La France comme cas d’école de l’impact des disparités scolaires (Note)

Utilité de l’article : Cet article propose, dans l’ordre, d’expliquer le processus de reproduction des inégalités sociales par le système scolaire, de discuter l’évolution des disparités scolaires et ainsi de s’interroger sur leur impact sur le développement économique français. Il propose enfin quelques mesures qui permettent d’élever le niveau scolaire.

Résumé :

  • Un élève issu d’un milieu défavorisé a une probabilité plus faible de réussir à l’école et de suivre des filières longues et sélectives. Or, le niveau de qualification est un facteur clé dans l’élévation du niveau de vie. Un élève issu d’un milieu des plus modestes a donc une probabilité plus forte d’y rester que de le quitter à l’âge adulte. Ce phénomène s’observe particulièrement bien à échelle locale. 
  • Les politiques d’éducation prioritaires n’ont pas encore fonctionné. Elles ont probablement manqué de moyens, mais surtout d’organisation dans la stratégie d’évaluation et de contrôle. La baisse du niveau scolaire accentue aussi ces disparités car elle concerne davantage les élèves défavorisés. De surcroît, l’introduction d’outils numériques à l’école et le confinement peuvent aggraver ces inégalités.
  • Outre les tensions sociales que les disparités sociales génèrent, elles perturbent l’efficacité de la politique redistributive française qui, bien qu’elle stabilise les inégalités présentes, ne tend pas à les enrayer significativement. Aussi, le manque d’inclusivité, combiné à la baisse du niveau scolaire, contraignent l’élévation de la croissance potentielle du PIB.
  • La politique de dédoublement des classes en faveur d’un meilleur encadrement scolaire doit être complétée par l’arrivée de professeurs expérimentés. Aussi, les questions de barrières géographiques et d’asymétrie d’information sont encore occultées dans le débat public, alors qu’elles sont déterminantes dans la réussite scolaire d’un élève. Elever le niveau scolaire passe donc également par une amélioration de l’accès à l’offre scolaire.



D’après l’OCDE, la France a l’un des systèmes scolaires qui reproduit le plus les inégalités sociales, de sorte que les élèves les plus défavorisés sont ceux qui obtiennent les moins bons résultats. Conscients depuis plus de cinquante ans de la situation, les divers gouvernements ont tenté d’y mettre un terme sans jamais connaître un franc succès.
La réduction des disparités scolaires apparaît ainsi comme une question qui traverse le cadre de l’idéologie politique. Pourquoi le pouvoir exécutif, de Charles De Gaulle à Emmanuel Macron, s’intéresse-t-il autant à ce sujet ? Il convient en fait d’analyser comment les disparités scolaires sont au commencement d’un mécanisme contraignant pour le développement économique.
Par la présentation des inégalitaires scolaires, en amont d’une discussion sur leurs trajectoires passées et futures, nous discuterons de leur impact sur le développement économique français. Une dernière partie suggère quelques recommandations, certaines bien connues, d’autres bien moins.
 
1) Comment le système scolaire français reproduit-il les inégalités sociales ?

1.1) Le poids des facteurs socioéconomiques dans la réussite scolaire
D’après les résultats PISA 2018, en France le poids des déterminismes socio-économiques dans la réussite scolaire est significatif et même bien plus élevé que la moyenne des pays de l’OCDE . Par exemple, parmi les élèves les plus performants en compréhension de l’écrit, la proportion d’élèves défavorisés était dix moins supérieure à celle d’élèves issus de milieux favorisés. Les conditions de logement, le revenu du ménage, le niveau de qualification des adultes…sont autant de facteurs corrélés entre eux et qui impactent directement le processus d’apprentissage d’un enfant.
Si les élèves défavorisés ont un niveau inférieur aux autres, ils ont mécaniquement plus de mal à suivre les mêmes études que les autres. D’après l’enquête PISA 2018, un élève issu d’un milieu défavorisé avait une chance sur 6 de fréquenter le même lycée qu’un élève venant d’un milieu favorisé. En outre, l’OCDE remarque que les enfants issus de milieux défavorisés aspirent à des études en deçà de leur potentiel au regard de leurs performances scolaires. Un premier lien se dessine : c’est aussi parce que les élèves issus d’un milieu défavorisé s’estiment moins performants qu’ils maîtrisent moins de compétences scolaires que ceux issus d’un milieu plus aisé. Or, la réussite scolaire, comme les ambitions professionnelles sont décisifs dans l’accès à un diplôme rare sur le marché du travail.

