Les difficultés de recrutement sur le marché du travail français (Note)

Utilité de l’article : En dépit d’un taux de chômage structurellement élevé, les entreprises françaises déclarent rencontrer des difficultés de recrutement sur le marché du travail. Cet article présente la mesure de ces tensions sur le marché du travail, identifie les barrières à l’embauche et met en évidence les solutions envisagées par les entreprises afin d’y répondre.

Résumé :

  • En dépit d’un taux de chômage structurellement élevé de 8,1 % fin 2019, les entreprises déclarent rencontrer d’importantes difficultés de recrutement sur le marché du travail français ;
  • Les lacunes des candidats en termes de compétences constituent selon les entreprises leur principal obstacle aux recrutements. Ces dernières intensifient leurs efforts de recrutement, assouplissent leurs exigences vis-à-vis des candidats ou modifient des caractéristiques du poste afin de surmonter ces difficultés ;
  • De nombreuses réformes structurelles permettraient également, dans une certaine mesure, d’améliorer la situation sur le marché du travail français.

Les difficultés de recrutement sur le marché du travail sont régulièrement à l’ordre du jour des rendez-vous de Grenelle. Ces rencontres trimestrielles ont été instaurées par la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, afin de susciter un débat de qualité entre économistes et experts de l’emploi sur la conjoncture du marché du travail ainsi que sur les perspectives de l’emploi. En effet, en dépit d’un taux de chômage structurellement élevé de 8,1 % (selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), au sens du BIT, au dernière trimestre 2019- cf. graphique), les entreprises rencontrent des difficultés de recrutement importantes et persistantes sur le marché du travail français.Divers facteurs contribuent à expliquer ces difficultés de recrutement et plusieurs solutions sont envisagées en vue de les surmonter.

L’ampleur et l’aggravation des difficultés de recrutement

Plusieurs sources de données fournissent des indicateurs complémentaires permettant de mesurer la demande de travail de la part des entreprises. Ces indicateurs mettent en exergue l’ampleur et l’aggravation de telles difficultés.

A cet égard,  l’évolution à la hausse du taux d’emploi vacant, mesuré dans l’enquête Activité et conditions d'emploi de la main-d'œuvre (Acemo, 2019) de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du Ministère du Travail, en est une illustration emblématique. Le niveau élevé de ce taux révèle les problèmes d’appariement auxquels font face les entreprises sur le marché du travail (cf. données).

Ce constat est confirmé par plusieurs enquêtes. Selon l’enquête de conjoncture de l’Insee, 41 % des entreprises déclarent rencontrer des difficultés pour recruter (cf. étude). De même, selon l’enquête Offre d’emploi et recrutement (Ofer, 2016) de la Dares, 17 % des recrutements réalisés entre septembre et novembre 2015 se sont avérés difficiles. Par ailleurs, l’enquête Besoins en main-d’œuvre (BMO, 2019) conduite par Pôle Emploi révèle que sur 2 693 220 projets de recrutement, 50,1 % sont anticipés comme difficiles. Les métiers de  carrossiers automobiles, géomètres, régleurs et couvreurs sont particulièrement affectés par les difficultés de recrutement, dans la mesure où plus de 84 % des projets de recrutement y sont anticipés comme difficiles. Ces difficultés de recrutement présentent également des disparités sectorielles et géographiques très fortes (cf. graphique).

De plus, ces difficultés de recrutement semblent s’être récemment aggravées. En effet, d’un niveau déjà élevé entre 2004 et 2008, elles ont enregistré une importante baisse au cours de la Grande Récession de 2008-2009, suivie d’une stabilisation, avant de connaitre une augmentation considérable entre 2017 et 2019. Cette évolution, en période de croissance économique et concomitante à un taux d’utilisation des capacités de production toujours plus élevé (cf. étude), souligne la nature structurelle de ces difficultés de recrutement.

Les obstacles au recrutement des entreprises proviennent principalement des lacunes des candidats en termes de compétences

Les difficultés de recrutement des entreprises peuvent provenir de plusieurs types d’obstacles :

  • La pénurie de main d’œuvre disponible ;
  • Les lacunes des candidats en termes de compétences ;
  • Le manque d’attractivité des postes à pourvoir en termes de salaire ainsi que de conditions d’emploi et de travail.

Les difficultés de recrutement des entreprises ne semblent pas provenir de la pénurie de main d’œuvre disponible. En effet, les différentes mesures d’offre de travail de la part des actifs inoccupés, que sont le chômage et le sous-emploi[1] , constituent un continuum de situations faisant chacune référence à la main d’œuvre disponible aux marges à la fois extensive et intensive (cf. graphique). Les niveaux élevés de ces deux indicateurs fournis par l’enquête Emploi de l’Insee mettent en évidence l’importance quantitative de cette main d’œuvre disponible.

Dans l’enquête Ofer 2016, les recruteurs mettaient ainsi en avant trois principales barrières à l’embauche : les lacunes des candidats en termes de compétences, le faible nombre de candidats et les caractéristiques du poste proposé (rémunération insuffisante, quotité de travail, ...). Ces difficultés varient en fonction de la nature du contrat, du type de poste et du secteur d’activité : elles sont plus importantes pour les recrutements en contrat à durée indéterminée, sur les postes qualifiés et dans les secteurs de l’information, de la communication, des services aux entreprises, de l’industrie ou des transports (cf. étude). Les lacunes des candidats en termes de compétences sont confirmées par l’enquête Wage Dynamics Network conduite en 2014 par l’Eurosystème. Selon cette enquête, 73 % des entreprises enquêtées ont déclaré que l’absence de main d’œuvre suffisamment qualifiée constituait un obstacle à l’embauche entre 2010 et 2013.

