Quelle actualité pour le développement d’une finance durable ? (Policy Brief)

DISCLAIMER : l'auteur de cet article s'exprime à titre personnel et ne représente aucunement l'institution qui l'emploie

Jamais les enjeux de verdissement du système financier n’ont autant irrigué le débat public, tant, par exemple, sur le « greenwashing » que sur l’inclusion du gaz naturel et de l’énergie nucléaire dans la taxonomie européenne. Le rôle de la réglementation et de la supervision dans le changement d’échelle de la finance durable n’en ressort que grandi. Or, bien que la COP26, qui s’est tenue à Glasgow en novembre 2021, ait permis plusieurs avancées, les engagements pris en matière climatique continuent de mettre le monde sur la voie d’une augmentation de température de l’ordre de 2,7°C d’ici la fin du siècle (tel que l’a rappelé l’ONU dans un rapport récent). Dans ce contexte, que peut-on dire des enjeux clefs actuels pour que le système financier s’aligne sur une trajectoire bas-carbone, comme le requiert l’Accord de Paris ?

L’intérêt récent pour la taxonomie européenne

La taxonomie se définit comme une feuille de route de la transition que la Commission européenne construit depuis 2018. Le besoin d’un « langage commun » de la durabilité, pour informer la prise de décision financière ou éviter les pratiques de « greenwashing », repose in fine sur des critères partagés au niveau de chaque secteur mais également de leur « reporting », au niveau de chaque entreprise. Or, ce besoin d’une feuille de route est une exigence d’ordre macroéconomique – aux côtés d’autres outils.

Un papier récent de la Direction Générale du Trésor rappelle en effet le rôle primordial de l’industrie dans les émissions de gaz à effet de serre et le levier puissant de l’amélioration de l’efficacité carbone de la production. Or, avancer sur ce front nécessite des financements massifs. L’historien Adam Toozeinsiste régulièrement, par exemple, sur le « scenario planning » que requiert la transition : il est conforté en ce sens par les travaux de nombreux économistes et physiciens du climat[i]. La mise en œuvre des objectifs de l’Accord de Paris (pourtant alignés sur la science et pouvant théoriquement être atteints techniquement et économiquement) par des engagements nationaux met en effet en lumière des incohérences importantes. Parmi elles, un manque de visibilité sur les changements de procédés et de modèles d’affaires à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs de neutralité carbone, et appréhender les difficultés de la décarbonation (e.g., perturbations économiques, innovation, modifications de la demande, non-linéarité de la réduction des émissions…).Dans ce contexte, nombre de réflexions se concentrent sur la détermination de feuilles de route pour les Etats, les entreprises et le système financier, fondées sur des scénarios énergie-climat donnés (à l’instar du scénario « net-zero » publié par l’Agence internationale de l’énergie en mai 2021).

Aussi, la Taxonomie participe à satisfaire un besoin de « vision » encore bredouillant dans ce domaine (à ce stade, tout du moins, dans l’attente des résultats du paquet européen « Fit-for-55 »).

Aussi, la Taxonomie a récemment retenu une attention particulière : toute technologie « en dehors » de sa première version n’est pas considérée comme participant substantiellement à la transition. Cela revêt un effet signal fort, en particulier en matière de financement.

Une palette d’outils d’accompagnement de la transition par le marché

La transparence est évidemment une pièce maîtresse de toute volonté de faire jouer son rôle au secteur financier. L’information participe à maximiser l'internalisation par les entreprises de leurs coûts environnementaux et à gérer des risques issus du changement climatique et de la transition bas-carbone, qui nécessite d’avoir une information aussi comparable et robuste que possible. Cela ne doit pas, malgré tout, permettre d’échapper à d’autres types d’avancées, car le « reporting » a ses limites[ii].

Il faut surtout assurer un lien plus étroit entre un titre et son sous-jacent : l’enjeu du prix du carbone est clef. La recherche[iii] a par exemple montré que malgré un appétit des investisseurs pour les green bonds (et les possibilités qui en découlent de diversification de leur base obligataire), le premium[iv] ne révèle pas un écart de valorisation substantiel entre les obligations vertes et brunes (à risque égal). Il faut dès lors augmenter le coût de financement du « brun » (par exemple, des énergies fossiles).