1.2) Le lien entre niveau de qualification et pauvreté
En 2015, l’Observatoire des Inégalités relevait que 84 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté  n’avait pas plus qu’un baccalauréat et le tiers ne possédait aucun diplôme. Le niveau de qualification est d’abord déterminant dans l’accès au marché de l’emploi. En 2019, l’INSEE estimait le taux de chômage à 15,5 % pour les non-diplômés contre 5,1 % pour les titulaires au minimum d’un BAC+2, soit un taux trois fois plus élevé. Pour les non-diplômés qui sont sortis depuis moins de 4 ans de leur formation initiale, ce taux de chômage est estimé à 47,1 % contre 9,6 % pour ceux qui ont au moins deux années d’études supérieures validées. Les jeunes ayant peu d’expérience à faire valoir, le diplôme joue un rôle bien plus important dans leur employabilité.

De plus, le diplôme est gage d’une situation économique plus pérenne une fois sur le marché du travail. D’une part, les moins qualifiés sont proportionnellement plus nombreux à occuper un sous-emploi . En 2018, près de 10 % des travailleurs non-diplômés étaient en situation de sous-emploi d’après l’INSEE contre 3,6 % pour ceux ayant au moins un BAC+2. D’autre part, en 2018, d’après les données INSEE , une personne titulaire au minimum d’un bac + 2 percevait en moyenne un salaire 35% supérieur au salaire net médian estimé à 1700 euros, tandis qu’un titulaire du bac et un non-diplômé percevaient respectivement une rémunération de 11 % et 22 % inférieure au salaire médian. Notons que ces disparités salariales s’expliquent d’abord par un temps de travail inégal mais aussi du fait que plus un diplôme est rare, plus son titulaire est en mesure de percevoir un salaire supérieur à la moyenne.

Enfin, la Banque Mondiale  rappelait qu’en France, une année supplémentaire d’éducation dans l’enseignement supérieur faisait augmenter les rendements d’investissement de 6,9%. Rappelons qu’aucun produit financier ne rapporte autant de nos jours. Ainsi, si les élèves défavorisés sont ceux qui ont les plus faibles chances de suivre des filières longues et sélectives, leur accès au marché de l’emploi est plus contraint et les postes qu’ils pourvoient moins rémunérateurs. Ainsi, il leur est bien plus difficile que quiconque d’augmenter significativement leur niveau de vie tout au long de la leur. Cette réflexion pose la question de savoir si les élèves issus de milieux sociaux défavorisés n’ont finalement pas une plus grande chance d’y demeurer à l’âge adulte. S’intéresser à cette interrogation permettrait de mieux illustrer le concept de « panne de l’ascenseur social ». , qui anime toujours autant le débat public.

1.3) Les premiers bassins de jeunesse sont les plus vulnérables
Le lien entre niveau de qualification et pauvreté s’observe aussi à l’échelle des territoires.  Sur les 44 départements ayant un taux de pauvreté supérieur à la moyenne française, 42 d’entre eux  avaient également une part de la population sans diplôme supérieure à la moyenne nationale en 2017. La Seine-Saint-Denis illustre bien ce constat, puisqu’il s’agit à la fois du département de métropole le plus pauvre et le moins bien qualifié au regard de sa proportion de non-diplômés.
Or, les territoires les plus pauvres sont également ceux où l’on observe les plus grands taux de natalité du pays, notamment dans les milieux urbains et en Outre-Mer. Par exemple, en 2019 , la Seine-Saint-Denis avait un taux de natalité 65% supérieur à la moyenne métropolitaine et son solde naturel contribuait quatre fois plus au renouvellement de sa population que la moyenne observée en Métropole. De fait, le risque d’échec scolaire concerne finalement nos premiers bassins de jeunesse, laissant entrevoir une persistance des inégalités aux échelles nationale mais surtout locale.

