La régulation des banques en Europe : où en sommes-nous ?

Résumé :

- Les réformes de Bâle III étaient nécessaires et apportent des éléments nouveaux devant permettre d’augmenter la résilience du système bancaire.

- Par contre elles ne favorisent pas la discipline de marché et son calendrier semble assez contraignant dans la période actuelle, au risque de repousser la reprise de l’activité.

- Le CRD4 cherche à approfondir les dispositions en termes de normes micro-prudentielles, tout en s’appuyant à la fois sur l’Autorité Bancaire Européenne et les régulateurs nationaux.

- Le plafonnement et l’encadrement des salaires du système bancaire et plus particulièrement des primes et des bonus, sera officiel dès 2014.

Le 4 mars dernier, les membres de l’Eurogroupe, constitués des ministres des finances des pays l’Union Européenne, se sont réunis afin de discuter de la stratégie européenne à adopter dans le cadre del’application des normes de Bâle III. L’objectif de cette réunion était très clair : durcir la régulation des banques en trouvant un compromis pour la directive CRD4[1] .

Depuis le début de la crise des subprimes en 2007, la régulation des banques occupe une place majeure au sein des débats économiques et connait régulièrement de nombreux rebondissements. Successivement des accords ont été trouvés pour renforcer les mesures Bâle II et ainsi passer à Bâle III : des commissions ont été créées (de Larosière, Vickers, Liikanen), de nouvelles institutions de régulation sont apparues ou ont été remplacées (Autorité Bancaire Européenne (ABE), European Systemic Risk Board (ESRB), Mécanisme de Supervision Unique[2] (MSU). Des contributions qui devraient favoriser la mise en place d’un cadre robuste pour assurer la stabilité financière et bancaire de demain.

 Actuellement trois grandes problématiques se dégagent et sont à l’étude : la mise en place de Bâle III et les exigences supplémentaires imposées aux SIFIs[3] , l’étendu du champ d’action de l’ABE et  des régulateurs nationauxet l’encadrement des bonus dans le domaine de la Finance. Qu’en est-il vraiment et quelle est la portée de ces mesures ?

Les nouvelles mesures de Bâle III

Etant donné l’ampleur de la crise et l’inefficacité des mesures de Bâle II, le Comité de Bâle a dû adopter de nouvelles réformes afin d’assurer la résilience du système bancaire pour les années à venir. Avec l'instauration des nouvelles normes Bâle III, les objectifs poursuivis sont d’augmenter la qualité des fonds propres des banques, améliorer la couverture des risques, introduire davantage de mesures contra-cycliques et intégrer une approche prudentielle visant à intégrer la dimension systémiques de certaines banques.

Pour l’Union Européenne (UE), l’entrée en vigueur dans Bâle III a été fixée au 1erjanvier 2013 et devrait s’achever définitivement en 2019. L’ajustement des banques à cette réglementation devrait s’effectuer étape par étape. Le calendrier initialement prévu a été révisé, avec des assouplissements pour permettre aux banques de converger progressivement vers les nouvelles normes  et sera amené à  l’être à nouveau, en fonction de la capacité des banques et surtout de l’économie à sortir de la crise.

Les exigences en termes de fonds propres ont donc été revues à la hausse depuis Bâle II :

- le ratio Tier One de capital (T1), qui est le rapport du noyau dur des capitaux propres des institutions financières sur le total de leurs actifs, pondérés du risque est un des ratio les plus important dans le nouveau dispositif du Comité de Bâle. Il devrait passer de 4% (en vigueur sous Bâle II) à 6%. Ce type de capitaux propres est considéré de meilleure qualité, donc plus coûteux pour les banques mais devrait leur permettre d’éviter d’encaisser des pertes tout en atténuant les problèmes liés à un endettement excessif.

-  D’autres ratios, comme le Common Equity[4] ou celui relatif au capital total, atteindront respectivement 4,5% et 8% de la totalité des actifs pondérés.

- Les ratios de liquidité à court et long terme, quant à eux, semblent assez redondants (au vu des ratios précédemment présentés) et très pro-cycliques, tout en laissant la possibilité de segmenter les marchés d’actifs via le nombre d’actifs éligibles à ces ratios. Ces mesures concernent n’importe quelles banques et les SIFIs sont confrontées à des exigences plus élevées (entre 1 et 2,5% par ratio, selon la taille des banques systémiques).

Les implications de cette régulation : davantage de contra-cyclicité et un meilleur encadrement du risque systémique

Pour faire face à un durcissement des conditions financièreset pour lutter contre la pro-cyclicité de certains ratios, des coussins contra-cycliques ont été inclus afin de pouvoir augmenter jusqu’à 2,5% pour chaque banque les ratios présentés ci-dessus, hors ratios de liquidité. En période de croissance, les banques devront constituer un stock de fonds propres supplémentaire, mobilisables dans les périodes de crises, où les coussins passeront à 0%. Un autre apport important de Bâle III réside dans l’introduction en 2013, sous forme d’essai, d’un ratio pour l’effet de levier[5] (ratio des fonds propres sur la totalité des actifs non pondérés du risque) qui s’élèverait à 3% du T1.

