructuration de ces acteurs domestiques a généralement un impact plus profond sur l’économie réelle.

[6] Selon le statut (senior, clause pari passu, etc.) et les intérêts divergents des différents créanciers. Par exemple, la restructuration de crédits syndiqués requiert l’accord de tous les participants.

[7] Voire l’exemple de la restructuration souveraine du Tchad en 2017/19.

[8] En réalité, il existe plusieurs gammes de CAC, et ces dernières ont eu tendance à évoluer, certaines CAC ne permettant par exemple plus à un créancier isolé de bloquer un accord s’il ne détient pas 25 % du stock de dette plutôt que 25 % d’une souche auparavant.

[9] Haircut de 45 % sur la dette obligataire en devises en droit étranger, permettant un allègement du remboursement du principal de 37,7 Mds USD sur 10 ans.

[10] Selon le FMI, la part de la dette publique domestique représente en moyenne 46 % de la dette publique totale au sein des pays émergents.

[11] Notamment les risqués liés aux potentiels litiges lorsque des titres sont récupérés par des fonds vautours.

[12] Données pour les pays en développement à faible revenus admissibles au fonds fiduciaire pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance.

[13] Et plus particulièrement les montants d’endettement vis-à-vis de la Chine et des contreparties exigées quand il s’agit de dette collatéralisée.

[14]Les allocations de DTS sont réparties par pays selon une quote-part (notamment définie par : poids du PIB, degré d’ouverture de l’économie, réserves de change) qui de facto fait des pays développés les plus importants récipiendaires des nouveaux DTS.

[15] Ou par rapport à des critères climatiques, comme cela a été le cas avec Grenade qui dispose d’une clause spécifique liée à des incidents naturels qui enclenchent de suspensions de paiement et des allongements d’échéance.

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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