2) Comment expliquer de telles dynamiques ?  

2.1) L’échec des politiques publiques
Depuis les travaux de la Commission Rouchette initiés en 1967, la France tente de traiter le problème de l’inégalité des chances à l’école. En 1981, des politiques d’éducation prioritaires sont instaurées, dans le sillage des grandes réformes des années 1970 , afin de mener une politique de différenciation scolaire vis-à-vis des territoires les plus défavorisés. Elles consistent à délivrer aux élèves jugés défavorisés une pédagogie différenciée pour qu’ils développent un rythme d’apprentissage et une autonomie semblable à la moyenne d’ici leur 16 ans, soit l’âge après lequel l’école n’est plus obligatoire. Pour cela, des moyens supplémentaires leurs sont attribués. Néanmoins, force est de constater que ces politiques n’ont pas encore fonctionné. Le rapport Azéma-Mathiot  datant de novembre 2019, qui fut commandé par Jean-Michel Blanquer un an plus tôt, avance plusieurs raisons à ces échecs.
D’abord, il évoque une absence de stratégies territoriales. Les autorités centrales évaluent et mènent leur politique essentiellement sur la base de critères de performance, sans tenir compte des évolutions locales du territoire. Aussi, cela implique un autre problème, l’exclusion par le ciblage. Trop peu d’écoliers de zones rurales bénéficient de politiques d’éducation prioritaires puisqu’ils obtiennent des résultats similaires à la moyenne, au moins jusque dans le secondaire. Pourtant, les élèves défavorisés sont présents dans à peu près tous les établissements de France, interrogeant par la même occasion la pertinence de cibler des territoires plutôt que des écoles. La Cour des comptes rappelait qu’en 2016, la politique d’éducation prioritaire couvrait 20% des élèves français mais ne bénéficiait qu’à 30% des élèves qu’elle estime défavorisée .
En outre, la réforme de 2014 a soulevé un débat quant à l’insuffisance des moyens alloués aux élèves prioritaires. La Cour des Comptes a estimé que le surcoût de l’éducation prioritaire pour l’année scolaire 2015-2016 représentait 4 % du total des moyens consacrés par la France aux écoles et collèges publics, soit 1,4 Md€. En outre, on note un investissement par tête supérieur de 22 % pour les élèves de ZEP. Cependant, ces montants étaient probablement moins élevés avant 2014 et ces surcoûts visent davantage à former les enseignants, qui sont généralement plus jeunes et moins expérimentés dans les ZEP qu’ailleurs. Ainsi, il faut bien comprendre que ces montants n’ont pas été alloués pour compenser trente années d’insuffisance mais pour répondre à des contraintes pratiques actuelles. Aussi, rien ne permet de dire que ces nouveaux moyens suffisent.


