Un New Deal pour l’Europe

Résumé :

- La Zone Euro fait face à plusieurs grandes problématiques : l’incomplétude de l’euro, l’absence de gouvernance, un modèle économique en panne et un manque global de solidarité.

- De l’absence de fédéralisme budgétaire, au mandat trop réduit de la BCE, en passant par l’échec de la convergence des membres de la Zone Euro, plusieurs facteurs peuvent permettre de comprendre les difficultés rencontrés.

- M. Aglietta et T. Brand proposent un ensemble de solutions pour tenter d’insuffler un nouveau souffle à la Zone Euro : un fédéralisme budgétaire et monétaire, une solidarité politique et modèle de croissance se basant sur des incitations et l’innovation.

A l’occasion de la sortie de leur livre, « un New Deal pour l’Europe »,  M. Aglietta (économiste et conseiller scientifique au CEPII) et T. Brand (économiste au Centre d’analyse stratégique) sont revenus  sur les principaux sujets abordés dans leur ouvrage lors d’une conférence du CEPII, le 21 mars 2013. L’incomplétude de l’euro et la nécessité de tendre vers un modèle de fédéralisme budgétaire et monétaire en Zone Euro se retrouvent au centre de leur réflexion.

L’incomplétude de l’euro

Selon eux, la monnaie unique souffre d’un « vice originel » depuis sa création. L’euro est souvent perçu comme un simple intermédiaire d’échange et non pas comme un vecteur de rapprochement entre les différents états membre de la Zone Euro. L’euro est davantage et doit être considéré selon M. Aglietta comme un bien public et social, facilitant les échanges, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cela est d’autant plus nécessaire que le lien entre la monnaie unique et la politique budgétaire est assez proche. A partir du moment où chaque pays membre de la Zone Euro (ZE) récolte des impôts, payés en euro par les contribuables, et que la dette publique de ces Etats est libellée en euro, il s’avère que les dettes des pays soient comme « connectées » entre elles. Une mutualisation des dettes des pays de la zone euro n’a donc rien d’illogique et parait au contraire parfaitement rationnel et l’établissement d’un budget commun constituerait un réel apport vu que la dette deviendrait en quelque sorte un capital collectif, incitant à davantage de coordination entre les pays selon les auteurs.

De plus, la création de l’euro est à la charge de la Banque Centrale Européenne (BCE) ; dès lors au vu de ce que nous venons de constater, il apparait que les politiques monétaire et budgétaires sont nécessairement intimement liées, ce qui justifierait davantage de fédéralisme. La BCE est d’ailleurs aujourd’hui, le seul vrai « agent » fédéral au sein de la Zone Euro mais pour autant elle ne peut pas jouer pleinement son rôle selon M. Aglietta. Etant donné que les traités européens stipulent que la BCE ne peut pas acheter sur le marché primaire de la dette souveraine des Etats, une monétisation de la dette est impossible. Or dans le cadre d’un fédéralisme budgétaire, monétiser la dette des Etats (en cas d’urgence ou non) apparait comme logique en termes de stratégie : le risque d’aléa moral est limité car tous les pays sont responsables de leur propre dette ainsi que de celle de leurs voisins. De telles questions avaient déjà été soulevées par le Rapport Werner en 1970, lors de l’ébauche du projet de création de la monnaie unique, mais ce rapport n’a pas eu de suite au vu de la crise et des autres enjeux plus prioritaires de l’époque. Cependant ces interrogations n’ont pas été ensuite reprises par le rapport Delors à la fin des années 80.

Un manque de cohésion européenne

Pour T. Brand, l’absence de fédéralisme au niveau budgétaire est à la fois historique et politique. Historique étant donné que la création de la ZE a été le fruit de longues négociations certes, mais où le modèle qui a été retenu est celui de l’Allemagne, connue pour son extrême aversion à l’inflation et pour sa rigueur budgétaire au vu de sa propre histoire. Et elle est politique vu que même quand en 1994, le renforcement d’une coalition franco-allemande a été proposé par le gouvernement du chancelier Kohl, la classe politique française n’a pas été encline à faire le pas nécessaire, pour favoriser l’apparition d’une cohésion européenne et non plus purement national. Depuis la zone euro a été créée et la monnaie unique instaurée, mais pour autant aucune gouvernance européenne, forte et crédible, n’a émergé et aujourd’hui encore beaucoup de thèmes séparent les différents membres de la ZE, qui n’ont cessé de diverger.

Cette « négation de l’interdépendance », comme le précise la député européen S. Goulard, présente également, a amené plusieurs fois l’Europe à opter pour les mauvais choix ou à être trop passive alors qu’il fallait promptement agir. Ces décisions ont affecté le moral des citoyens européens et alimenté une forme de mécontentement (les élections italiennes et les difficultés pour former un gouvernement en témoignent), ce qui pourrait mener à un rejet de l’Europe dans certains ou du moins une forte défiance. Il faut donc favoriser l’émergence d’une solidarité européenne pour M. Aglietta. Celle-ci doit alors s’appuyer sur le concept de « transnationalisation démocratique » de Habermas. C’est-à-dire qu’il faut instaurer un ordre constitutionnel fédéral (où les Parlements nationaux convergeraient), une solidarité civique (développement d’une conscience et d’un débat européen) et une organisation d’actions collectives (à nouveau l’idée d’un fédéralisme budgétaire et monétaire).