Cette situation n’est toutefois pas spécifique à la France, dans la mesure où la forte augmentation des tensions liées au manque de main-d’œuvre disponible s’observe dans l’ensemble de la zone euro, en particulier en Allemagne, qui affiche en revanche un taux de chômage bien inférieur à celui de la France.

Solutions aux difficultés de recrutement

En vue de surmonter ces difficultés de recrutement, de nombreuses solutions peuvent être envisagées par les entreprises : notamment investir dans la formation des salariés ou des candidats n’ayant pas toutes les compétences requises ou encore améliorer l’attractivité du poste en termes de salaire ainsi que de conditions d’emploi et de travail.

A cet égard, la littérature académique a mis en évidence les effets bénéfiques de la hausse du niveau de salaire (Faberman et Menzio, 2016; Kettemann, Mueller et Zweimüller, 2018) et de l’amélioration des conditions de travail (Hall et Mueller, 2017) sur le recrutement des entreprises.

Cependant, la montée des tensions sur le marché du travail français ne s’est pas traduite par une nette accélération des salaires. Cette modération salariale se manifeste à la fois aux niveaux macroéconomique et microéconomique. Au niveau agrégé, bien que le salaire moyen par tête, qui intègre les primes et reflète la structure de l’emploi, affiche une légère accélération entre 2017 et 2019 (notamment en raison du versement de la prime exceptionnelle « Macron »), il enregistre néanmoins un rythme de croissance bien inférieur à celui d’avant la Grande Récession de 2008-2009 (+ 0,7 % en glissement annuel au 2e trimestre 2019 – cf. étude).

Plusieurs facteurs peuvent contribuer à expliquer cette évolution modérée des salaires. D’une part, en période de reprise économique, des salariés moins qualifiés, qui avaient été les premiers à être licenciés au cours de la crise, réintègrent progressivement la masse salariale, pesant ainsi sur le salaire moyen (Verdugo, 2013). D’autre part, des dispositions telles que le Smic ou les conventions collectives fixent un seuil minimal en deça duquel le salaire ne peut être abaissé. Ces dispositions engendrent des rigidités nominales à la baisse sur les salaires, notamment en période de ralentissement, conduisant à une accélération des salaires plus lente en période de reprise car les entreprises anticipent la difficulté future à baisser les salaires (Marotzke et alii, 2017 – cf. étude).

Par ailleurs, cette modération salariale est aussi attribuable à la faiblesse des gains de la productivité du travail ainsi qu’à la structure des tensions sur le marché du travail. D’une part, les récents progrès technologiques ont rendu le capital plus productif et moins coûteux que le travail, favorisant la demande du premier par rapport au second et engendrant par suite une moindre croissance de la rémunération du travail. En outre, le renforcement des tensions sur le marché du travail semble en grande partie lié à un taux de rotation des emplois très important dans certains secteurs d’activité très intensifs en main-d’œuvre peu qualifiée, tels que le secteur du bâtiment, les services aux particuliers ou encore l’hotellerie et la restauration. Les embauches et ruptures de contrats successives de cette main-d’œuvre à bas salaires pèsent également sur la croissance des salaires.

Au niveau microéconomique, l’augmentation du salaire d’embauche n’est pas non plus envisagée par les entreprises comme une solution afin de surmonter leurs difficultés de recrutement. D’après l’enquête Ofer 2016, les employeurs privilégient trois autres grands types d’action, à savoir : une intensification de leurs efforts de recrutement, un assouplissement de leurs exigences vis-à-vis des candidats ou une modification des caractéristiques du poste.

Outre les solutions envisagées par les entreprises afin de surmonter leurs difficultés de recrutement, de nombreuses réformes permettraient d’encourager la reprise d’emploi et de faciliter l’appariement sur le marché du travail, à savoir :

- le renforcement du contrôle de l’assurance chômage (Parent, 2014) ;

- la facilitation de la mobilité professionnelle et géographique (Andrews, Sanchez et Johansson, 2011) ;

- le développement de la formation (Crépon, Ferracci et Fougère, 2012).

Conclusion

Les entreprises françaises font donc face à des difficultés de recrutement structurelles. Ces difficultés proviennent essentiellement des lacunes des candidats en termes de compétences. Afin de surmonter ces obstacles, les entreprises envisagent une intensification de leurs efforts de recrutement, un assouplissement de leurs exigences vis-à-vis des candidats et une modification des caractéristiques du poste. En outre, une hausse des salaires à l’embauche et le développement de la formation, dont le système a été récemment réformé notamment dans cette optique, permettraient d’améliorer l’appariement sur le marché du travail.


[1] Défini comme le nombre de personnes à temps partiel souhaitant travailler davantage et disponibles pour le faire.

Sandra Nevoux est Économiste / Chercheur en Banque Centrale. Elle est Docteur en Économie de l’École Polytechnique. Elle a effectué sa thèse sur la problématique de l’Activité Partielle. Ses domaines de recherche incluent l’Économie du Travail, la Microéconomie Appliquée, l’Économie Publique, l’Économie Géographique, la Productivité et les Catastrophes Naturelles. Dans le cadre de son doctorat, elle a été affiliée au Centre de Recherche en Économie et Statistique (CREST) et a également travaillé au sein de la Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES) du Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social. Elle est diplômée du Master de Recherche en Économie et Politiques Publiques de l’École Polytechnique, l’École Nationale de la Statistique et de l’Administration Économique (ENSAE) et l’Institut d’Études Politiques de Paris (Sciences Po). Elle est également certifiée par la formation continue de l’ENSAE en Science de la Donnée.

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