2.2) La baisse du niveau scolaire
Les travaux de la DEPP  montrent que le niveau général des élèves de CM2 s’est affaibli entre 1987 et 1999, puis a stagné jusqu’en 2007 avant de décliner légèrement à nouveau entre 2007 et 2017. Si ces résultats en baisse concernent tous les élèves quelle que soit leur origine sociale, leur analyse précise malgré tout que cette baisse de niveau concerne davantage les élèves « en retard » sur la maîtrise du programme scolaire. Or, ces élèves sont davantage issus d’un milieu défavorisé. Toutefois, le phénomène de baisse générale du niveau scolaire n’est pas propre au système scolaire français, puisque celui-ci s’observe à l’échelle de la plupart des pays de la zone OCDE
Que ce soit en sciences, en compréhension écrite ou en mathématiques, le niveau moyen en zone OCDE baisse depuis au moins 2006  d’après les résultats PISA. En outre, il faut aussi dire que le niveau des élèves français est dans la moyenne des pays de l’OCDE voire légèrement supérieur. Néanmoins, une hausse des inégalités couplée à une baisse du niveau a des conséquences théoriques plus coûteuses que si elle avait lieu malgré une élévation du niveau scolaire. En effet, toutes choses égales par ailleurs, une baisse de niveau dessert les politiques d’éducation, dans la mesure où il faut plus de moyens par tête pour plus d’élèves afin de redresser le niveau scolaire.

2.3) Les nouveaux risques d’exacerbation des inégalités scolaires
Désormais, les autorités publiques doivent composer dans un environnement devenu, en peu de temps, bien différent des décennies passées. Le confinement pose question quant à l’évolution des inégalités scolaires à court-terme. La DEPP a publié une note d’information  où elle estimait le décrochage scolaire durant le confinement à 6 % et 10 % dans les cycles primaire et secondaire. Néanmoins, ces parts étaient deux fois plus importants dans les zones d’éducation prioritaire. Au-delà de la question du décrochage scolaire, le temps nous dira s’il ne se pose pas celle d’un retard des élèves sur le plan des compétences.
Aussi, l’introduction d’outils numériques à l’école, initiée avant le confinement, peut aggraver les inégalités si l’on en croit les travaux de l’OCDE . D’abord, leur instauration n’a pas encore montré un impact significatif dans la réduction des inégalités scolaires au sein des pays membres. En effet, ils ne permettent d’optimiser l’apprentissage que lorsque les élèves ont des compétences solides dans le langage, en mathématiques ou encore en logique. De plus, tous les élèves ne disposent ni du même matériel, ni du même réseau pour se familiariser avec l’informatique. Ainsi, il y a un risque que les élèves les plus en difficultés progressent, plus lentement que ceux plus à l’aise, voire ne progressent pas, affaissant davantage les inégalités scolaires.

3) Discussion autour de l’impact des inégalités scolaires sur le développement économique

3.1) Entraves dans l’évolution structurelle du PIB
L’idée selon laquelle les compétences de la main d’œuvre influe sur sa production est déjà présente dans les écrits d’Adam Smith, d’Alfred Marshall voire de Karl Marx. Les travaux de Theodore Schultz (1961) puis de Gary Becker (1975) ont permis de développer une théorie, dite du capital humain, où ils montrent qu’une meilleure formation de l’individu amène à ce qu’il augmente sa productivité et donc son salaire. Dans les années 90, les travaux de Paul Romer (1986) et Robert Lucas (1988) vont donner naissance aux théories de croissance endogènes, où le capital humain, caractérisé par la dépense d’investissement dans l’éducation est au point de départ du progrès technique, fondamental dans le processus d’innovation, fondamental dans le processus d’innovation qui garantit la compétitivité d’un territoire dans le commerce mais aussi la croissance du PIB à long-terme .
Une main d’œuvre plus qualifiée est plus à même de se spécialiser dans des activités à plus forte valeur ajoutée. Il y aurait deux moyens de doper cette croissance à long-terme, dite structurelle, par l’éducation : la quantité et la qualité de travailleurs. D’abord, plus il y aura de gens qualifiés, plus la probabilité de garantir, à échelle macroéconomique, un niveau de production croissant augmente. Si de surcroît, la qualité de ces travailleurs s’élève au niveau microéconomique, il y a mécaniquement, toutes choses égales par ailleurs, une hausse du niveau de productivité des travailleurs, qui rapporteront plus par tête. Ainsi, en théorie, un système scolaire plus inclusif et garant d’une hausse du niveau scolaire ont des effets positifs directs sur la croissance de long-terme.   

