Vers une alimentation "désin-carnée" : Enjeux environnementaux et de santé publique (Etude)

Article co-écrit par Sai Bravo et Marine Coinon. 

Utilité de l’article : Cet article décrit les enjeux environnementaux et de santé publique associés à l'élevage. Dans un contexte de lutte contre le changement climatique, réduire la consommation de viande demeure crucial. Les politiques publiques ciblant l'offre restent limitées et devraient être combinées à un fléchage de la demande vers des produits équivalents d'un point de vue nutritionnel et plus respectueux de l'environnement.

Résumé :

  • Le secteur agricole contribue pour environ 20 % aux émissions globales de gaz à effet de serre ;
  • L'élevage est responsable pour moitié de ces émissions, principalement liées la fermentation entérique et la gestion des déjections ;
  • Alors que la consommation de viande ne cesse d'augmenter du fait de la transition démographique et d'une prédilection croissante pour ce produit,la consommation de viande s'accompagne ainsi d'externalités négatives liées à l'élevage ;
  • L'élevage a un coût important sur presque tous les composants de l'environnement (déforestation, besoin en eau important, pollution) et la santé humaine (risque de cancer plus élevé);
  • Des nombreuses initiatives émergent progressivement pour réduire la consommation de viande et réformer les pratiques agricoles en général ;
  • Agir uniquement sur la filière agricole reste inefficace, et requiert une coordination accrue ainsi que de flécher la demande en viande vers des produits équivalents d'un point de vue nutritionnel et plus respectueux de l'environnement ;
  • Les politiques publiques mises en œuvre pour atténuer l'impact de la consommation de viande sur l'environnement et la santé présentent des limites, et n'ont pas fait l'objet d'évaluation précise.

"Manger de la viande, c'est commettre un homicide involontaire," écrit Benjamin Franklin (1706-1790). Alors que la demande globale pour la viande[i] - autrefois considérée comme un produit de luxe, rare et cher – n'a cessé d'augmenter ces dernières années (voir l'Annexe 1pour une description brève de la tendance globale de la consommation et de la production de viande), son impact dépasse largement les seules prérogatives de bien-être animal. Les scientifiques y voient l'une des causes du changement climatique et préconisent une diminution significative de sa consommation pour garantir la trajectoire "neutralité carbone", entérinée par l'Accord de Paris (2015), à l'horizon 2050. Cette hausse de la demande globale pour la viande engendrerait des effets néfastes sur notre santé, ainsi que sur l'environnement. C'est d'ailleurs l'une des conclusions du dernier rapport spécial du Groupe intergouvernemental d'experts internationaux sur le climat (Giec[ii]), publié le 8 août 2019, qui appelle les pays développés (principalement en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest) à limiter leur consommation de produits carnés au profit de "régimes [plus] équilibrés, majoritairement végétal".

Le secteur agricole contribue pour environ 20 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), en particulier de dioxyde de carbone (CO2), de méthane (CH4) et de protoxyde d'azote (N2O). Le rôle de ce secteur s'explique par la production des cultures et du bétail, et l'utilisation croissante de terres mobilisées (Vermeulen et al., 2012). De là surgit un paradoxe : les sols sont à la fois les plus grands puits de carbone au monde et une source majeure de carbone en fonction des techniques utilisées.

Aucun élément probant ne permet d'établir un impact direct de la consommation de viande sur l'environnement et la santé. En se basant sur la littérature existante en économie agricole et de l'alimentation, ce document s'interroge également sur les outils de politique publique à disposition pour régler le problème d'externalités négatives lié à la consommation de viande.

1. Élevage, choix d'alimentation et environnement

L'agriculture produit plus de GES que tous les moyens de transport confondus (Figure 1.1)et c'est le secteur de l'élevage qui causerait le plus de dégâts.La diminution de la consommation permettrait de réduire considérablement les externalités négatives liées à l'élevage, et notre empreinte environnementale. En effet, l'élevage aurait un coût important sur l'environnement : plus de besoins en eau douce et en terres cultivables, moins de forêts, plus de pressions sur les autres usages de sols, augmentation des besoins en eau, besoins importants en eau douce et en terres cultivables, pression sur les autres usages de sol (déforestation), et donc moins de biodiversité.