Or, les investisseurs ont une réelle capacité à influencer les entreprises à se réformer, en renforçant leurs exigences en matière environnementale. Par exemple via un ajustement à la baisse de la pondération des entreprises les plus émissives en gaz à effet de serre, ou via une restriction de leur univers d’investissement.

De nombreux outils existent (e.g., engagement actionnarial, émissions d’obligations de transition…), mais le développement exponentiel des instruments fondés sur l’atteinte d’objectifs précis de durabilité est particulièrement intéressant[v]. Cela pose des enjeux d’évaluation et d’audit clefs pour s’assurer de la mise en œuvre effective de la transition par les entreprises financées.

Qu’a permis la COP26 pour le développement d’une finance durable ?

Au-delà de certaines avancées relatives permises par le Pacte de Glasgowadopté à la suite de la COP26 (diminution du recours au charbon, préservation des écosystèmes dans l’atténuation du réchauffement, baisse nécessaire des émissions de méthane), il faut souligner trois enjeux[vi] :

  1. D’abord, la constitution d’alliances (volontaires) d’acteurs financiers, qui vont devoir développer des méthodologies robustes de décarbonation de leurs portefeuilles et bilans. Les enjeux de crédibilité et d’effectivité qui se poseront dans les prochains mois pour ce type d’initiatives seront à surveiller.
  2. Ensuite, la sortie des énergies fossiles. Encore balbutiante dans le Pacte de Glasgow, elle s’est matérialisée plus fortement par des alliances d’Etats (par exemple, sur la fin des financements publics) ou par des initiatives ciblées (par exemple, le partenariat UE/US sur la transition de l’industrie charbonnière en Afrique du Sud). Le rôle du secteur financier dans ce contexte devient pressant.
  3. Enfin, le besoin d’aller plus loin sur les taxonomies à l’échelle internationale (un enjeu crucial du G20), et de se mettre d’accord sur des standards globaux de transparence extra-financière (à l’instar de ce qui existe, aujourd’hui, pour la matière financière).

[i] Pour n’en citer que quelques-uns : Rockström et al. 2017 (ici), ou encore les plans de transition sectoriels de l’Ademe (ici)

[ii]A l’instar de : Ameli, Kothari et Grubb, 2021 (ici), ou encore Baer et al. 2021 (ici).

[iii]Par exemple : Zerbib D., 2020 (ici).

[iv] Le premium se définit comme la négociation au-dessus de sa valeur nominale d’une obligation (en raison d’un taux d’intérêt supérieur aux taux du marché), ou encore son rendement excédentaire. Le prix d’une obligation est en effet lié inversement au taux d’intérêt : l’investisseur paie dès lors une prime pour un investissement dont le retour sera supérieur aux taux d’intérêt existants. Concernant les obligations vertes, la littérature académique s’est largement concentrée sur l’existence, ou non, d’un rendement excédentaire des obligations vertes en raison de leur caractéristique « verte » (étant donné que, de prime abord, le rendement ne peut être influencé par le caractère « vert » de l’obligation, cette dernière ayant un rang égal à celui des obligations de même rang et de même émetteur, étant soumise à la même dynamique de marché, et sans que son détenteur ne détienne de droits supplémentaires sur les projets sous-jacents financés).

[v]Ce sont les « sustainability-linked bonds/loans ».

[vi]Voir FMI, 2021 (ici).

Charlotte travaille au Département des marchés monétaires et de capitaux du Fonds monétaire international, sur la finance durable et le risque climatique. Elle a débuté sa carrière à l'Autorité des marchés financiers, puis à la Direction générale du Trésor. Elle est membre du Comité scientifique de l’Observatoire sur la Finance Durable, où elle travaille sur le financement des énergies fossiles et les méthodologies d’alignement des portefeuilles financiers, et de comités de recherche supervisés par l’Ademe. Elle finalise actuellement une thèse de doctorat en sciences économiques sur le risque climatique, après des études à Sciences Po Paris, Paris I et Paris II en économie financière et en droit des affaires. Elle enseigne l'économie de l'environnement et du développement à Sciences Po Paris et à la Sorbonne. Ses centres d'intérêt portent sur la finance durable, le financement des infrastructures, la régulation bancaire et financière et la stabilité financière.

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