3.2) La maîtrise budgétaire à l’épreuve des inégalités
L’éducation est le premier poste de dépense publique, avec une enveloppe budgétaire de 102,7 Mds .  d’euros en 2020. L’éducation et l’enseignement supérieur représentent à eux seuls 52,8 % de l’emploi public, soit plus de la moitié. Réfléchir à la maîtrise budgétaire demande donc inévitablement de se pencher sur les politiques d’éducation et à l’investissement dans la recherche et le développement. Cela a d’autant plus de sens qu’en vertu des modèles schumpétériens , ces investissements sont capitaux pour élever le niveau potentiel de croissance d’une économie, lui-aussi déterminant dans les capacités de l’Etat à alléger le poids de sa dette. Rappelons qu’aujourd’hui, le paiement des intérêts est le quatrième poste de dépenses publiques devant l’enseignement supérieur.
Dans son état actuel, notre système scolaire entretiendrait le risque que les plus défavorisés dépendent toujours autant des aides sociales pour vivre. En effet, si leur niveau de qualification les amène aux emplois les moins rémunérés et les moins sécurisés tant par le temps de travail que par la nature du contrat, ils sont mécaniquement plus concernés par le risque d’avoir des revenus d’activité plus faibles. L’Etat français les soutient financièrement, sur divers plans comme la santé, le logement ou encore la formation. Ce postulat questionne ainsi notre modèle : si celui-ci est capable de stabiliser le niveau des inégalités par sa forte politique redistributive, peut-il réellement les réduire significativement ? La théorie suppose que, toutes choses égales par ailleurs, un système scolaire plus inclusif tend à réduire la base des demandeurs d’aides et prestations sociales sur le long-terme. Les sommes versées diminueront ainsi à échelle agrégée sans pour autant réduire les sommes versées à échelle microéconomique.

3.2) L’éducation comme source d’externalités positives pour le développement
Les travaux d’Amartya Sen offrent une nouvelle perspective qui dépasse le cadre monétaire quant à l’appréhension du développement. En supposant que les capacités d’un individu sont en fait un ensemble de libertés réelles qui visent à exploiter son potentiel et à trouver une voie dans son existence, une personne ne serait capable d’augmenter son bien-être que par la réalisation d’une capacité. Sen considère que l’éducation est un moyen fondamental pour tirer profit des capacités d’un individu. Un individu plus qualifié est par exemple plus à-même d’emprunter la voie professionnelle qu’il souhaite.
En théorie, on s’attend également à ce qu’un individu plus qualifié vivant avec un revenu plus que décent soit aussi en bonne santé. Rappelons qu’en 2016, d’après Santé Publique France, la population de Seine-Saint-Denis, pourtant la plus jeune mais aussi la plus pauvre et moins qualifiée de l’Hexagone, était la plus touchée par le diabète. Ce constat n’a rien d’un hasard puisque l’éducation, le niveau de vie et la santé sont finalement trois facteurs qui s’influencent mutuellement entre eux. Une meilleure éducation tend à un meilleur niveau de vie et la réciproque est vraie. Un plus haut revenu tend à être en meilleure santé comme être en bonne santé est déterminant dans le niveau de vie.  
Enfin, un dernier exemple d’externalités positives repose sur la sauvegarde de notre appareil démocratique. Simone Weil plaide dans son livre « L’enracinement » que la vérité est un besoin fondamental de l’âme qui garantit la liberté d’action. Elle aussi voit l’instruction comme le meilleur moyen d’accéder à un tel besoin. À l’heure où les fake news prolifèrent sur la toile, il est nécessaire d’interroger la soutenabilité de notre démocratie. Ce phénomène n’est-il pas une atteinte dans nos libertés d’expression et d’opinion ? Peut-on imaginer que les réseaux sociaux, en exacerbant la prolifération de fausses informations, détériorent le lien entre les individus et les institutions ? Que doit-on espérer sur les décisions de ce même peuple, amené à s’exprimer sur les projets politiques européen et national ?