Figure 1.1 : Répartition des émissions de GES par secteur, en %

Source : Giec, 2014

1.1 "Less meat, less heat"[iii]

Plus d'un dixième des émissions de GES proviennent des activités agricoles et cette tendance ne fait que de s'accroître à mesure que les autres secteurs se conforment à l'objectif de zéro émission. L’élevage joue un rôle primordial dans l'émission de GES, et par conséquent au changement climatique de notre planète. Les émissions directes, liées la fermentation entérique et la gestion des déjections, contribuent pour moitié aux émissions agricoles (Figure 1.2).  Au total, le secteur de l'élevage est responsable de 14,5 % à 16,5 % des émissions de GES d'origine anthropique (Giec, 2014), dont 8,8 % pour les seuls bovins (FAO, 2013),en 2010. Ces variations dépendent des animaux élevés, le bœuf et l'agneau étant les plus grands émetteurs et les poulets les moins.

Le méthane produit par les micro-organismes présents dans les entrailles des ruminants – (notamment les bovins et les ovins) a le potentiel de réchauffement global le plus élevé, à hauteur de 6 0%, suivi par le protoxyde d'azote (25 %) liée à la fertilisation azotée des terres. Sur ce dernier point, Steinfeld et al. (2006) estiment que sur les 80 millions de tonnes de fertilisants de nitrogène produit annuellement, environ 20 % sont utilisés dans la production de nourriture animale (50 % aux États-Unis (Eshela et al., 2014)). Enfin, le dioxyde de carbone représente 15 % du potentiel de réchauffement. Dans l'agriculture, les émissions de CO2 sont principalement liées à la consommation de carburant pour le fonctionnement des fermes.

Figure 1.2

Source : AEE (2018)

L'industrialisation de l'élevage rapide au XXe siècle, consécutif de la pression concurrentielle du secteur, a encouragé cette hausse des émissions de GES. Les pratiques consistent à regrouper dans des hangars de petite taille une population élevée d'animaux ayant un régime alimentaire riche en fourrage. Ce régime favorise le développement rapide de muscles et peut contenir des compléments alimentaires ou des additifs.

Notre alimentation a un effet non négligeable sur l'environnement et endommage l'équilibre des écosystèmes. L'élevage affecte de fait presque tous les composants de l'environnement (de Vries & de Boer, 2010), à savoir :

  • Usage des sols : D’après l’Institut des ressources mondiales, un quart de la masse terrestre continentale – à l'exception de l'Antarctique – est dédiée au pâturage et à l'assolement. Nourrir une population grandissante nécessite d'étendre les terres arables, au détriment de zones forestières et d'intensifier les pratiques agricoles. Onestime que plus de 80 % de la déforestation est le résultat d'une expansion agricole(WRI, 2016).La déforestation, à l'instar de l'érosion des sols, libère le carbone emprisonné dans les sols et les arbres et limite tout équilibre entre émissions et séquestration pour les prochaines générations. Les émissions indirectes de l'agriculture résultant du changement de couverture de sol représentent entre 6 et 18 % des émissions totales anthropiques (van der Werf, 2009). Ce même institut étudie à travers de simulations l’impact de l’adoption de régimes à faible teneur de viande sur la dimension des surfaces dédiées au pâturage et à l'assolement, ainsi que les émissions de GES (Figure 1.3) par rapport au régime moyen américain.


Figure 1.3 : Changer le régime alimentaire des grands consommateurs[iv] peut réduire l'usage de terres et les émissions de GES par personne

Source : World Resources Institute

Le scénario considérant un régiment végétalien pour 2 milliards d’individus permettrait de réduire la surface des terres agricoles pour l’élevage de 48 %, soit 640 hectares (ou deux fois la superficie de l'Inde).L'élevage est également responsable de l'érosion du sol, et de la contamination des sols. En effet, la moitié de la totalité des antibiotiques fabriqués est destinée au bétail, qui les absorbe souvent dans la nourriture quotidienne qui lui est fournie, une pratique qui provoque chez les bactéries une résistance croissante aux antibiotiques.

