Les crises bancaires : un risque pour l’économie réelle ? (Recherche du mois)

Huber Kilian, Disentangling the Effects of a Banking Crisis: Evidence from German Firms and Counties, American Economic Review, 2018

Résumé

  • K. Huber s’intéresse aux difficultés de la banque allemande Commerzbank dans le sillage de la crise de 2008 pour mesurer les effets d’un « credit crunch » sur l’économie réelle
  • L’auteur montre que les difficultés d’une banque importante peuvent avoir des conséquences macroéconomiques sur les régions dépendant d’elles

Quel est l’impact d’une baisse de l’offre de crédit sur l’économie lorsqu’une banque ou un système bancaire se retrouve en difficulté ? Cette question est primordiale pour les régulateurs : si l’offre de crédit joue un rôle important, cela légitime une régulation prudentielle plus forte en amont des crises, et des assouplissements plus marqués lorsque ces dernières surviennent. La question n’est pas triviale : l’offre de crédit ne peut jouer un rôle important que si elle est imparfaitement substituable par d’autres sources de financement ; les difficultés d’une banque isolée ne peuvent porter à conséquence que si ses relations client ne sont pas immédiatement remplacées par d’autres avec la banque concurrente.

Pour répondre à cette question, les économistes étudient des événements spécifiques affectant les banques, et comparent les entreprises ou régions leur étant plus ou moins liées. Par exemple, J. Peek et E. Rosengren (2000) s’intéressent aux effets de la crise bancaire japonaise sur les sociétés d’immobilier commercial américaines plus ou moins financées par les succursales américaines de ces banques. De leur côté, A. Khwaja et A. Mian (2008) étudient les conséquences des essais nucléaires au Pakistan de 1998, à la suite desquels les autorités décidèrent de restreindre les retraits en dollars, et donc de contraindre davantage les banques recourant le plus au dollar pour se financer.

Ce papier de K. Huber (2018), publié comme les deux précédents dans l’American Economic Review, s’inscrit dans cette tradition. Huber s’intéresse au cas de Commerzbank en Allemagne pendant la crise financière de 2008. Cette grande banque, représentant 9% du crédit non financier en Allemagne à l’aube de la crise, s’est caractérisée par un désengagement très tardif de ses expositions aux Mortgage-Backed Securities américains et a perdu 68% de ses fonds propres entre 2007 et 2009. Ces pertes l’ont contrainte à restructurer son activité en Allemagne de manière plus importante que ses concurrentes, et ce en dépit d’un portefeuille de crédit domestique relativement sain : l’encours de crédit domestique de Commerzbank a chuté de 17% par rapport à ses concurrentes entre 2009 et 2012. 

Pour établir un lien causal entre ce « choc d’offre » et l’activité économique, l’empiriste se heurte à au moins deux difficultés.

Premièrement, il s’agit de mesurer un effet causal qui procède a priori à double sens. Le ralentissement de l’économie réelle peut causer une contraction de l’offre de crédit aussi bien que l’inverse. Pour surmonter cette difficulté, l’auteur utilise des données microéconomiques de crédit bancaire permettant de mesurer le taux de dépendance de chaque entreprise à Commerzbank. Ce taux se mesure pour une entreprise comme le nombre d’agences de Commerzbank lui ayant octroyé des prêts, divisé par le nombre total d’agences l’ayant financé. Le papier montre ainsi qu’une entreprise complètement dépendante de Commerzbank atteint un niveau d’emploi 5,3% inférieur à une entreprise analogue indépendante de cette banque, sur la période 2009-2012. La clé est la comparabilité de ces deux entreprises fictives. En effet, si les entreprises financées par Commerzbank étaient structurellement plus faibles ou vulnérables à la crise, leur baisse d’activité ne pourrait être attribuée à une baisse de l’offre de crédit. L’étude souligne bien que le taux de dépendance à Commerzbank est indépendant de caractéristiques telles que le secteur, la taille ou l’âge de ses emprunteurs. Le graphique 1 montre la divergence d’emploi entre deux entreprises ne différant que par l’existence d’une relation bancaire avec Commerzbank.

Évolution de l’emploi de l’entreprise moyenne ayant une relation bancaire avec Commerzbank par rapport à l’entreprise moyenne n’en ayant pas, normalisé à 1 en 2006

Deuxièmement, l’offre de crédit et l’activité économique peuvent être animés par des facteurs sous-jacents communs. Cette question se pose lorsque l’auteur cherche à mesurer les effets macroéconomiques de la dépendance à Commerzbank, en comparant la performance des districts (Landkreiser) à différents niveaux de dépendance à Commerzbank. Cette dernière a en effet une empreinte géographique bien spécifique. Il se pourrait par exemple que les districts où Commerzbank s’est développée soient davantage vulnérables en raison de législations locales moins protectrices.

Pour surmonter cette difficulté, une originalité du papier est d’exploiter l’exogénéité partielle du réseau de Commerzbank en Allemagne. À l’issue de la seconde guerre mondiale, les Alliés, soucieux de limiter la centralisation de l’économie allemande, découpent Commerzbank en trois entités chacune rattachée à une « zone bancaire » et à un siège social différent. Une banque tripolaire voit le jour avec Düsseldorf, Francfort et Hambourg pour épicentres. Soixante ans plus tard, les districts les plus proches de ces trois villes sont en moyenne toujours davantage dépendants de Commerzbank. Huber utilise donc la distance de chaque district à la plus proche de ces trois villes comme mesure exogène de la dépendance à Commerzbank. Détail important : l’auteur contrôle par la distance à chacune de ces trois villes. L’objectif est de mesurer l’effet d’avoir une relation bancaire avec Commerzbank, et non l’effet d’être situé à une certaine distance de Francfort ou Hambourg. Cette analyse permet à Huber de conclure qu’une hausse d’un écart-type de la dépendance d’un district à Commerzbank entraine une baisse de l’emploi de 0,8% sur la période.

Conclusion

L’utilisation de données microéconomiques et d’événements bancaires spécifiques permet aux économistes de fournir des estimations assez précises du coût économique d’une crise bancaire. À leur tour, ces estimations permettent d’apporter des éléments quantitatifs aux sempiternels débats sur le bon niveau de régulation prudentielle.

Dorian Henricot travaille comme économiste à la direction de la stabilité financière de la Banque de France. A ce titre, il s'intéresse à l'endettement du secteur privé, et à la régulation du secteur financier. Auparavant, il était consultant chez McKinsey. Dorian est diplômé de l'Ecole Polytechnique, et a un master d'économie de Pompeu Fabra.

Dans la même catégorie :

Standard Post with Image

La fausse bonne idée des rachats d’obligations souveraines en Chine (Policy Brief)

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (2/2) (Note)

Standard Post with Image

Croissance en Chine : ne pas confondre défiance et vigilance (1/2) (Note)

Standard Post with Image

Les Enjeux du Commerce International du Plastique : Défis et Perspectives