4) Quels axes pour développer l’inclusivité du système scolaire ?    

4.1) Renforcer l’encadrement scolaire des plus défavorisés
Depuis 2014, la France s’attèle à dédoubler les classes dans les ZEP, notamment dans le cycle primaire car elle compte en moyenne 23 élèves par classe contre 15 en moyenne dans la zone OCDE. Cette politique va dans le sens d’un renforcement de l’encadrement scolaire des plus défavorisés mais souvent, ce sont des jeunes professeurs, parfois sans expérience, qui enseignent dans les ZEP. Pourtant, les élèves les plus en difficulté sont sans doute ceux qui ont le plus besoin des professeurs les plus expérimentés. La politique de salaires plus élevés en ZEP ne suffit pas à les attirer. Il faut renforcer l’attractivité des territoires qui souffrent d’une mauvaise image, souvent à tort. Il est aussi nécessaire d’amorcer une mixité sociale rapide et de grande ampleur au sein des écoles, notamment les villes métropolitaines où le réseau de transports le permet, afin que les choix d’arbitrage d’enseignement n’intègrent plus l’adresse des élèves comme repoussoir.

4.2) Améliorer l’accès à l’offre scolaire
En France, 30 % des élèves  utilisent les transports en commun pour se rendre à l’école. La moitié concerne le milieu rural, l’autre moitié les agglomérations urbaines. Pourtant, la question des transports n’est pas assez étudiée par les autorités publiques selon le rapport Azéma-Mathiot. La distance géographique rentre pourtant en compte dans la motivation et la réussite scolaire. Elle est d’autant plus importante que dans le supérieur, elle est une barrière considérable : près d’un tiers des universités présentes dans le classement Shangaï 2020 sont en Île-de-France.
L’asymétrie d’information est également un autre problème d’actualité mais occulté tant pas la science que par la politique. Les enfants dont les parents sont moins qualifiés sont aussi moins à même de connaître les débouchés dans l’enseignement supérieur, les méthodes de travail ou encore les références culturelles pour y parvenir. Pourtant, il est tout à fait légitime de penser que ce phénomène amplifie les inégalités scolaires : c’est aussi parce que les élèves les plus défavorisés sont moins informés qu’ils voient moins l’intérêt d’accéder à des filières longues et sélectives.

Conclusion
Les disparités scolaires s’observent entre les milieux sociaux, donc entre les territoires, et débouchent sur un cercle vicieux où les élèves défavorisés ont une probabilité plus forte de devenir des individus défavorisés à l’âge adulte. Les politiques publiques n’ont jamais su inverser la tendance, fautes de moyens et de réelles stratégies territoriales. Pourtant, elles contraignent le potentiel de croissance de l’Etat français ainsi que l’efficacité de son appareil social, qui est sans doute l’un des plus importants au monde, mais qui ne permet pas de réduire significativement les disparités sociales.
Ce papier occulte pourtant toute une réflexion à porter sur les valeurs de notre société. Si notre système scolaire ne parvient pas à mettre les élèves sur un pied d’égalité dans leurs chances de réussir à l’école, il porte atteinte au principe d’égalité des chances, réaffirmé par une loi éponyme de 2006 promulguée après les émeutes de 2005 en banlieue. Ainsi, s’il y a des intérêts économiques évidents à atténuer les inégalités scolaires, il y a également des devoirs étatiques à garantir un modèle viable, vivable et durable par tous et pour tous par notre système scolaire.

Diplômé de l'Université Paris-Dauphine, Mathieu Obertelli est chargé d'études économiques chez La Banque Postale. Ses expériences professionnelles, entre les collectivités territoriales et le monde bancaire, traduisent son intérêt pour les problématiques socio-économiques et financières inhérentes aux collectivités locales.

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