  • Gaspillage des ressources en eau : Environ 15 000 litres d’eau sont nécessaires pour produire 1 kilo de viande(Inra, 2019). L’élevage utilise également l’eau douce non seulement pour abreuver les animaux et irriguer les champs de cultures pour alimenter le bétail, mais aussi pour nettoyer les hangars. L’Inra (Institut national de la recherche agronomique)(2019) estime qu’il faut 20 fois plus d’eau pour produire des protéines animales que pour cultiver des céréales en quantité suffisante pour une même teneur calorique. Dans un même temps, la production de viande s’accompagne d’une pollution de l’eau par les nitrates, le phosphore, ainsi que les antibiotiques et autres polluants.
  • Dommages sur la biodiversité : L'usage des sols pour la production et l'alimentation du bétail consomme d'importantes ressources naturelles et altère (voire réduit) des habitats naturels (Garnett, 2009).

Eu égard aux émissions générées par les pratiques agricoles, et en particulier dans la filière d'élevage, un cadre institutionnel serait nécessaire pour inciter les consommateurs à réduire leur consommation de viande.

1.2 Consommation de viande et santé

Consommer de la viande a longtemps été vu comme un signe de prospérité dans les pays développés, un marqueur social, sa consommation faisant partie du patrimoine gastronomique.

Pourtant, contre toutes attentes, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS)considère le régime végétarien comme meilleur pour la santé. Le Worldpannel de Kantar (2016) montre une tendance à la hausse du nombre de personnes se considérant végétariennes ou végétaliennes dans les pays développés, de l'ordre de 5 à 10 %. En France, le régime flexitarien, qui consiste à réduire sa consommation de viande occasionnellement en favorisant la qualité séduit de plus en plus. 30 à 40 % des Français y ont adhéré. Ce choix s'accompagne également, avec autres produits de base, d'une réflexion sur la provenance de la viande. Le régime flexitarien favoriserait ainsi l'arrivage local au détriment d'un produit bon marché issu de l'importation.

Une alimentation riche en viande et charcuteries augmenterait les risques de cancer du côlon, rectum, pancréas, estomac et même poumon et sein (Aykan, 2015). Une étude de l'université d'Harvard révèle qu'une portion de viande rouge par jour augmenterait de 13 % le risque de mortalité prématurée. Un risque moins connu est le développement de bactéries résistantes aux antibiotiques.

Enfin, sur le plan nutritionnel, l'apport des protéines animales pour entretenir le capital musculaire est incertain. La viande carnée représente une importante source de fer (22,4 % des apports) et de zinc (18,7 %), ainsi qu'en vitamine B12. L’éliminer de notre régime alimentaire ne pourrait donc se faire qu’avec l’accompagnement de professionnels (nutritionnistes). De plus, l’Inra (2019) note que la consommation moyenne de viande en France de la population adulte en bonne santé est supérieure aux besoins nutritionnels. En effet, un tiers des Français consomment le double de l'apport conseillé établi de 175-245g de protéines animales par semaine. Les viandes issues d'élevages intensifs auraient également moins de protéines, et seraient de moins bonne qualité. Ces produits comporteraient plus de cholestérol et de graisses saturées – nocives pour le cœur en cas d'excès – et tissus conjonctifs.

Par conséquent, la consommation de protéines animales et les pratiques qui en résultent, comme l’élevage industriel, ont ainsi de nombreux effets négatifs sur l’environnement et la santé humaine. Il serait donc nécessaire de réduire notre consommation de viande. Les consommateurs privilégieraient de plus en plus de produits de qualité issus de l’élevage biologique pour des raisons de santé, suite à une prise conscience du bien-être animal, ainsi que pour atténuer son empreinte environnementale. Afin de réduire l’impact environnemental de notre consommation de protéines animales, plusieurs solutions existent du côté de l'offre comme de la demande. Certaines pouvant être entreprises par soi-même, d’autres nécessitant le soutien des pouvoirs publics tantôt au niveau national comme européen.