Globalement les méthodes pour calculer le niveau à atteindre pour chaque ratio ont été révisées, avec notamment une meilleure mesure  des risques dits « extrêmes ». Ces risques, dont la probabilité de réalisation est très faible, mais aux conséquences financières incertaines, seront dès lors intégrés via la simulation de scénario stress à court terme et via des outils spécifiques[6] . De plus l’introduction de ratio de levier, évoqué plus haut, devrait permettre de contourner les difficultés liées à la complexité des modèles internes des banques, qui ont eu tendance à sous-estimer les risques liés à certaines classes d’actifs.

L’introduction de nouvelles normes apparait comme nécessaire pour tendre vers une réglementation bancaire plus adaptée que ne l’était Bâle II. Toutefois selon certains économistes, ces nouveaux ratios auraient pu permettre d’éventuellement empêcher la crise de 2007-2009, mais rien ne dit qu’ils seront suffisamment robustes pour empêcher ou même prévenir une prochaine crise, vu qu’ils ont été en réaction ex post. La mise en place d’instruments contra-cycliques pourrait éventuellement combler ce manque, ces derniers présentant l’avantage de se projeter davantage vers l’avenir et ainsi se prémunir d’une marge de manœuvre ex ante.

Concernant le risque systémique, malgré des mesures spécifiques pour les SIFIs, l’approche du Comité de Bâle reste encore insuffisante car elle n’intègre pas assez d’éléments incitatifs pour obliger les établissements à s’autoréguler en instaurant davantage de discipline de marché[7] .

Dans la situation actuelle, où l’activité n’a pas repris et où la crise perdure, exiger des banques qu’elles accentuent leurs efforts en termes de convergence vers Bâle III peut s’avérer une stratégie à double tranchant pour la croissance. Ce type de critique est souvent émise au sein du milieu bancaire, où ses lobbys évoquent qu’une hausse des exigences se traduirait inéluctablement en rationnement du crédit. En effet, au vu des derniers chiffres des Bank Lending Survey[8] en Europe, l’offre de crédit des banques ne répond globalement pas au besoin de l’économie réelle. Bâle III arrive peut être trop et participerait à ce « freinage » de la reprise mais en aucun cas il en est la seule cause.

Normes sous le CRD4 et pouvoir de l’ABE

Les dispositions du CRD4 sur la régulation des banques s’appuient sur celles prises par Bâle III et veulent aller même au-delà. Les Etats européens se sont entendus pour se laisser une certaine marge de manœuvre afin que chacun puisse augmenter les normes prudentielles jusqu’à un maximum 5% de coussin supplémentaire, selon le degré de stabilité du système financier.

Ces éventuelles  hausses seront essentiellement réservées aux banques de tailles importantes, dites systémiques, au nombre de quinze en Europe[9]  sur vingt-neuf dans le monde. Mais il semble nécessaire ici de rappeler que toutes les banques sont à même de générer du risque systémique, quelle que soit leur taille, il parait donc plausible qu’une augmentation des exigences prudentielles s’applique pour toutes les banques.

Dans le cas où un pays voudrait réguler de manière plus stricte ses banques, il devra au préalable avoir l’accord de l’ABE et de la Commission Européenne afin de préserver l’intégrité du marché unique en Europe et ainsi éviter l’émergence d’approches nationales sur la régulation bancaire au profit d’une vision globale et européenne.

L’ABE, organisme central pour assurer la stabilité financière en Europe, ayant pris la suite du Comité européen des contrôleurs bancaires en novembre 2010, voit donc son rôle renforcer avec le CRD4. Elle ne joue pas un rôle de superviseur direct des banques mais doit s’occuper à l’uniformisation des règles prudentielles auprès des régulateurs nationaux et contrôler l’action de ces derniers. Pour autant elle n’est pas complètement étrangère au processus de supervision étant donné qu’elle coopérera avec le Mécanisme Européen de Supervision unique (nouveau service de la BCE), qui aura à sa charge la surveillance du respect des normes prudentielles et de l’organisation des stress test.

Plafonnement des rémunérations dans le système bancaire

Concernant le bonus des banques de l’UE (et de leurs filiales dans les pays tiers, ainsi que pour les banques étrangères implantées en Europe), une nouvelle règlementation fera son apparition en 2014 sur la rémunération dans le domaine de la finance et plus particulièrement sur l’ampleur des bonus bancaires. Ainsi la partie de rémunération variable de n’importe quel salarié, dont les actes sont susceptibles d’impacter les risque portés par sa banque, ne pourra dépasser la partie fixe du salaire annuel.