Le « modèle économique-mirage »

En principe l’entrée dans la zone euro devait faciliter et promouvoir la convergence des pays européens. Le raisonnement était le suivant (calqué sur le modèle allemand) : le fait que tous les pays membres puissent bénéficier de taux d’intérêts bas (assurés par une certaine stabilité des prix, nous y reviendrons ultérieurement) devait favoriser l’investissement dans des secteurs productifs et permettre ainsi l’augmentation de la productivité, de de la compétitivité et assurer à la fois une hausse des salaires et l’établissement d’un solde courant excédentaire. Un cercle vertueux pouvait alors s’instaurer et la probabilité qu’un Etat doive intervenir dans le processus économique était assez faible, donc un dérapage des finances publiques était difficilement réalisable.

Or malheureusement, certains pays ne remplissaient pas les conditions suffisantes pour bénéficier de taux bas, car l’environnement macroéconomique dans ces pays n’étaient pas forcément sain. De plus tous les investissement ne sont pas dirigés vers des secteurs productifs et ont pu alimenter des bulles (essentiellement immobilières) via une hausse excessive de l’offre de crédit. Une fois la crise financière déclenchée et diffuséeà l’économie réelle, l’illusion de ce modèle a définitivement été levée. Les Etats se sont dès lors trouvés dans l’obligation d’intervenir en usant de politique budgétaire expansionniste, ce qui a considérablement affecté les finances publiques. Entre temps les pays de la ZE ont globalement divergé plutôt que convergé.

Une dernière critique du « modèle économique européen », s’il a existé, s’adresse aux adeptes de l’hypothèse de l’efficience des marchés, élément incontournable sur lequel repose l’économie de marché depuis les années 80. Les prix étant en mesure d’intégrer toute l’information, assurer leur stabilité devait assurer une certaine stabilité macroéconomique. Dès lors l’objectif central de la BCE était de faire de l’inflation targeting, en veillant à ce que la politique monétaire soit un garant de la stabilité des prix et donc dans une moindre mesure, de la stabilité financière et économique. Il s’avère que cette hypothèse d’efficience des marchés est beaucoup trop forte et que l’autorégulation des marchés soit un mythe, pour autant encore aujourd’hui peu d’alternatives ont été proposées.

Les solutions proposées par Aglietta et Brand

Pour renforcer la ZE à l’avenir et éviter de replonger dans une crise similaire à celle que nous vivons actuellement, M. Aglietta et T. Brand fournissent plusieurs éléments pouvant répondre efficacement aux enjeux actuels. Quatre solutions émergent de leur réflexion : davantage de solidarité politique, un fédéralisme budgétaire, un nouveau mandat pour la BCE, un modèle économique guidé par les incitations et les innovations.

Premièrement, établir une stratégie politique européenne commune, basée sur les principes évoqués par Habermas afin de renforcer la solidarité européenne. Cette dernière devrait donc s’appuyer sur un fédéralisme budgétaire avec la mise en place d’un budget européen commun et sans doute par la mutualisation des dettes publiques. L’adoption d’un système du type Redemptions Funds semblerait une solution efficace aux yeux de Aglietta : la mutualisation via un fonds des dettes concernerait les 60 premiers pourcents du PIB des pays, ainsi chaque Etat serait coresponsable de sa dette et de celle de ses voisins, et dès qu’un pays dépasse le seuil des 60% de son PIB, il sera seul responsable du surplus de dette créée. Avec un tel fonds, les membres de la ZE seront contraints de se coordonner, ce qui devrait renforcer la gouvernance et l’esprit européen. Ces deux premiers points font donc référence à une zone plus solidaire démocratiquement et budgétairement.

Concernant la politique monétaire, l’élargissement du mandat de la BCE s’impose et l’objectif de sa politique doit moins porter sur la stabilité des prix que sur le financement de l’économie et sur l’approvisionnement en liquidité de l’économie et les Etats, si besoin est. De plus, ces deux objectifs ne sont pas nécessairement incompatibles. Il faut également que la BCE continue de développer des outils de politiques non conventionnelles pour ne plus dépendre uniquement du canal des taux d’intérêts et influer sur la politique monétaire. La macro-prudentielle et la micro-prudentielle sont également deux éléments incontournables pour définir le rôle de la BCE pour les années à venir et l’union bancaire sous la supervision unique de la Banque Centrale  semble être un premier pas important allant dans cette direction. Il est donc ici question de renforcer le rôle de la BCE, qui tout en restant indépendante, se doit d’être davantage plus proche des Etats et des besoins de l’économie réelle, un enjeu dont la mise en place serait facilitée par le fédéralisme budgétaire.

Le dernier point évoqué par M. Aglietta et T. Brand concerne à la fois le modèle économique de la zone euro de demain et les prix. Selon eux, le retour à la compétitivité, qui semble être avec la soutenabilité de la dette publique le cheval de bataille de la zone euro, ne sera assuré que sous certaines conditions et il sera préjudiciable de penser qu’un choc exogène pourrait conduire les pays sur cette voie. En amont les entreprises doivent trouver des stratégies innovantes tout en étendant leurs activités de développement durable. L’Etat peut jouer un rôle novateur afin de faciliter cette tâche : comme dans le cas de la mise en place d’une taxe carbone, il faut que l’Etat trouve un moyen d’inciter les entreprises à internaliser certaines externalités, que les marchés ne parviennent pas à intégrer. Ces incitations devraient amener les entreprises (et surtout les investisseurs) à modifier leurs méthodes de calculs pour estimer les risques et les rendements futurs de leurs projets. Ce type d’incitations devraient permettre à terme de développer un nouveau modèle de croissance, favorisant un retour à la compétitivité tout en s’appuyant sur un réseau d’entreprises innovantes et dynamiques, plus à même d’attirer à nouveau des flux d’investissements nationaux et étrangers, qui font cruellement défauts aujourd’hui.

 

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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