2. Politiques publiques pour réduire les externalités négatives liées à la consommation de viande[v]

Les solutions pour atténuer les émissions de GES et contenir la destruction programmée de l'environnement liées à notre consommation de viande restent peu claires et nécessiteraient des mesures combinées pour agir à la fois sur l'offre et sur la consommation, par des incitations à baisser la demande.

2.1 Agir sur l'offre

Réguler la source des externalités négatives liées à l'activité agricole nécessite beaucoup de coordination, et en particulier dans le secteur de l'élevage du fait de l'hétérogénéité en termes de taille d'exploitations.

Au sein de l’Union Européenne (UE), la Politique agricole commune (PAC) créée en 1962 a pour objectif premier d'assurer l'autosuffisance alimentaire du continent. La dernière réforme de la PAC, effective pour la période 2014-2020, a été organisée sous forme de deux piliers associant des aides au verdissement de l’élevage :

  • Le premier pilier concerne deux subventions directes provenant du budget de l’UE, une première conditionnée au nombre d'hectares cultivés et une autre dite "verte" liée à des mesures bénéfiques pour l’environnement.
  • Le second pilier correspond à des mesures de développement rural, conjointement financées par le FEADER (Fonds européen agricole pour le développement rural) et les États-Membres. Parmi ces mesures sont inclues des subventions au soutien à l'agriculture biologique et la directive-cadre sur l’eau. A partir d'un bilan de l'ensemble des aides au verdissement, Kirsch et al (2017) trouvent toutefois que celles-ci restent inefficaces puisque les agents recevant les plus de paiements sont toujours ceux qui contribuent le plus aux émissions de GES(les éleveurs bovins). C’est une logique de pollueur‐receveur qui s’affiche.

L'absence d'un système de taxation au niveau européen limite la capacité de l'UE à réguler les externalités négatives (cf. principe pollueur-payeur).

2.2 Solutions côté demande

Tout d'abord, utiliser une taxe pigouvienne[vi], suivant la logique pollueur-payeur, pourrait répondre aux défaillances de marché dû à notre consommation de viande. Cette taxe serait proportionnelle aux émissions de GES résultant de la production de protéines animales. Des études comme Bonnet et al (2018) et Caillavet et al (2016), basées sur des simulations d’une taxesur l’ensemble des viandes ou la viande de bœuf uniquement, montrent une réduction de la consommation de viande et donc des émissions de GES. Plus précisément, une taxe de 200 euros par tonne de CO2 baisserait par exemple les quantités émises de 6 % tout en représentant une augmentation des coûts de 3 % pour le consommateur. De même, Doro et Réquillart (2018) soulignent que les politiques fiscales accompagnées de subventions permettraient non seulement de réduire les émissions de GES mais auraient un impact positif sur notre santé.

Cependant, le levier fiscal présente des limites :

1. Se pose la question de la substitution de la viande par d’autres aliments dans notre régime alimentaire, et surtout, celle de savoir si ces derniers seraient produits en émettant moins de GES et si leurs apports nutritionnels seraient respectés. A cet égard, le dernier rapport du Giec (2019) recommande des régimes plus "équilibrés" notamment à base de légumineuses et de légumes dont la production est moins polluante (Figure 2.1).

Figure 2.1 : Potentiel d'atténuation des GES des différents régimes alimentaires

Source : Giec (2019)

2. Considérant l’impact social de la taxe et le prix élevé de la viande, les foyers à faibles revenus seraient les plus affectés car plus sensibles à une variation des prix.

3. Une taxe réduirait la consommation de la viande au détriment des revenus agricoles. Cette politique nécessiterait ainsi de redistribuer le revenu issu de la taxe pour inciter les agriculteurs à entreprendre des pratiques plus écologiques. Compenser cet investissement financier et humain nécessite que la quasi-totalité de la taxe leur soit versée même si réaliser de tels transferts demeure difficile. En outre, l’ensemble des viandes devrait être taxé, et non plus uniquement la production française, pour éviter toute situation de "passager clandestin"[vii]. Cette situation d'asymétrie extra-communautaire impliquerait que les producteurs étrangers bénéficieraient de coûts de production plus faible sans nécessairement adopter des pratiques plus écologiques.