Mais les bonus auront la possibilité de représenter le double de la rémunération si les actionnaires y sont favorables. La règle exacte stipule que dans le cas où 50% des actionnaires sont représentés, il faudra que 66% votent en faveur d’un bonus valant le double du salaire annuel pour que cela soit validé. Le seul moyen de déroger à cette règle est que les banques versent près d’un quart de ses bonus, avec un décalage de cinq années avec la possibilité d’annulation des bonus en cas de mauvaises performances ou de pertes (une mesure adaptée qui renforce la discipline de marché et pourrait permettre d’alimenter un système de filet de sécurité facilitant le processus de recapitalisation des banques avec des ressources internes,en cas de crise). Dans ce cas précis, la part la variable (hors bonus) pourrait atteindre jusqu’à deux fois la part fixe (ce qui ne sera efficace en termes de discipline de marché, si et seulement si les risques pris pour augmenter ses bonus sur cinq ans, sont supérieurs à ceux pris pour augmenter ses primes[10] ).

Globalement ce dernier point, concernant les banques et les plafonds de rémunération, a reçu un écho très négatif de la part du milieu financier, craignant que cela les oblige à augmenter la partie fixe de la rémunération de leurs salariés, coût non négligeable en plein période d’ajustement de bilan. Afin de s’assurer que les banques appliquent et s’impliquent dans ce nouveau processus d’encadrement des salaires, la Commission Européenne exigera un fort degré de transparence de la part du secteur bancaire. Toutes les banques seront dans l’obligation d’ici 2015 de communiquer à la Commission Européenne leurs niveaux d’aides publiques reçus, de profits et de chiffres d’affaires nets chaque année.

Conclusion

La régulation en Europe est sur la bonne voie et de nombreuses avancées ont été réalisées à plusieurs niveaux. De nouvelles mesures devraient peu à peu se mettre en place à partir de 2014 afin de renforcer, sous l’égide de la BCE, la transparence, la stabilité et la résilience du système bancaire. Toutefois plusieurs doutes subsistent autour de cette hausse de la règlementation : n’est-elle pas un peu précoce, tant au vu des difficultés actuelles avec la crise qu’au niveau du rythme très lent auquel s’établie la régulation aux Etats-Unis et intègre-t-elle réellement des mesures incitatives fortes pour contraindre les institutions financières à davantage de prudence et à s’autoréguler? Au-delà de ces préoccupations, la stabilité financière est un enjeu majeur à long terme et les mesures prises actuellement s’inscrive dans cette logique.

Notes:

[1]  Le CRD4, pour Capital Requirements Directive, concerne l’ensemble des directives européennes sur les fonds propres règlementaires à adopter par les banques.

[2]  Le Mécanisme de supervision unique européen a certes été créé mais sera fonctionnel qu’à partir du 1er mars 2014. Pour plus d’informations voir l’article publié le 14 décembre 2012 sur le site bs-initiative.org/« Et le mécanisme unique de supervision est arrivé… ».

[3]  Les Systematically Important Financial Institution, qui regroupent un nombre réduit de 29 institutions financières dans le monde, à fort potentiel systémique.

[4]  Ensemble des actions ordinaires et profits mis en réserve.

[5]  Un élément incontournable des dernières crises financières et plus particulièrement lors de la crise des subprimes.

[6]  Des modèles de Value-at Risk (VaR) allant au-delà du calcul standard et qui se basent sur des modèles d’estimation du risque qui pondèrent davantage le risque lié à la manifestation d’évènements exceptionnels. 

[7]  Le renforcement de la communication financière par le biais de Bâle ne constituant pas vraiment en soit une incitation forte à la discipline de marché.

[8]  Les Bank Lending Survey sont des enquêtes de la Banque Centrale auprès des banques, des ménages et des entreprises sur leur sentiment sur la facilité à distribuer/recourir au crédit, récemment et pour les mois à venir selon plusieurs critères.

[9]  Groupe BPCE (France), Barclays (Royaume-Uni), BNP Paribas (France), Commerzbank (Allemagne), Deutsche Bank (Allemagne), Dexia (France/Belgique), Crédit Agricole (France), HSBC (Royaume-Uni), ING Bank (Pays-Bas), Lloyds Banking Group (Royaume-Uni), Nordea (pays scandinaves), Royal Bank of Scotland (Royaume-Uni), Santander (Espagne), Société Générale (France), Unicredit (Italie).

[10]  Sinon il suffira de prendre le maximum de risque pour augmenter ses primes et minimiser le risque au niveau de ses bonus (si toutefois ces deux risques sont dissociables) pour minimiser le risque de réaliser des pertes sur le moyen terme, et ainsi augmenter la probabilité de doubler  le montant de sa partie variable par rapport à la partie fixe.

 

Diplômé de l’Ecole d’Economie de Paris et de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne en monnaie-banque-finance, Victor Lequillerier est responsable d'études économiques dans une institution financière après plusieurs expériences notamment  au Crédit Agricole et à la Coface. Il a également dispensé des cours d'économie en Master à l'Université de Poitiers pendant quatre années. Victor Lequillerier est Vice-Président, Secrétaire Général et co-fondateur de BSI Economics. 

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