Par conséquent, une politique de taxation pourrait être efficace à condition de conserver un système de subventions, comme celui mis en place dans le cadre de la PAC en Europe par exemple.

Des approches sociales et comportementales peuvent aider à réduire la consommation de viande en orientant la consommation de viande vers des produits équivalents d'un point de vue nutritionnel et plus respectueux de l'environnement.  En effet, unmanque d’information subsiste au niveau du grand public ainsi qu'une prise de conscience sur les effets de la consommation de viande évoqués précédemment. Un autre outil consisterait à la mise en place de campagnes d’information, en utilisant par exemple des politiques de labellisation des produits alimentaires. S'inspirant des labels nutritionnels à l'instar du système de feux tricolores (en anglais, "Food traffic light labelling") au Royaume-Uni ou du "Nutri-Score" en France, un label écologique pourrait inciter les consommateurs à acheter des produits plus "verts". Alors que les premiers ont pour but d’informer les consommateurs sur la teneur en sel, en sucre et en matières grasses des produits alimentaires, les derniers divulguent la valeur nutritionnelle de l’aliment. Toutefois, il semblerait d’après certaines études comme Golan et al (2001) que ces labels ne soient pas assez efficaces, d’autant plus que leur efficacité dépend inversement de leur complexité. Parallèlement, on parle d'un effet d'apprentissage pour traduire une amélioration de l'efficacité du label sur la consommation. Par exemple, au Royaume-Uni, l’introduction du label écologique "Carbon Reduction Label" s’est révélée inefficace pendant plusieurs mois puisque les critères les plus importants de consommation pour les individus restent toujours le goût et le prix (Bouamra Mechemache, 2019).

Aussi, l'Assemblée Nationale a amendé en septembre 2018 un projet pilote imposant un repas végétariendans les cantines scolaires au moins une fois par semainepour une durée de deux ans. Une telle initiative permettrait aux élèves d’accéder plus facilement à des repas équilibrés sans protéine animale. Déjeuner à la cantine pour une personne végétarienne (davantage pour un végétalien) est toujours compliqué malgré la traçabilité obligatoire des aliments. A titre d'exemple, les pâtes et les légumes sont souvent cuisinés avec du beurre. Cette politique a pourtant suscité la polémique notamment de la part des agriculteurs alors que les effets à court terme demeurent inconnus.

Enfin, des initiatives citoyennes pourraient être envisagées afin de réduire la consommation de protéines animales. Une première initiative, le "Meatless Monday" (en français, le "Lundi vert") a été lancée en 2003 par le département de la santé de l’Université John Hopkins, Baltimore-Maryland, États-Unis.  L’idée est de promouvoir un changement dans les habitudes alimentaires en remplaçant une fois par semaine la viande ou le poisson par des légumes. Les journées sans viande se multiplient progressivement. Cette même initiative a été lancée depuis début 2019 en France par des chercheurs du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), de l’Inra et de plusieurs universités françaises. La tendance s'installe également du côté des restaurateurs. Certains établissements proposent des menus sans viande, voire rayent ce produit de leur carte.

Conclusion

La consommation mondiale de viande n'a cessé d'augmenter depuis 1961, portée par une transition démographique forte dans les pays émergents et une prédilection croissante des classes moyennes.

Dans un contexte de lutte contre le changement climatique, l'objectif est de réduire les externalités négatives qui en résultent. Les politiques mises en place sont encore insuffisantes et la marge de manœuvre du côté de l'offre reste limitée poussant les autorités publiques à réguler la demande. De fait, une réduction des émissions de GES passerait inévitablement par un changement de notre mode de consommation. A l'heure actuelle, l'impact de la politique des labels reste décevant et les campagnes d'information sont encore peu nombreuses.

Notons par ailleurs que les différents dispositifs mis en place font rarement l'objet d'évaluation scientifique, ce qui ne permet pas d'en connaître l'efficacité. Des réformes de la filière agricole seraient nécessaires non seulement pour conforter l'adoption de pratiques plus respectueuses de l'environnement, mais pour accompagner les exploitations dans l'adaptation climatique.

Enfin, posséder un ou plusieurs animaux constitue souvent la seule source de revenus de certaines populations rurales, en particulier dans les pays sous-développés. Malgré un impact potentiel positif sur l'environnement d'une réduction de la consommation de viande, cette solution pourrait avoir des conséquences financières importantes. Les politiques environnementales devraient ainsi prendre en compte la dimension de développement économique associée à l'élevage.

Sai Bravo Melgarejo

Marine Coinon

Références :

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Bonnet, C., Bouamra-Mechemache, Z., Corre, T. (2018). An environmental tax towards more sustainable food: Empirical evidence of the consumption of animal products in France, Ecological Economics 147, 48–61.

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https://www.tse-fr.eu/fr/voir-ou-revoir-le-grand-debat-national-organise-par-tse

Caillavet, F., Fadhuile, A., Nichle, V. (2016). Taxing animal-based foods for sustainability: environmental, nutritional and social perspectives in France,European Review of Agricultural Economics 43(4), 537-560.

Doro, E. et Réquillart, V. (2018).Sustainable diets: Are nutritional objectives and low‐carbon‐emission objectives compatible?, TSE Working Paper, n.°18‐913.

Eshela, G., Sheponb, A., Makovc, T., Milob, R. (2014). Land, irrigation water, greenhouse gas, and reactive nitrogen burdens of meat, eggs, and dairy production in the United States, Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, vol. 111 no. 33, 11996–12001, doi: 10.1073/pnas.1402183111

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Garnett, T. (2009). Livestock-related greenhouse gas emissions: impacts and options for policy makers, Environ. Sci. Policy 12, 491e503.https://doi.org/10.1016/j.envsci.2009.01.006

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WRI (2016). Shifting diets for a sustainable food future.

Annexe 1 : Tendances mondiales de la consommation et production de viande

La production totale a été multipliée par 4 depuis 1961[viii] (UN FAO, 2017). La Figure A1 montre l'évolution de la production mondiale de viande par région, mesurée en tonnes. Toutes les régions enregistrent une croissance substantielle en valeur de la production totale. L'Asie est devenu le plus gros producteur de viande devant l'Europe et l'Amérique du Nord. La production de viande du continent asiatique a été multipliée par 15 depuis 1961, tandis que la production de l'Europe et des États-Unis a doublé. Cette évolution s'explique par l'amélioration de la balance commerciale de la viande de porc, dans ces zones,  avec une diminution des importations et des exportations. L'essor de l'élevage et le marché des aliments pour animaux (prix à la consommation), ainsi que de bonnes conditions météorologiques jouent également un rôle important.

Figure A1 : Production annuelle de viande par région (en tonnes)

Source : Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (2017)

Lecture : En 2011, l'offre annuelle moyenne de viande par habitant est passée de 26 à 46 kg par personne dans le monde.

Dans un même temps, la consommation mondiale de viande atteint 322 millions de tonnes en 2017 (OCDE, 2018) et a augmenté au cours de ces 50 dernières années. Pour diverses raisons, dont une transition démographique forte, la demande de viande continue de progresser à rythme plus rapide dans les pays en voie de développement (Figure A2). La consommation de viande s'est stabilisée depuis les années 2010 mais reste inégalement distribuée sur la planète : Les Asiatiques (excepté les Chinois) consomment deux fois moins que les Européens et les Américains ; les Africains de six à dix fois moins. L'Afrique serait, selon l'OCDE (2018), la région connaissant la hausse de la consommation de viande la plus forte malgré un niveau faible. L'OCDE (2018) prévoit un accroissement de 8 % de la consommation de viande en 2027 (par rapport à la période de référence), ou encore 200 millions de tonnes d'ici 2050 (ONU, 2018).

Figure A2 : Consommation de viande par habitant par région

Lecture : indicateur exprimé en milliers de tonnes poids carcasse (poids prêt à cuire pour la volaille) ou kilos de poids au détail par habitant.

Source : OCDE (2018), "Consommation de viande par habitant par région", dans Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO 2018, Éditions OCDE, Paris, https://doi.org/10.1787/agr_outlook-2018-graph80-fr

Au-delà d'une prédilection croissante pour la viande, ou encore la hausse du niveau de vie, cette dynamique est confortée par l'intégration des marchés. Notons que la hausse des revenus est un moteur de croissance important, principalement dans les pays à forte classe moyenne d'Asie, d'Amérique latine et du Moyen-Orient. La consommation de viande semblerait suivre une relation en forme de U inversé par rapport au niveau de revenu moyen. Treich (2019) démontre un lien fort entre la consommation de viande et le niveau de revenu moyen. Il distingue deux phases de transition alimentaire : Durant la première phase la consommation de viande augmenterait avec la hausse du revenu moyen.En se basant sur les données de l’UN FAO (2017) et de l’UN World population Prospects (2019), Ritchie et Roser (2019) rappellent que la consommation de viande per habitant en Asie a été multipliée par 6 entre 1961 et 2013 alors que sa population a augmenté de 2,5 pendant la même période; en Afrique par 1,3 tandis que sa population a augmenté de 3,8 ; et dans la zone Amérique-Latine et Caraïbes par 1,4 alors que sa population a augmenté de 2,6. La seconde transition correspond au passage d'un pays (ou une zone) vers un niveau de développement élevé, associé à un certain niveau de revenu moyen. Cette dernière phase, consisterait en une réduction de la consommation moyenne de viande, sans pour autant l’éliminer complétement. Par exemple, la consommation de viande a baissé de 33% en 50 ans aux États-Unis, de 10 % en 15 ans en France (Leahy et al., 2010).

De même, la croissance économique globale a entraîné des changements dans la composition alimentaire du panier de consommation moyen.


[i]Dans ce document la notion "viande" recouvre toutes viandes bovines, porcines, ovines et de volaille. La viande se distingue des autres produits de base par ses coûts de production et prix à la production élevés (OCDE, 2019).

[ii]En anglais, Intergovernmental Panel on Climate Change(IPCC).

[iii]"Less meat, less heat" signifie "moins de viande équivaut à moins de réchauffement" en français. Cette citation fait référence à la déclaration de Paul McCartney avant le sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique qui s’est tenu en décembre 2009.

[iv]Sont considérés comme grand consommateur tout individu ayant un régime alimentaire à forte teneur de viande.

[v]Cette section se base en grande partie sur l'intervention de Madame Zohra Bouamra Mechemache, chercheure à l'Ecole d'Economie de Toulouse et à l'INRA, dans le cadre du TSE Great Debate le 11 mars 2019 (Vidéo : https://bit.ly/2GV3Ffq).

[vi]Introduite par Arthur Cecil Pigou en 1920 (in The Economics of Welfare), une taxe pigouvienne est un dispositif fiscal visant à forcer le producteur (pollueur) à internaliser le coût social de son activité économique, ici l'élevage. Elle vise à intégrer au marché les externalités négatives.

[vii]En sciences économiques et en sociologie, un "passager clandestin" (free rider en anglais) est un individu qui, au sein d'un groupe, bénéficie de ressources, de biens publics ou de services de nature communautaire sans en assumer le coût. Cette situation est considérée comme un problème pour la théorie économique.

[viii]1961 est l’année où nous disposons de données fiables de la FAO.

Diplômée du Master « Économie des marchés et des organisations » de l'École d'Économie de Toulouse, Sai Bravo prépare une thèse à l'Université de Pau et Pays de l'Adour financée par la « Chaire d'Économie du Gaz Naturel » de l'École des Mines de Paris, sur le rôle de l'hydrogène dans la transition énergétique. Ses centres d'intérêt portent sur l'économie industrielle, l'économie de l'environnement et de l'énergie, en particulier les problématiques de concurrence et régulation.

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